L'Encyclopédie sur la mort


Analyse des débats de la Commission pour le mourir dans la dignité

Analyse des débats de la Commission pour le mourir dans la dignité

Éric Volant

Aux fins d’analyse, nous avons choisi une dizaine de sessions d’audition publique ayant eu lieu dans les diverses régions du Québec. Nous avons analysé les traductions écrites de ces sessions à l’aide d’une grille que nous avons construite nous-même. Cette démarche nous a donné près de vingt pages de matériaux classifiés, qui nous ont guidé dans l’interprétation de cet échantillon de l’opinion publique exprimée durant ces sessions. Nous écrivons « échantillon », car il ne s’agit que d’une analyse partielle, première étape en route vers une analyse globale de toutes les traductions écrites mises à la dispositions du public.

1. Mourir dans la dignité

La confusion dans la définition des termes est un problème récurrent tout au long des débats, parfois même chez certains membres de la Commission. Il en va ainsi de la notion de dignité, même si celle-ci est clairement définie dans la présentation des objectifs de la Commission.

Un premier constat c’est celui de l’étroite association que les participants établissent entre la dignité et l’autonomie du sujet. La notion de dignité s’y trouve très liée au droit inaliénable du sujet à choisir sa manière de vivre et de mourir. Ainsi nous lisons : « il appartient aux personnes en fin de vie […] de déterminer ce que signifie mourir dans la dignité et choisir la manière avec laquelle elles entendent de vivre leur fin de vie ». C’est donc au patient « de choisir ce qui est bien et digne pour lui ». Une personne handicapée estime que « mourir dans la dignité » est pour elle un exercice de libre choix, car son estime de soi lui refuse d’être « un fardeau pour la famille ». Cette équivalence entre dignité humaine et choix autonome concernant sa fin de vie est contestée par un participant, mais celui-ci réduit l’autonomie explicitement à une capacité physique, celle de la performance ou de la productivité, en principe absente chez les aînés, les handicapés et les personnes en fin de vie.

Pour la plupart de ceux qui s’expriment en faveur de l’euthanasie, l’autonomie est perçue comme un droit au libre choix en lien avec leur pouvoir de maîtriser la vie et la mort. Elle se traduit en termes de propriété ou de possession : « La mort m’appartient, ma mort m’appartient », sous-entendue, la libre disposition de son corps. À ce sujet, on a parfois recours à des philosophes ou à des experts en éthique : « Il me semble qu’on fait bon marché de l’autonomie et du respect de la personne ainsi que de la notion des droits individuels (Kluge) »; cela demeure « une minorité qui peut et veut pouvoir choisir librement le moment de mourir (Tillich) »; ce souhait d’une minorité non négligeable « mérite d’être exaucé (Dr Cassell) ». Par conséquent, une demande d’euthanasie « faite en toute lucidité d’esprit » n’est pas seulement un privilège du sujet libre et éclairé, mais un droit fondamental. « Le droit de choisir sa destinée jusqu’à son terme en accord avec ses valeurs, ses croyances est une question de liberté humaine, d’autonomie et de droit individuel ». Mais cette responsabilité individuelle, opinent quelques-uns, est difficile à porter. « Si les diverses chartes reconnaissent le droit fondateur à la vie, le droit à la mort n’est pas mentionné ». Cette autonomie responsable est soumise à l’épreuve en temps de maladie et de souffrance où fragilisée, elle doit pouvoir s’affirmer et s’exercer.

2. Le traitement de la souffrance

Au sujet du soulagement ou de la suppression de la souffrance, le clivage entre ceux qui favorisent les soins palliatifs et ceux qui optent, à certaines conditions, pour l’euthanasie est très prononcé. Or, c’est au niveau même de la perception ou de la compréhension de la souffrance que la différence se manifeste en premier lieu. Ce désaccord se révèle déjà dans l’approche cognitive de la souffrance.

