L'Encyclopédie sur la mort


Gauvreau Claude

Poète et dramaturge né à Montréal le 19 août 1925, Gauvreau a été retrouvé mort près d'un immeuble de Montréal empalé par une clôture. Il s'était défenestré le 7 juillet 1971. Après des études classiques au collège Sainte-Marie, il s’inscrit à la faculté de philosophie de l’université de Montréal. À l’instar de son frère Pierre, il suit l’école des beaux-arts. Animé de sa foi en l’automatisme, il signe en 1948 le manifeste du Refus global. Le suicide de la comédienne Muriel Guilbault*, «sa muse incomparable», pour qui il a créé la pièce Bien-être (1947), semble avoir ébranlé l’équilibre psychique du poète. Claude sera interné à plusieurs reprises à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, fort bien traité et protégé par le docteur Lorenzo Morin.

Jacques Ferron*, médecin et écrivain, l’a fréquenté, comme « compagnon de bonne volonté », avant ses internements et, comme médecin, durant ceux-ci. Il a su garder mémoire de ce personnage haut en couleur, dont il retient l’attachement profond à sa mère et ses relations difficiles avec les femmes (Du fond de mon arrière-cuisine, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p. 203-264). D’après Ferron, Gauvreau aurait survécu, « mal et malgré lui », à l’échec de La charge de l’orignal épormyable, une pièce, écrite en 1956, « sur laquelle il avait trop compté », une pièce «d’une portée incommensurable». Toujours selon Ferron, Gauvreau ne pouvait aimer qu’une femme pour la bonne raison qu’il n’avait « qu’une mère, une mère qui l’a aimé passionnément et que de même il a aimée. Pour mieux aimer, il a su la cacher. Muriel Guilbault, sublime dans certains passages de la pièce, dans l’hallucination qui succède à sa mort, ne fut jamais qu’une transfiguration» (ibid., p. 228).

Son « amour fou » pour Muriel fut, selon les propres paroles du poète, de l’ordre de la transcendance, car, très tôt, la jeune femme a cessé «d’être essentiellement une humanité à convoiter: je la voyais comme un chef d’œuvre à contempler, dont je devenais le conservateur consciencieux ». Sans rien perdre « de sa matière de femme […], son utilité primordiale devenait de nourrir la contemplation » (Beauté baroque, Montréal, L’Hexagone, 1992, p. 115). Ayant connu la vision béatifique du divin dans une femme, il pourra désormais la partager avec d’autres femmes (P. Smart, « Derrière la femme-objet: la représentation de Muriel Guilbault», Études françaises, vol. 34, nos 2-3, 1998, p. 99-111).

« Gauvreau ne douta jamais de son génie. Il n’a vécu que pour lui, ne concevant même pas qu’il dût gagner sa vie […], préférant à des tâches serviles les prisons et les asiles, quitte à y être abruti d’électrochocs et de neuroleptiques, se disant peut-être qu’il devait souffrir pour sa gloire, […] que ces supplices étaient en quelque sorte la démonstration de son génie » (J. Ferron, op. cit., p. 217). Après avoir signé, au début de juillet 1971, son contrat pour la production de son œuvre Les oranges sont vertes par le théâtre du Nouveau Monde à Montréal, prévue pour 1972, Gauvreau se défenestre. Ferron retient, avec émotion, l’apothéose de ce spectacle: « les anges de Batlam descendent du ciel et mitraillent les spectateurs qui n’en croyaient pas leurs yeux ». Sur le moment il trouva que le dramaturge « avait exagéré son deuil de lui-même et qu’il aurait pu avoir des pompes funèbres plus modestes et moins vindicatives. Puis je me dis qu’on lui avait donné trop de ces électrochocs dont il avait une peur panique et que personne au monde ne s’était élevé pour le défendre. Et je me suis rappelé son goût pour la logique: quand on s’inflige une terrible violence, une violence longuement préparée et froidement exécutée, celle de mourir comme il avait fait, n’est-il pas juste que tous en soient frappés? » (ibid., p. 220).

Jean-Pierre Ronfard, producteur de la pièce, croit que Gauvreau «était un homme profondément destructeur non seulement à l’égard de lui-même, mais également vis-à-vis de son œuvre. […] Par scrupule, ou par violence, ou même par un certain goût d’être bafoué, blessé, ridiculisé, il travaillait contre son propre succès. […] [D]evant la reconnaissance publique de l’œuvre qui était sa somme théâtrale, il a été à la fois enthousiasmé et pris de vertige, un vertige amplifié par la situation de drogué médical dans laquelle il était. Et puis pratiquement puisqu’il s’est jeté dans le vide, il est très possible que, dans le brouillard de son esprit, il se soit tout simplement pris pour un oiseau» (R. Lévesque, Entretiens avec Jean-Pierre Ronfard, Montréal, Liber, «De vive voix», 1993, p. 82-83). À son ami Paul-Émile Borduas, peintre et fondateur de l’Automatisme, Gauvreau confie les épreuves de sa folie et marque son désaccord au sujet du caractère politique du Refus global (G. Lapointe et J. Tremblay, Claude Gauvreau. Lettres à Paul-Émile Borduas, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2003).

Bibliographie

Jacques Beaudry, La fatigue d'être: Saint Denys-Garneau, Claude Gauvreau, Hubert Aquin, Montréal, Hurtubise, HMH, 2008.

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12

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