L'Encyclopédie sur la mort


Bible

«Où verra-t-on dans la Bible entière une loi contre le suicide, ou même une simple improbation? Et n’est-il pas bien étrange que dans les exemples de gens qui se sont donné la mort, on n’y trouve pas un seul mot de blâme contre aucun de ces exemples» (J.-J. Rousseau, La nouvelle Héloïse, iii, lettre xxi)! Ainsi en juge Rousseau*. Les livres des Juges, de Samuel et des Rois relatent cinq cas de suicide qui ont eu lieu approximativement entre les treizième et neuvième siècles avant notre ère, en les approuvant ou, du moins, sans les condamner, aucune loi biblique ne condamne explicitement le suicide. Ainsi, lorsque Abimélek attaque la tour de Tévéc, une femme lance une meule sur sa tête et lui fracasse le crâne. Abimélek appelle aussitôt son écuyer et lui dit: «Tire ton épée et fais-moi mourir, de peur qu’on ne dise de moi: “C’est une femme qui l’a tué.’’» Alors son écuyer le transperce de son épée et il meurt. Dieu fait retomber sur Abimélek la malédiction non pas à cause de sa mort volontaire, mais à cause du mal qu’il avait fait à son père en tuant ses soixante-dix frères. La tradition biblique «ne porte aucun jugement sur ce suicide par blessure d’amour-propre; elle se limite simplement à deux commentaires: cette mort prématurée est une malédiction divine (Jg 9, 56-57) et elle est d’autant plus honteuse qu’elle est causée par une femme (2 S 11, 21). Le suicide de Samson est perçu non seulement comme un acte de vengeance, mais plus encore comme le résultat de la volonté divine puisqu’il est l’accomplissement de sa prière (Jg 16, 26-31). Saül et, à sa suite, son écuyer se suicidèrent en se laissant tomber sur la pointe de leur épée sous prétexte d’éviter l’affront d’être blessés par les incirconcis (1 S 31, 3-6)» (J.-J. Lavoie, «Peut-on parler d’une obligation absolue de vivre? Esquisse d’une éthique juive et chrétienne», Frontières, vol. 12, no 1, 1999, p. 18).

Deux raisons pourraient expliquer le silence de la loi biblique en regard du suicide: l’association du suicide à l’homicide et l’absence d’une croyance dans un au-delà désirable et bienheureux. Or, l’époque qui voit naître la foi en la résurrection n’est pas épargnée de morts volontaires qui sont considérées comme héroïques et glorieuses. Par exemple, en 1 Maccabées, 6, 42-46, Éléazar, surnommé Awarân, «se sacrifia pour sauver son peuple et pour acquérir un nom immortel»; il «se précipita avec audace vers la bête au milieu de la phalange […] et se glissa sous l’éléphant et par en dessous lui porta un coup mortel. Il s’écroula sur Éléazar qui mourut sur place.» Le ventre de l’éléphant, caparaçonné d’un harnais royal, était plus vulnérable, car il n’était pas couvert. 2 Maccabées 14, 37-46, raconte la mort volontaire de Razias*, «aimant mieux mourir noblement que tomber entre les mains des criminels et subir des outrages indignes de sa noblesse» (2 M 14, 42). Le suicide d’Éléazar, «préférant une mort glorieuse à une vie infâme» (2 M 6, 19) et dont la mort est «un exemple de noble courage et un mémorial de vertu» (2 M 14, 31). Il peut être classé, selon la typologie* de Baechler*, parmi les suicides sacrifices dans le sous-type oblatif. Il en va de même pour la mort héroïque des sept frères et de la mère dont on trouve le récit en 2 Maccabées 7, 1-42, et pour la mort des docteurs du peuple selon le livre de Daniel (Dn 11, 32-35).

