L'Encyclopédie sur la mort


Gorz André et Dorine

Gorz André et DorineAndré Gorz, philosophe et journaliste, est né en 1923 à Vienne, Autriche, de père juif et de mère catholique sous le nom de Gérard Horst. Élevé dans une atmosphère antisémite, il voit son père se convertir au catholicisme en 1930. En 1939, pour lui éviter d'être mobilisé dans l'armée allemande, ses parents l'envoient faire ses études à Lausanne en Suisse. En 1945, il obtient son diplôme d'ingénieur en chimie et commence son essai Fondements pour une morale, qui ne sera publiée qu'en 1977. En 1946, il rencontre Jean-Paul Sartre, venu donner des conférences à Lausanne. En 1947, Gérard Horst rencontre Dorine, d'origine anglaise, à Lausanne, il l'épouse en 1949 et s'installe avec elle à Paris. Dès 1950, il est journaliste à Paris-Presse, à L’Express sous le pseudonyme de Michel Bosquet. En 1961, il entre au comité des Temps modernes et concevra la plupart des numéros de 1967 à 1974. En 1964, il fonde avec Jean Daniel et quelques autres Le Nouvel Observateur à la destinée duquel il se consacre jusqu'à sa retraite en 1983.

Durant sa période sartrienne, il publiera, sous le pseudonyme d'André Gorz, son premier livre Le Traître (1958), une sorte de récit autobiographique où il vient à bout de son «refus d'exister», son épouse étant très proche témoin de ce combat. Ses oeuvres majeures sont Stratégie ouvrière et néocapitalisme (Le Seuil, 1964), Le Socialisme difficile (Le Seuil, 1967), Réforme et révolution (Le Seuil, 1969), Ecologie et politique, (Galilée, 1975), Adieux au prolétariat, (Galilée,1980). Au cœur de sa réflexion se trouve la notion de développement de l'autonomie* de l'individu comme condition de la transformation de la société. L'anthropologie avant l'économie. L'idée de l'interrelation entre libération individuelle et collective, il la partage avec Herbert Marcuse*, devenu son ami personnel. Ce freudo-marxien, issu de l'École de Francfort, élabore une critique structurée du travail aliéné de la société industrielle et prône sa transformation en praxis libre par le libre développement des potentialités créatrices des travailleurs. Par ses oeuvres Eros et civilisation (1955) et L'homme unidimensionnel (1964) ainsi que par ses multiples conférences dans les universités à travers le monde, Marcuse, parvenu à la fin de sa carrière, se métamorphose en maître intellectuel de la jeunesse des années 1968 et suivantes. Ses liens avec Yvan Illich*, d'origine autrichienne et établi au Mexique, ont influencé sa pensée sur l'éducation, la médecine et le travail.

Dans les années 1990, il se retire dans une maison à Vosnon, à 35 kilomètres de Troyes, avec son épouse, atteinte d’une affection évolutive depuis plusieurs années. En 2006 apparaît Lettre à D., Histoire d’un amour (Galilée), son oeuvre ultime dans laquelle il rend un hommage émouvant à son épouse: «cette présence fut décisive dans la construction d'une oeuvre dont la visibilité ne porte qu'un nom alors qu'elle fut celle d'un couple, le fruit d'un long dialogue.» Non seulement l'oeuvre de l'écrivain, mais aussi et surtout leur vie fut une commune présence: «Il fallait aussi que notre amour soit “aussi” un pacte pour la vie. Je n'ai jamais formulé tout cela aussi clairement. Je le savais au fond de moi. Je sentais que tu le savais. Mais la route a été longue pour que ces évidences vécues se fraient un chemin dans ma façon de penser et d'agir.»

