L'Encyclopédie sur la mort


Échec

 

Un des facteurs qui favorisent le suicide est l’échec qui engendre l’humiliation ou la honte* et qui mène au découragement ou au désespoir. Selon l’hypothèse de Philippe Ariès, «[À] partir du 17e-18e siècle, et plus généralement au 19e-20e siècle, le moment du constat de l’échec a cessé de coïncider avec le moment de la mort. Il s’est avancé dans le temps d’une vie, il est devenu de plus en plus précoce, au point de se situer parfois aujourd’hui à l’âge de l’adolescence. L’épreuve de l’échec est désormais tout à fait séparée de l’idée et de la présence de la mort. […] La distance entre la conscience de l’échec individuel et le temps de la mort constitue l’espace où le suicide, depuis la tentative de suicide jusqu’à l’occasion réussie, a trouvé un terrain favorable» (Essais de mémoire 1943-83, Paris, Seuil, 1993, p. 211). L’expérience de l’échec est souvent associée au deuil*, c’est-à-dire à la perte d’un emploi ou d’un statut social, à de grosses pertes financières lors d’une faillite, à la perte de la garde et de la visite des enfants lors d’un divorce. Il faudrait par ailleurs éviter de présenter le suicide comme une performance réussie en opposition avec une vie ratée. On ne réussit pas un suicide, on l’accomplit pour signifier un échec.

À la suite d’un échec amoureux, il n’est pas rare que l’on entende dire «Je ne puis plus vivre sans toi» ou «Tu es toute ma vie». Or, si le «tout» disparaît, l’autre n’est plus «rien». La personne qui subit le départ de l’être auquel elle s’est complètement identifiée ne vit plus sa propre vie, elle ne respire que par ou pour l’autre: «Depuis que tu es parti pour toujours, ma vie n’a plus de sens pour moi.» Il devient donc tout à fait logique pour elle de rejoindre au plus tôt l’autre et de se fondre en lui. Ce qui est vrai dans le cas d’un conjoint ou d’un amant, qui s’en va ou qui meurt de mort naturelle ou accidentelle, est d’autant plus vrai dans le cas d’une personne qui quitte l’autre par suicide pour des raisons liées à la difficulté d’aimer ou d’être aimée. Les lettres d’adieu* écrites par des jeunes font souvent mention d’un chagrin d’amour trop dur à porter. Ne disposant pas d’assez de distance historique ou critique par rapport à un refus d’amour de la part de la personne aimée, le jeune homme en particulier est très vulnérable à la crise suicidaire.

L'échec amoureux est un facteur fréquemment associé aux idées et aux actes suicidaires de patients rencontrés en consultation psychiatrique d’urgence. «Mendoca et Holden [«Are all Suicidal Ideas Closely Linked to Hopelessness?», Acta Psychiatrica Scandinaviae, vol. 93, 1996, p. 246-251] rapportent un taux de 63,5% d’un échantillon de patients suicidaires dans un centre de crise. Souvent la première intention est de mourir, la seconde est de maintenir le contact avec l’autre au moyen de la menace suicidaire. Nous rencontrons également le fantasme (et parfois sa tragique mise en œuvre) de l’assassinat suivi du suicide, lesquels maintiendraient une forme d’union dans la mort» (D. Bordeleau, Face au suicide, p. 140).

 

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-17

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