L'Encyclopédie sur la mort


Celan Paul

De son vrai nom Pesakh Antschel, poète roumain d’origine juive et de langue allemande naturalisé français et suicidé à Paris. Né à Czernoviz en Bucovine, ancienne province de l'Autriche-Hongrie devenue roumaine en 1918. Sa mère est issue de la bourgeoisie germanophone, très attachée à l'empire des Habsbourg. Son père appartenait à une communauté juive très stricte d'origine ukrainienne qui pratiqua avec ardeur l'hébreu et le yiddish. Après ses études de médecine en France, il revient en Roumanie à la fin des années 30, à l’université de Cernăuţi, pour se consacrer à l'étude de la littérature de langue romane. Son père et sa mère, arrêtés et déportés, périrent, le premier par le typhus en 1942 et la deuxième, par une balle dans la nuque en 1943 dans le camp de concentration de Michailowka. Pendant quelques années, il fut éditeur et traducteur à Bucarest. À Vienne il publia son premier livre Der Sand aus den Umen (Le Sable des urnes), et à Paris, il enseigna l'allemand, où il épousa Gisèle de Lestrange,artiste rencontrée en 1951 à laquelle il écrira plus de 700 lettres.Son deuxième livre, Mohn und Gedächtnis (Pavot et Mémoire), parut en 1952. Son poème le plus connu, Todesfuge (Fugue de la Mort) a pour thème le sort des juifs dans les camps d'extermination. Parlant parfaitement le français, il n’a voulu écrire que dans sa langue maternelle allemande:

«... je tiens à vous dire combien il est difficile pour un Juif d'écrire des poèmes en langue allemande. Quand mes poèmes paraîtront, ils aboutiront bien aussi en Allemagne et - permettez-moi d'évoquer cette chose terrible -, la main qui ouvrira mon livre aura peut-être serré la main de celui qui fut l'assassin de ma mère... Et pire encore pourrait arriver... Pourtant mon destin est celui-ci : d'avoir à écrire des poèmes en allemand.» (Lettre de 1946)

«Son vocabulaire allemand est complexe avec des alliages nouveaux, des inventions de mots secrets et étranges, des importations de mots hébreux. [...] À la langue des bourreaux Celan a opposé une "contre-langue". De cette langue allemande souvent montée vers l'obscur et profondément imprégnée de mort, il fait une langue de la rédemption, du salut. La poésie de Paul Celan est une lutte victorieuse contre la langue. Le monde a été cassé et le poète ne peut le rassembler à nouveau que dans les brisures de ses mots. Des mots fixes - pierre, fleur, ombre, sable, mort, larme, voix, heure, vide, tombes,..- , côtoient des mots fluctuants, reconstruits en cassant la langue allemande. Cette langue maternelle qu'il doit assumer et laver de toutes ses impuretés...» (Enzo
Traverso,«Paul Célan, Poète d'après le déluge», www.espritsnomades.com/sitelitterature/celan/celanpaul.html

«Celan a vécu l’Holocauste des Juifs, dans lequel ont péri ses parents, comme une nuit absolue qui anéantit toute possibilité d’histoire et de vie véritable, et il a plus tard expérimenté l’impossibilité de s’enraciner dans la civilisation occidentale. […] Sa poésie se penche sur les bords du silence, c’est une parole arrachée à l’absence de parole, et qui est le fruit de cette absence, du refus et de l’impossibilité de communiquer dans le mensonge et l’aliénation. Ses vers difficiles sont tissés, avec une extrême hardiesse de vocabulaire et de syntaxe, de ces négations, de ces dénégations qui expriment le seul sentiment qui puisse authentiquement exister. […] Celan a disparu dans la nuit, dans les eaux de la Seine où il a cherché la mort. Un de ses vers dit: “Je fais de la lumière derrière moi”; la poésie est cet éclair qui indique l’endroit où il a disparu, en emportant ses vers» (C. Magris, Danube, Paris, L’Arpenteur, 1988, p. 393-395).