Ayant tout quitté pour rester auprès d'elle, André Gorz écrit: «C'est cela: la passion amoureuse est une manière d'entrer en résonance avec l'autre, corps et âme, et avec lui ou elle seuls. Nous sommes en deçà et au-delà de la philosophie.» Dans la première page de cette longue lettre, on peut lire: «Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais.» À la dernière page, il ajoute: «Récemment, je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide débordant que ne comble que ton corps serré contre le mien […] Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l'autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible nous avions une seconde vie, nous voudrions la vivre ensemble.»

Le lundi 24 septembre 2007, en même temps que son épouse Dorine (83 ans), André se suicide à l'âge de 84 ans dans leur maison de Vosnon (Aube).

Le vieillissement

Un article paru en 1961 dans Les Temps modernes est ajouté, dans une version raccourcie, à la réédition de son livre Le traître suivi de Le Vieillissement, Paris, Gallimard, « Folio essai», 2005, 412 p. Gorz y démontre que le vieillissement d’un homme est d’abord d'ordre social et vient nous toucher du dehors.

« Bien avant d'être un destin biologique, le vieillissement est un destin social: mais "comment entrer dans cette société sans renoncer aux possibilités et aux désirs qu'on porte en soi?". À trente-six ans, le narrateur soudain se découvre un âge, "il n'en avait pas toujours eu". Jusque-là, "il n'avait pas eu d'âge du tout; il se recommençait sans cesse, et les années ne comptaient pas..." Mais trente-six ans est l'âge auquel la vie commence pour de non, un "certificat de maturité." Et ce métier qu'il avait "par hasard, facilité et besoin de gagner sa croûte", sans avoir l'intention d'en faire "l'activité de sa vie", fait de lui "l'être qu'il lui faudrait perpétuer, désormais, jusqu'à sa mort, parce qu'il était ça et rien d'autre et qu'il n'avait plus guère de chances d'en changer".» (Régine Detambel, Le syndrome de Diogène. Éloge des vieillesses, Actes Sud, 2007, p. 50-51)

Commentaire

À l'origine de ses idées exprimées dans Le traître et dans Le vieillissement - et sans doute aussi de ses difficultés de vivre ainsi que de son suicide se trouvent le métissage et la mère, comme on - sans doute Sartre - l'explique fort bien dans les notes des pages 228-366, :

« En effet, jusqu'à sept ans, il s'est senti nul et inférieur et coupable sans trop savoir pourquoi (à cause des exigences de la mère, surtout). Ensuite, avec sa juiverie, il s'est trouvé une solide raison pour se sentir ainsi. Mais si cette raison lui a soudain paru déterminante, c'est qu'elle était bel et bien la bonne avant même qu'il la connut :

-
sa mère avait épousé un Juif auquel elle ne pardonnait pas d'être Juif;

- le fait d'avoir épousé un Juif contrariait les ambitions aristocratiques de la mère tout en lui permettant de les satisfare en partie;

- ce père juif était, dans sa famille et à la maison, le "parent pauvre" en dépit de sa relative aisance, continuellement poussé, houspillé, morigéné et brimé par la mère;

- la Loi, à la maison, était la loi de la mère et le père y figurait la déchéance;

Et c'est pour ces raisons :

- que la mère a monopolisé le fils pour en faire un suraryen viril, aristocratique, dont la belle prestance devait satisfaire ses ambitions sociales à elle et la dédommager du compromis qu'elle avait dû accepter;

- que le fils, incapable de satisfaire les exigences de la mère, s'est senti coupable et nul;

- qu'il a spontanément identifié par la suite sa nullité et sa culpabilité à son impureté raciale, c'est-à-dire à la part du père en lui;

L'attitude de la mère a donc été motivée par le conflit, en elle, de l'ambition aristocratique et du fait d'avoir épousé un Juif. Et c'est la manière dont la mère a cherché, à travers son fils, par son attitude envers lui, à surmonter cette contradiction, qui a conditionné le complexe originel du fils.» (André Gorz, Le traître suivi de Le vieillissement, o.c., p. 409-410, note 5)

 

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-18