L'Encyclopédie sur la mort


Thanatopraxie au Québec (Embaumement)

Yves Hébert

Yves Hébert lève le voile sur un pan important de l'histoire du Québec en ce qui concerne le traitement des cadavres et notamment de l'embaumement. Parallèle au développement des techniques, la profession des embaumeurs, leur fonction, leur statut social et leur formation prennent de l'envergure. Très liée au secteur de la santé, notamment au transport des malades, et à l'Église catholique, qui résiste d'abord à l'embaumement, puis à la crémation, la profession acquiert ses titres de noblesse et se dote d'un code de déontologie et d'éthique. La révolution tranquille a fait son oeuvre et la «thanatologie» est née, à ne pas confondre avec les études interdisciplinaires sur la mort, établies à l'université du Québec dans les années 1960-1970 qui revendique le même nom de «thanatologie» comme en France où la «thanatopraxie» désigne la profession de l'embaumement, de la crémation et de la sépulture.
Du croque-mort au thanatologue

Une profession qui se fait reconnaître

L'expression «croque-mort» est très ancienne. On l'utilise en France au XVIII° siècle pour désigner la personne qui transporte les dépouilles au cimetière. Dans la littérature québécoise du XIX° siècle, elle est rarement utilisée. Bien que l'embaumement soit séculaire et présent dans plusieurs civilisations, il ne semble pas été pratiqué au Québec avant 1898.

Au Québec, il semble que les premiers entrepreneurs de pompes funèbres apparaissent dans la première moitié du XIX° siècle. Leur savoir-faire provient sans doute de l'Angleterre, puisque là-bas ils sont chargés de fournir les vêtements de cérémonie, dont les crêpes, les gants et les cordons de chapeaux au clergé, aux officiants et aux choristes. Au Canada, ceux-ci aident les familles à préparer le défunt et ils louent un corbillard pour le cortège funèbre. À Québec, en 1845, Germain Lépine fonde une entreprise pionnière dans le domaine funéraire, connue aujourd'hui sous le nom de Lépine-Cloutier. En se procurant des corbillards de différents styles, les Lépine répondent au besoins diversifiés des familles de toutes classes sociales.

L'embaumement est une technique de conservation du corps qui tarde à être adoptée au Québec. Cette pratique connaît une mode en Europe au XVIII° siècle, mais disparaît, sans doute pour des raisons religieuses, au siècle suivant. Cette technique refait toutefois surface aux États-Unis lors de la guerre de Sécession entre 1861 et 1865. Durant ce conflit, on raconte que le docteur Thomas Holmes embauma environ 4 000 soldats. Aux États-Unis, le métier d'embaumeur licencié semble naître avec le XX° siècle, en Calfornie.

La Première Guerre mondiale et la grippe espagnole ne sont pas étrangères à l'adoption de la technique de l'embaumement pratiquée dans les années suivantes. On connaît depuis un certain temps cette technique puisqu'on la mentionne dans le traité élémentaire de matière médicale publié en 1890 par les Soeurs de la Charité de l'Asile de la Providence à Montréal. Le premier, semble-t-il à Québec, est exécuté par Adélard Lépine en 1898, sur le corps du premier cardinal canadien Mgr Elzéar-Alexandre Taschereau. On raconte aussi qu'il existait au Québec des embaumeurs itinérants qui offraient leurs services aux entrepreneurs de pompes funèbres.

Avec les années, l'expression directeur de funérailles est de plus en plus utilisée pour désigner les entrepreneurs de pompes funèbres. Ces derniers ont cherché à se faire reconnaître dans un Québec fort sécularisé. Dans les années 1920, on les désigne de plus en plus sous le nom d'embaumeurs car certains entrepreneurs adoptent cette pratique. On les voit graduellement dans les régions rurales et ceux-ci pratiquent l'embaumement dans les maisons. En 1920, on trouve un embaumeur à Jonquière. En 1926, certains d'entre eux créent une association provinciale connue sous le nom de «Directeurs de funérailles de Québec».

Un des premiers laboratoires d'embaumement est mis sur pied en 1928, à Québec, par Arthur Cloutier. À la même époque à Lévis, l'entrepreneur de pompes funèbres Charles Moisan offre le même service. Celui-ci ouvre son entreprise en 1893, peu de temps après l'ouverture de l'Hôtel-Dieu de Lévis. L'entreprise de Moisan est acquis par Jos. P. Thibault dans l'année 1930. Elle offre un service particulier aux familles et à au moins un entrepreneur de pompes funèbres de la Côte-du-Sud. En effet, à une époque où de nombreux malades provenant de Montmagny décèdent à l'Hôtel-Dieu de Lévis, il est courant de faire embaumer les défunts par Jos. P. Thibault. Dès que la dépouille est préparée, celui-ci la place à bord du train, dans un cercueil, en direction de Montmagny.