L’auteur de La rose de personne (1963) entretint une correspondance émouvante avec Nelly Sachs (1891-1970), poète lyrique et dramaturge, de 1954 jusqu’à sa mort. Nelly est, comme lui, juive de langue allemande, exilée hors de l’Allemagne à cause du nazisme, notamment en Suède. Comme lui, elle vit des rapports ambigus avec la langue allemande, la langue de l’oppresseur et pourtant «la seule chose qui demeure parmi toutes les choses perdues». En 1966, elle partage le prix Nobel de la littérature avec Samuel Yosef Agnon (1888-1970), écrivain hébreu. Nelly mourut le jour où Celan a été inhumé.

Bibliographie
Florence Heymann,
«Paul Celan de Czernowitz à Paris: "Entre lieu et abîme, par ta mémoire"», Bulletin du Centre de recherche français de Jéusalem dont voici quelques extraits.

Extraits
Et pourtant, contrairement à ce qu’il écrivait « Ainsi il y a encore des temples. Une étoile a sans doute encore de la lumière Rien, rien n’est perdu. Hosanna (49). », la lumière va s’éteindre dans la nuit du 19 au 20 avril 1970. Celan se donne la mort en se jetant dans la Seine. « De la dalle du pont, d’où il a rebondi trépassé dans la vie, volant de ses propres blessures, — du Pont Mirabeau (50).

Accessible, proche et non perdue, au milieu de tant de pertes, il ne restait qu’une chose : la langue. Elle, la langue, restait non perdue. Oui, malgré tout. Mais il lui fallut alors traverser ses propres absences de réponse, traverser l’horreur des voix qui se sont tues, traverser les mille ténèbres du discours porteur de mort. Elle traversa et ne trouva pas de mots pour ce qui était arrivé. Mais elle traversa cet événement et put remonter au jour “enrichie” de tout cela. C’est dans cette langue que, au cours de ces années-là et de celles qui suivirent, j’ai essayé d’écrire des poèmes afin de parler, de m’orienter, afin de savoir où j’étais et où cela m’entraînait, afin de me donner un projet de réalité (54).

Notes accompagnant ces extraits

49. «Also/ stehen noch Tempel. Ein/ Stern/hat wohl noch Licht./ Nichts,/ nichts ist verloren./ Hosianna.» Paul Celan, Strette & Autres Poèmes, trad. J. Daive, Paris, Mercure de France, 1990, p. 38-39.
50. «Von der Brücken-/ quader, von der/ er ins Leben hinüber-/ prallte, flügge/ von Wunden, — vom/ Pont Mirabeau.» Paul Celan, Die Niemandsrose, La Rose de personne, p. 148-149.
54. Voix de Paul Celan dans le film Paul Celan. Au-dessus des châtaigniers.
Texte intégral de cet article:
http://bcrfj.revues.org/document104.html

Poème
Todesfuge

(…)
Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland
wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken
der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau
er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau
ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete
er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft
er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister aus Deutschland

dein goldenes Haar Margarete
dein aschenes Haar Sulamith

Fugue de la mort (traduction de l'allemand par John E.Jackson)
[...]
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
nous te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne
nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu
il te touche d’une balle de plomb il te touche juste
un homme habite dans la maison tes cheveux d'or Marguerite
il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel
il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne

tes cheveux d’or Margarete
Tes cheveux de cendre Sulamith nous creusons
une tombe dans les airs on n’y est pas couché à l’étroit
(Pavot et mémoire publié en 1952)

Ulysses http://livraie.blogspot.com/2007/12/paul-ceylan-1920-1970.html)

Lien

Martin G. Laramée

http://mjglaramee.blogspot.com/search/label/Éthique%20du%20tragique

C’est à cette piété de la pensée comme mémorial de l’abomination de l’inimaginable que Celan va produire cette écriture-blessure que nous nous proposons de questionner par une herméneutique de l’autostance et de la relation du sujet à la mémoire, concepts importants au sein de l’interprétation de ce type de discours.

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10

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