Ainsi, en soins palliatifs, on situe l’« impasse » au plan méthodologique : il y a absence de définition consensuelle « de ce qu’est la douleur intolérable ». Cet agnosticisme d’ordre scientifique « invalide toute démarche dans le sens d’une légalisation des pratiques » dites euthanasiques. « L’homme n’est pas détruit par la souffrance, il est détruit par la souffrance qui n’a aucun sens ». Afin de faire face à la souffrance, il doit, à même sa vulnérabilité, apprendre à mieux connaître les potentialités de son être et même à se surpasser. Par ailleurs, au niveau de la pratique, il n’est pas juste de prétendre que le processus du mourir est « souvent sinon toujours marqué par des souffrances importantes et incoercibles ». En effet, « les recherches prouvent que, jusqu’à 40 % des cancéreux […] n’expérimenteront pas de douleur [à entendre : « physique »] durant la trajectoire de la dernière maladie ». Et « lorsqu’ils sont pris en charge par une équipe expérimentée de soins palliatifs », ses souffrances sont « rarissimes ».

Dans le discours des soins palliatifs, la souffrance, dite morale, est perçue et traitée uniquement en tant que dépression qui, selon ce discours, est à l’origine des demandes d’euthanasie. Or, la suppression de la dépression par l’euthanasie n’est pas justifiée, car la souffrance peut être soulagée par la médication et l’accompagnement. À la question : « Que fait-on pour les personnes non dépressives qui sont pleinement conscientes de leur fin, mais qui, en même temps, ne trouvent pas réponse à travers toutes les avancées médicales des dernières années? », on poursuit l’argumentation comme si toute souffrance était, par principe ou par essence, dépressive : « Ce n’est pas facile de dépister une dépression, […] puis de faire un bon traitement, parce que ça demande un accompagnement… il y a des réussites, il y a des échecs ». On va jusqu’à découvrir dans la soi-disant popularité de l’euthanasie un signe d’une « dépression collective », marquée par la fragilité des sujets, particulièrement les jeunes et les vieillards. Ce discours ne distingue pas la prévention du suicide des personnes malades et souffrantes en fin de vie des campagnes de prévention des jeunes et des aînés dans la société globale en dehors des situations de maladie incurable en fin de vie.

C’est parmi les personnes lourdement handicapées, participant aux débats, et les proches témoins de personnes gravement malades ainsi que chez certains médecins, que l’on entend un autre son de cloche contre un discours empreint de dolorisme qui met en valeur la souffrance en tant que contribution au bien de la société : « Pourquoi la souffrance d’autrui aiderait-elle à faire avancer la société? ». Il y a des souffrances insupportables et insensées qui ne peuvent être soulagées. On entend même parler de torture : « quand ça vient aux douleurs et aux souffrances psychologiques en logeant l’usager en chambre partagée avec usager également à la fin de sa vie, nous torturons ». Les soins d’agonie d’un autre, la douleur et les pleurs des visiteurs d’un autre et finalement le décès d’un autre, la terreur que votre tour est proche deviennent insoutenables. Le droit à une chambre individuelle en soins palliatifs ou à des soins à domicile s’impose. Et dans les hôpitaux, il y a un besoin criant d’un plus grand nombre de lits.

La sédation terminale est interprétée comme « légale » et justifiée du point de vue éthique en tant qu’option à double effet : « espérer une mort qu’on ne veut pas causer, tout en posant des gestes qui peuvent la précipiter ». Elle peut sans doute manifester une certaine « proximité » avec l’euthanasie, mais « la philosophie et l’approche » sont différentes, même si l’effet, c’est-à-dire la mort, est le même. Ainsi raisonnent les protagonistes des soins palliatifs, tandis que ceux qui s’expriment en faveur de l’euthanasie sont d’avis que la sédation terminale est « un accompagnement pour aider quelqu’un à quitter, d’une façon inconsciente » et « l’euthanasie c’est aider quelqu’un à mourir consciemment : le mourant dit : bye bye, je quitte! ». Les médecins qui sont ouverts à l’euthanasie « sont plus ouverts à l’écoute du patient qu’à leur agenda personnel. Ils ne sont pas pour autant « moins humains » et accordent la sédation terminale pour soulager les mourants qui le désirent. Par ailleurs, le refus des longues sédations observé chez plusieurs patients est signe que ce traitement est insupportable pour celui qui le subit, mais aussi « intolérable pour les proches et stressant pour les soignants ». Certaines fins de vie sont « invivables » et certains gestes, « insoutenables ».

