Roland Barthes (1915 -1980), écrivain et sémiologue français, fut l'un des principaux animateurs du structuralisme et de la sémiotique en France. Du 26 octobre 1977, lendemain de la mort de sa mère, jusqu'au 15 septembre 1979, Roland Barthes a tenu un journal de deuil, 330 fiches pour la plupart datées, et constituées en un ensemble publié pour la première fois sous le titre Journal de deuil aux Éditions du Seuil en 2009. Pour Barthes, « l’auteur est mort », Autrement dit, « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur ». D'après sa compréhension des choses, l'auteur doit céder sa place au lecteur, qui s'approprie le contenu du texte et en fait sa propre lecture. Il nous sera difficile, en tant que lecteurs, de séparer l'écrivain de l'homme. Si entre-temps il est mort physiquement, il continue son existence dans la mémoire de nombreux vivants, principalement grâce à ses oeuvres. Notre lecture n'en sera pas une de réécriture du texte, mais d'écoute de ce que l'homme-écrivain Barthes nous révèle et nous voile de son propre deuil*. (L'Éditeur)
Dans Roland Barthes, la littérature et le droit à la mort, Seuil, 2010, Éric Marty partant d'une question éminemment moderne: - « qu'ai-je le droit, que m'est-il permis d'écrire ? » - suggère que ce journal ne pouvait exister qu'à titre posthume. Se situant, du vivant même de l'auteur, en réserve de l'oeuvre, l'écriture approche au plus près de ce « droit à la mort » - énigmatique et lointain - qu'il s'agit d'explorer et de faire entendre. (page 4 de la couverture)
Extraits du Journal de Deuil
le 20 octobre 1977
Idée - stupéfiante, mais non désolante - qu'elle n'est pas été « tout » pour moi. Sinon, je n'aurais pas écrit d'œuvre. Avant, elle se faisait transparente pour que puisse écrire.
le 5 novembre 1977
Après-midi triste. Brève course. Chez le pâtissier (futilité) j'achète un financier. Servant une cliente, la petite serveuse dit Voilà. C'était le mot que je disais en apportant quelque chose à maman quand je la soignais. Une fois, vers la fin, à demi inconsciente, elle répéta en écho Voilà (Je suis là, mot que nous nous sommes dit l'un à l'autre toute la vie). Ce mot de la serveuse me fait venir les larmes aux yeux. Je pleure longtemps (rentré dans l'appartement insonore).
Ainsi puis-je cerner mon deuil. Il n'est pas directement dans la solitude, l'empirique, etc.; j'ai là une sorte d'aise, de maîtrise qui doit faire croire aux gens que j'ai moins de peine qu'ils n'auraient pensé. Il est là où se redéchire la relation d'amour, le « nous nous aimions ». Point le plus brûlant au point le plus abstrait...
le 18 août 1978
L'endroit de ma chambre où elle a été malade, où elle est morte et où j'habite maintenant, le mur contre lequel la tête de son lit s'appuyait j'y ai mis une icône – non par foi – et j'y mets toujours des fleurs sur une table. J'en viens à ne plus vouloir voyager pour que je puisse être là, pour que les fleurs n'y soient jamais fanées.