Dans les années 1930, l'entrepreneur de pompes funèbres a donc la possibilité de devenir embaumeur. Mais cette pratique ne fait pas l'unanimité dans le clergé. Pour exercer cette technique, les curés de certaines paroisses, comme à Saint-Denis-de-Kamouraska, exigent que l'embaumeur soit marié. En 1935, l'embaumement est soumis à des règles précises par le gouvernement du Québec. Selon une modification de la Loi sur les inhumations, l'entrepreneur de pompes funèbres est alors obligé d'obtenir une copie du certificat de décès avant d'embaumer un corps.

Devant l'augmentation des demandes pour les produits d'embaumement, certaines manufactures de cercueils décident d'étendre leur marché. C'est le cas de la manufacture de Léopold Girard et de Hector Godin, située à Trois-Rivières et connue sous le nom de Girard et Godin. Cette industrie offre une gamme exceptionnelle de produits pour l'entrepreneur de pompes funèbres et l'embaumeur.

Dans les années 1940 et 1950, on assiste à l'ouverture d'un grand nombre de salons funéraires. Dès lors, le besoin de faire reconnaître la profession et de mieux former les directeurs funéraires se fait sentir. En 1957, l'association des directeurs de funérailles de Québec fait place à la Corporation des directeurs de funérailles et embaumeurs de la province du Quèbec. Elle compte alors 473 membres. Deux années plus tard, sous l'impulsion de la Corporation, on met sur pied le premier collège des embaumeurs de la province de Québec. Les cours sont offerts à la faculté de médecine dentaire de l'université de Montréal. Depuis 1962, l'Église catholique reconnaît la crémation comme mode de sépulture*. Mais c'est à la suite de la Révolution tranquille, au milieu des années 1970 que l'incinération prend de plus en plus d'ampleur en Amérique du Nord. Les crématoriums font leur apparition et ce n'est qu'au milieu des années 1980 que l'Église accepte de consacrer le même décorum aux funérailles en présence des cendres à l'église avec un voile sur l'urne. Lors de l'office religieux, l'urne était déposée sur un banc, à l'avant de l'église afin de lui accorder le moins d'importance possible. En 1965, la Corporation des directeurs de funérailles et des embaumeurs se donne un premier code déontologique qui permet une meilleure reconnaissance de cette profession. De nombreux directeurs funèbres doivent alors adapter leurs services en fonction des nouvelles tendances et de code d'éthique.

Avec la reconnaissance officielle de l'Institut des embaumeurs et avec l'évolution de cette profession, l'image de l'entrepreneur de pompes funèbres se transforme. Ainsi, à partir de 1972, la Corporation des directeurs de funérailles et d'embaumement de la province du Québec fait place à la Corporation des thanatologues du Québec. Le mot «thanatologue», forgé à partir des mots grecs thanatos et logia, fait son apparition. Ayant étudié les aspects biologiques et sociologiques de la mort, le thanatologue développe une approche globale en tenant compte de la sensibilité des parents et des proches du défunt, Le thanatopracteur, lui, développe et applique des méthodes pour l'embaumement et la conservation de la dépouille pour l'exposition.

L'industrie du cercueil a un peu plus d'un siècle. Au Québec, elle naît dans un contexte où la mortalité est très élevée, particulièrement dans les grandes villes. En 1914, le Québec compte sept manufactures de cercueils et le nombre s'accroît avec les années pour atteindre 24 en 1968. Puis le nombre chute à 12 en 1978. En 2000, on a estimé à une quinzaine le nombre de fabricants de fournitures funéraires au Québec.

À Montmagny, l'un des premiers à fabriquer des cercueils est Jean Baptiste Normand. Celui-ci ouvre d'abord une menuiserie qui devient bientôt une manufacture de cercueils. En 1920, son entreprise est acquise par un groupe d'hommes d'affaires de Montmagny. Ces derniers demandent à Albert Normand d'améliorer son industrie et de la développer dans les anciens bâtiments de la Compagnie Thibault limitée, une ancienne fabrique de portes et de chassis qui était située rue Saint-Louis. En janvier 1925, un incendie cause des dommages considérables à l'industrie. Cela n'empêche pas la compagnie de poursuivre ses activités. Dans les années 1930, on n'hésite pas à vanter les «caskets» ou cercueils fabriqués à Montmagny. En 1948, cette usine est toutefois acquise par Henri Boulet, un industriel de Montmagny. Connue sous le nom des Cercueils Montmagny, l'entreprise fabrique 15 modèles en bois d'épinette, en chêne, en noyer et en acajou. Son marché s'étend de Terre-Neuve à Vancouver et, en 1951, une soixantaine d'employés y travaillent. Cette année-là, Henri Boulet fait déménager son usine dans la quartier industriel. Celle-ci sera exploitée jusqu'en 1957.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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