Les soins palliatifs

Dans les séances d’audition dont nous avons pu lire les transcriptions, l’accent a été mis par les protagonistes de soins palliatifs sur les recommandations suivantes : la création d’unités de soins palliatifs dans tous les établissements de 600 décès et plus par année, la mise en place d’équipes de consultation en soins palliatifs, la formation d’équipes en soins palliatifs et un financement séparé des soins palliatifs à domicile. Ne pas recommander ces améliorations en faveur des soins palliatifs et, par contre, recommander la légalisation de l’euthanasie, ce serait livrer un message négatif et fort : « l’accompagnement des malades jusqu’au bout n’est plus une fonction de l’ensemble de la collectivité ». Une question est posée par un des membres de la Commission : « quelle est la hauteur du budget des soins palliatifs? Quoi faire pour des établissements en région où il y a moins de 60 décès par an? ». La réponse à cette question fut « l’élargissement des soins palliatifs à d’autres clientèles que le cancer, la création de maisons de soins palliatifs partout au Québec », sans pour autant que ces maisons deviennent le « modèle québécois », favorisant ainsi la « privatisation de la mort ».

Cette approche d’ordre social et collectif se formule dans une perspective institutionnelle et administrative, financière et comptable. Si jamais on légalisait l’euthanasie, un préalable sine qua non s’imposerait : « l’information à la population du droit de refuser un traitement et du droit de recevoir des soins palliatifs et un accompagnement; la mise à jour des connaissances des médecins en traitement des douleurs et d’autres symptômes, la recommandation aux médecins de l’utilisation des opiacés; le financement adéquat et optimal des soins palliatifs, prodigués par des professionnels formés, dans un environnement approprié ».

Les soins à domicile sont le souhait de la majorité des Québécois. Il faut en faire une priorité. C’est préférable à une chambre partagée dans les hôpitaux et aux centres de soins palliatifs en région. Par contre, le contrôle de la douleur est plus difficile à la maison. Il faudrait offrir une formation adéquate aux bénévoles et aux proches à la maison. « Mourir dans l’intimité » plutôt que « mourir dans la dignité »!

Cependant, on entend que les soins palliatifs ont été institués et ont progressé « dans une mentalité religieuse » et sont proposés par les diverses religions, ce qui dans un État laïc mérite d’être reçu avec la distance critique qui s’impose. Un homme laisse entendre ses réticences à l’égard de certains comportements trop infantilisants et doucereux; « Ma femme sait que je ne suis pas le genre à être cajolé, à me faire jouer des chansons, à me faire flatter ». À l’opposé, on entend : « les médecins ont toute ma confiance. Ils sont là pour soulager la douleur et ils n’euthanasient pas. C’est ça la bonne pratique de la médecine ».

La légalisation de l’euthanasie

La légalisation de l’euthanasie se situe dans une certaine logique de l’évolution du droit en regard du respect de la liberté de la personne. On évoque que « au Canada le suicide et la tentative de suicide ne sont pas interdits depuis 1972 » et « depuis 1994, toute personne peut refuser des traitements médicaux même si cette décision aura comme conséquence la mort du patient […] Soyons donc conséquents et respectons cette même logique de la volonté de la personne qui, en phase terminale, demande l’aide de mourir ». Il demeure, cependant, dans la pratique qu’il n’est pas toujours évident dans quelle mesure une personne fait un libre choix. On cite le cas d’une personne de 80 ans qui avait demandé l’euthanasie, mais il s’avéra que ce n’était pas lui qui voulait l’euthanasie, car c'est son fils qui avait signé pour lui. Il importe d’étudier chaque cas individuellement. Par ailleurs, l’expérience nous apprend qu’il ne faut pas sous-estimer la liberté avec laquelle une personne de 85, 90 et plus fait son choix, même si elle est gravement malade ou mourante.

