L'Encyclopédie sur la mort


Fengming, Chronique d'une femme chinoise

Fengming, Chronique d'une femme chinoise

Film documentaire

Pays: Chine

Année: 2007

Durée: 186 min.

Réalisation: Wang Bing

Une vieille femme, He Fengming, raconte sa vie qui couvre plus de soixante ans de l'histoire de la Chine. Jeune étudiante quand les communistes prennent le pouvoir en 1948, elle rejoint les rangs de la révolution.

«Fengming, ne nous montre rien. C’est le cas de le dire. Au tout début, dans un plan qui évoque de près la démarche de À l’ouest des rails, une femme portant des courses est accompagnée par une caméra la filmant de dos, dans le trajet qui la ramène chez elle. Suivent deux plans dans son appartement. Elle s’assoit sur un fauteuil, à 90° de la caméra et dit: "Commençons par le commencement… ". La caméra se place alors de face, cadrant He Fengming frontalement. Elle n’en dérogera pas pendant plus de 150 minutes (un court épilogue, final, fera écho au prologue que je viens de décrire). Trois échelles de plan (large, moyen, rapproché) alterneront, à toutes les 20 ou 30 minutes (et il semble que ces changements soient plutôt motivés par le fait de devoir changer la cassette de la mini-dv que pour toute autre raison). Quelques rares fondus au noir, surtout vers le début, feront office de montage, même si l’essentiel du montage, de l’ellipse, est donné dans le déroulement du récit (on passe de 1949 à 1957, en une phrase). Chronique d’une catastrophe, d’un cauchemar, qui nous amène en 3 heures, de la Révolution communiste à l’engagement (1949-1957), de l’incarcération (1958-1961) à la libération (1961), de la nouvelle incarcération (autour de la révolution culturelle, de 1969 à 1973) puis à la "réhabilitation" (en 1978) de cette femme, prise dans les rouages insensés d’une machine totalitaire. La dernière partie de la chronique (filmée quelques temps après), porte sur la période menant aux années 1990, lorsqu’elle décide d’écrire ses mémoires, lorsqu’elle décide de retourner au camp de travail où son mari est mort et a été enterré (le lieu exact n’a jamais pu être identifié).

Parole-vestige. À la toute fin du film, Fengming est filmée de dos, discrètement, à son bureau. Le téléphone sonne, elle répond. Un survivant a été retrouvé. Ils discutent un peu, elle fournit quelques renseignements qui nous manquaient sur sa vie (un de ses fils est mort en 2003). Ils échangent des informations. Elle raccroche, et dit simplement : "Un autre survivant…"

C’est aussi, sans doute, ce que le documentaire peut faire de mieux, sa définition la plus stricte: donner à voir et à entendre, sans rien montrer, tous les récits possibles, la colère des morts et des survivants, qu’on cherche à taire, qui demeurent enfouis, mais qui sont toujours là, à résister tranquillement, simplement, contre la politique du silence.»

(Nicolas Renaud, «La colère des morts», Hors Champs, Médias et sociétés, octobre 2008, extraits)

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-06-29

Notes