Sans préconiser le suicide, le Qohélet, a des réflexions pessimistes sur l’existence humaine dans un texte sapiential dont toute trace d’une histoire de salut semble avoir disparu. L’auteur, porte-parole de la communauté, fils de David, roi à Jérusalem, introduit son œuvre paradoxale par ce constat: «Vanité dit Qohélet/hével havalim/ Hével dit Qohélet/tout est vain» (Qo, 1,2, selon la traduction Bayard). Comme un refrain, ce verset initial se répète dans ces pages et résume fort bien toute la sagesse qui y est véhiculée: «tout est absurde». Effectivement, le terme hébel (plutôt comme hevel) est généralement traduit par vanité, mais signifie plus exactement ce qui est absurde, ce qui sonne faux. D’autres sentences tendent à formuler le même propos en d’autres mots et en abordant des thèmes différents. Qohélet estime que le travail* est absurde, car il n’est pas créateur de nouveauté, il est répétition du même jusqu’à l’ennui*: «Ce qui fut cela sera/ce qui s’est fait se refera/Rien de nouveau sous le soleil» (Qo, 1, 9). Quand Qohélet regarde «toutes ses œuvres gagnées de [ses] mains», il s’écrie: «voilà tout est absurde et poursuite du vent». Il a pris haine de sa vie, car lui qui a toujours agi avec savoir, sagesse et compétence, laissera «tout à quelqu’un qui n’aura rien fait. C’est vain, c’est mal» (Qo,2, 21). La vie elle-même est absurde, car elle mène vers la mort: «Le destin des fils de l’homme/celui des bêtes/est le même/l’un meurt comme l’autre» (Qo, 3, 19). La vie n’a ni sens ni valeur à ses yeux: « Et j’ai félicité/les morts déjà morts/je n’ai pas félicité/les vivants d’être toujours en vue/Mieux vaut encore/celui qui n’a jamais été/il n’aura pas vu le mal/sous le soleil» (Qo, 4, 8-9). Le comportement de l’homme est insensé, car Qohélet a «vu et tenté de comprendre/les actes qui se font sous le soleil/l’oppression de l’homme par l’homme/pour son malheur» et il a vu «des méchants portés au tombeau» et «dans la ville on a oublié le mal qu’ils avaient fait» (Qo, 7,9-11). Les justes sont traités comme des méchants, tandis que les méchants sont traités comme des justes (Qo, 8, 14). L’amour est absurde, car «j’ai trouvé moi/plus amer/que la mort/Le cœur d’une femme/s’il est piège et filet» (Qo, 7, 26). Et pourtant, Qohélet concède qu’il y a «un temps pour pleurer/un temps pour rire», «un temps pour aimer/un temps pour haïr» (Qo, 3, 1-8). En dépit de tous les non-sens de l’existence, Qohélet tient à recommander: «Va manger ton pain dans la joie/boire d’un cœur heureux ton vin» et «Vis avec la femme que tu aimes/tous les jours de ta vie vaine/don de Dieu sous le soleil» (Qo, 9, 7 et 9). (J.-J. Lavoie , La pensée du Qohélet. Étude exégétique et intellectuelle, Montréal, Fides, «Héritage et projet», 1992 et du même auteur Qohélet, Une critique moderne de la Bible, Montréal, Médiaspaul, «Parole d’actualité», 1995). Une mort prématurée peut ainsi devenir une mort désirable ou souhaitable: «Soit un homme qui engendre cent fois et vit de nombreuses années, mais qui, si nombreux soient les jours de ses années, ne se rassasie pas de bonheur et n’a même pas de sépulture, je dis: l’avorton vaut mieux que lui» (Qo 6, 3).

Selon Jésus Ben Sira, une vie passée sous le signe du chômage, de la mendicité, de la révolte, de la vieillesse et de la maladie incurable n’est pas une vie. La mort devient alors une valeur sûre: «Mon fils, ne mène pas une vie de mendiant. Mieux vaut mourir que mendier. L’homme qui regarde vers la table d’autrui, sa vie ne saurait compter pour une vie» (Si 40, 28-29). «Ô mort, ta sentence est bienvenue pour l’homme dans le besoin, dont les forces diminuent, dont l’extrême vieillesse est accablée de toutes sortes de soucis, qui se révolte et qui a perdu la patience. Ne crains pas la sentence de la mort, souviens-toi de ceux qui t’ont précédé et de ceux qui te suivront» (Si 41, 2-3). «Mieux vaut la mort qu’une vie de misère et le repos éternel qu’une maladie tenace. De bonnes choses déversées devant une bouche close sont comme des offrandes de nourriture posées sur une tombe» (Si 30, 17-18). Ces proverbes exaltent la vie lorsqu’elle est remplie de santé et de joie: «Mieux vaut un pauvre en bonne santé et de robuste constitution qu’un riche dont le corps est atteint» (Si 30, 14); «Un cœur joyeux maintient un homme en vie et la gaieté prolonge la durée de ses jours» (Si 30, 22). La valeur de la vie ne dépend pas de la prospérité matérielle, mais des bonnes choses dont une personne, en relative bonne santé physique et mentale, peut jouir avec simplicité de cœur.

 

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-17

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