L’euthanasie, utilisée de façon rarissime, devrait conserver une place parmi les formes d’accompagnement d’un patient en fin de vie, si « l’on se soucie vraiment des besoins véritables, spécifiques et singuliers de chaque mourant ». Il en va du « droit de choisir sa destinée jusqu’à son terme en accord avec ses valeurs, ses croyances », selon « des critères et des exigences rigoureux ». Les personnes. qui font «un choix éclairé de mourir » estiment « qu’en fin de vie la qualité est préférable à la quantité. Pour eux l’important n’est pas d’ajouter des années à la vie, mais plutôt d’ajouter de la vie aux années ».

Somme toute, l’euthanasie est « une stratégie qui a pour finalité de mettre rapidement un terme à sa vie », là où l’approche des soins palliatifs en est une« qui vise d’abord à soulager les souffrances physiques, morales, psychologiques intolérables ». Les deux stratégies produisent, cependant, le même effet, celui de la mort. La seconde, utilisant le protocole de la sédation terminale, se cache derrière l’argument de la bonne intention, tandis que la première annonce ouvertement l’effet visé. Or, il est contre-indiqué d’opposer les soins palliatifs à l’euthanasie, car celle-ci « se situe dans la toute fin » des soins palliatifs. Un médecin ne voit « absolument pas pourquoi ses collègues disent que les soins palliatifs vont disparaître », si l’on légalise l’euthanasie. Les soins palliatifs et l’euthanasie peuvent faire partie de la même pratique médicale. D’où « l’importance de la formation des autres intervenants dans le milieu de la santé » à l’ensemble d’un processus global de traitement de la douleur et d’accompagnement en fin de vie.

Il est opportun de « créer un cadre légal où le législateur, tout en protégeant les personnes fragilisées par la maladie […] et en protégeant également le corps médical, puisse permette à toute personne humaine atteinte d’une maladie incurable en phase terminale de demander et d’obtenir de l’aide à mourir. »

Cependant, d’autres jugent que l’on doit pas légiférer pour une minorité, mais « pour une majorité, oui »!, comme si les minorités n’avaient pas de droit à une législation qui les inclut en répondant à leurs besoins spécifiques. « Dans la vie, on n’a pas toujours ce que l’on veut », dit quelqu’un, comme si les personnes gravement souffrantes, qui demandent l’euthanasie, étaient du genre capricieux. Plus apocalyptique encore : « si on légalisait l’euthanasie, on mettrait en péril toute la mission intrinsèque de la médecine et en péril le réseau de la santé », comme si la mission de la médecine et le régime québécois de la santé ne pouvaient s’ouvrir à des perceptions, à des soucis, à des besoins ou à des situations du monde contemporain. « Si on légifère, on s’en va vers une banalisation de la vie humaine », au sens que l’on lui enlève son « caractère sacré et intouchable ».

On se plaint d’une valorisation excessive des soins palliatifs lorsque ses adeptes font « de la survie biologique un absolu ». Le Dr Marc Desmet a fait une mise en garde « contre le danger d’absolutiser la vie ». Des philosophes et moralistes sont d’accord avec l’idée « que la personne avec un P majuscule a préséance sur la vie avec un V, même à partir de Pie XII ». Nous remarquons que les positions dans ce débat dépendent des perceptions que les participants, les uns et les autres, ont développées face aux rapports entre la vie et la mort : « Si la mort fait partie intégrante de la vie, alors la mort est une étape de la vie. Le droit de mourir avec dignité devrait être protégé comme n’importe quel autre aspect du droit à la vie ». La mort étant l’instant où se produit la rupture avec la vie, il est donc « normal et naturel que l’on participe librement à la manière de réaliser cette rupture, si la situation le permet ».

Autre point important, c’est la relation thérapeutique, la relation médecin et équipe médicale avec le malade. Dans le passé, disent des médecins, « nous nous sommes souciés du bien du patient, de le soulager et de l’accompagner ». Maintenant, ils s’interrogent : « sommes nous prêts à respecter sa volonté, à lui reconnaître le droit de décider lui-même de son bien? Avant, c’étaient les médecins qui décidaient, là on essaie de collaborer avec le patient ». L’un deux se permet de citer un texte soumis à la Commission :

« Il importe de situer la question d’aide à mourir à l’intérieur d’un modèle particulier de relation thérapeutique. Le malade et le médecin se considèrent avec leurs compétences respectives, comme des partenaires égaux, libres et autonomes, engagés dans une communication bilatérale et dans une responsabilité partagée. Le malade se trouve, selon son expérience de la maladie et de la souffrance, au centre du processus décisionnel comme un interlocuteur valable et légitime ».

Ce lien interdépendant a été bien ressenti par un médecin, membre de la Commission : « comme médecin , comment je peux être sûr que mon jugement est supérieur au jugement de la personne [malade] ? » Comment puis-je juger « à sa place » ce qui est bon ou pas bon pour lui? Une personne lui répond : « vous connaissez la maladie mieux que lui, je m’imagine ». Elle craint que la décision prise par un malade « dans le vide » créera un précédent. « Si l’on permet à une seule personne de s’enlever la vie ou si on l’assiste à enlever sa vie […], pourquoi pas moi, pourquoi pas vous, pourquoi pas ma voisine? » C’est ainsi que l’on aborde le problème de la dérive ou du dérapage.

La dérive

La légalisation de l’euthanasie peut exercer un « effet d’entraînement », d’imitation ou de contagion sur un plan strictement personnel, comme un participant l’exprime en termes simples : « si l’euthanasie est acceptée par ma grand-mère, pourquoi moi, jeune, je ne puis pas me libérer de ma souffrance par le suicide ? » Or, il y a une distinction à faire entre deux situations différentes : une décision d’un malade, jeune ou vieux, en fin de vie dont les souffrances physiques ou psychiques sont devenues insupportables et la décision d’un jeune ou d’un aîné ne se trouvant pas dans une situation de fin de vie, mais qui pour des raisons d’ordre mental, moral ou psychique décide de s’enlever la vie. Son geste ne sera pas pénalisé, car il est soustrait à la loi. La prévention du suicide demeure un travail de première importance dans ces cas. Mais toute cette question ne fait pas partie de l’objet de la présente Commission. On ne peut pas légitimement prouver l’existence de liens de cause à effet entre légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté en fin de vie, d’une part, et le suicide des jeunes et des aînés ou de toutes les autres personnes vulnérables ou fragilisées, d’autre part.

Une crainte, exprimée dans les débats à plusieurs reprises, est celle des pressions économiques, institutionnelles, sociales et même familiales qui s’exercent sur les aînés et les plus vulnérables de la société. Devenus "fardeau social", ces groupes pourraient constituer des boucs émissaires ou des victimes que l’on sacrifierait injustement pour des raisons bassement utilitaristes. Ce risque à portée aussi grave que antihumaniste, devra être prévenu dans la formulation même de toute législation concernant l’euthanasie et le suicide assisté.

Ce qui frappe dans les débats, c’est l’espace qui y était occupée par des jugements portés sur les Pays-Bas et la Belgique où l’euthanasie a été légalisée. Certains commentaires sont favorables : « force est d’admettre qu’il n’y a pas dans les pays où les États ayant légalisé l’euthanasie et le suicide assisté, d’abus à ces égards. Ce sont des actes de compassion ». Un médecin affirme : «Moi, j’ai rencontré personnellement des médecins belges, français, hollandais qui ont pratiqué de l’euthanasie, puis je vous jure, s’ils s’étaient ici, sur le plan de l’humanisme, sur le plan de la compassion, sur le plan de la compétence, ils n’ont rien à nous envier ».

D’autres appréciations, cependant, sont non seulement défavorables, mais négatives au point d’être inexactes en s’appuyant sur des chiffres non vérifiés et d’être partisanes et subjectives. La peur de la pente glissante est exploitée à excès et déforme les données recueillies. Donnons-en quelques statistiques : « en 2009, on compte 2 636 décès par euthanasie, soit 45 % de plus qu’en 2008. Ce chiffre n’inclut pas les 550 euthanasies involontaires, sans consentement, les 400 cas de suicides assistés ni les 20 % d’euthanasies non rapportées. […] Deux études en Flandres révèlent qu’une euthanasie sur deux n’est pas rapportée en comité d’évaluation de contrôle fédéral, une sur deux. Et 32 % des euthanasies en Flandres sont réalisées sans consentement ».

Dr Marcel Boisvert tente de rétablir les faits et rectifier les chiffres du rapport Mc Gill qui s’appuient sur des données périmées : « en page 30 du rapport on lit : 50 % des cas néerlandais d’aide médicale au suicide ou à l’euthanasie ne sont pas rapportés. Or deux des références de 1992 et 2004 réfèrent à des faits antérieurs à 1990 et à 2001, année des révisions officielles néerlandaises. Un rapport dans le New England Journal de 2007 très souvent cité résume les données de 1990, 1995, 2001 et 2005. Les pourcentages de cas rapportés sont respectivement de 18 %, 40 %, 54 % et 80 % en 2005. D’un coup d’œil, on voit là une quasi-ligne droite dont la pente raide pointe au-delà de 95 % en 2010, c’est-à-dire un maximum atteignable dans ce genre de compilations. Nous sommes très loin de 50 % qui remonte à des données antérieures à 2001 ».

Selon des médecins québécois, qui ont consulté leurs collègues aux Pays-Bas et en Belgique, ceux-ci leur ont recommandé de ne pas légaliser l’euthanasie, mais ils refusent, sauf une exception, en même temps d’être publiquement identifiés, phénomène qui pose une question en soi-même. Certains de ces médecins pratiquent parfois l’euthanasie et ils vivent alors beaucoup de difficultés et de troubles personnels. Plusieurs d’entre eux avouent avoir subi la pression, l’intimidation de la part des patients et des familles désireuses d’obtenir l’euthanasie ». Ce malaise démontre que la législation autour de l’euthanasie et des soins en fin de vie est une réalité très politisée sujette à toutes formes de positions partisanes qui n’a plus rien à faire avec le bien-être physique et psychique de la population.

Aux Pays-Bas, où l’euthanasie des moins de 16 ans n’est pas légale, les médecins ont défini le « protocole de Groningen » à la suite duquel « sont pratiquées annuellement autour de vingt euthanasies chez les enfants qui ne donnent pas leur consentement ». Ce protocole exige pourtant le consentement éclairé des jeunes concernés. « Comment expliquer qu’aux Pays-Bas, se demande un médecin québécois, en plus de trente ans de pratique euthanasique et en dépit d’un apparent sophistiqué de recours et de surveillance, il n’y ait aucune poursuite pénale à la suite de dizaines de milliers d’euthanasie? ». Ces chiffres sont-ils exacts? La description offerte ci-dessus par des médecins québécois qui prônent les soins palliatifs correspond-elle à la réalité? Qu’ils me permettent d’en douter.

En 1986, nous avons fait une année de recherche, à l’Instituut voor Gezondheidsethiek à Maastricht, sur le processus de la légalisation de l’euthanasie en cours, Nous avons interrogé un grand nombre de médecins, de théologiens, de juristes, d’éthiciens, de psychiatres et autres professionnels de la santé sur le sujet, nous ne nous reconnaissons pas dans ce désordre tel que décrit ci-dessus. En effet, les Néerlandais forment un peuple très ouvert au débat public entre les diverses communautés religieuses et associations laïques, un peuple très organisé mais flexible, respectant le libre arbitre des individus et très attentif aux personnes et à leurs besoins.

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12