L'Encyclopédie sur la mort


Les centres de soins palliatifs : l'ultime accompagnement

Maryse Dubé

Le premier centre de soins palliatifs a été inauguré à Londres en 1960; Montréal suivra en
1974 à l’Hôpital Royal Victoria. Depuis plus de trente ans, on a vu les centres de soins
palliatifs se multiplier un peu partout au Québec. Certains sont logés dans une section
spécifique d’un hôpital ou d’un CHSLD1, d’autres ont pignon sur rue et ont généralement
des ententes avec des organismes de santé. Ces centres ont pour mandat d’accompagner
les personnes qui vont mourir en exerçant un contrôle sur la douleur, de manière à ce
qu’elles puissent vivre leurs derniers jours en compagnie de leurs proches, dans un
environnement apaisant et respectueux des émotions qui surgissent.

Le personnel infirmier et les bénévoles sont en étroite collaboration avec la famille afin
de s’assurer qu’il y ait le moins de souffrance possible. C’est un accompagnement qui se
fait en équipe, afin que le passage de la vie à la mort ne soit pas traumatisant. Quand on
constate que le malade bouge plus qu’à l’ordinaire, que son comportement est inhabituel,
qu’il semble inconfortable ou impatient, on est en droit de croire que les médicaments ne
font plus effet. Les doses sont alors ajustées en conséquence. C’est important non
seulement pour la personne en fin de vie, mais aussi pour les proches qui souffrent devant
la douleur de celle-ci.

Il n’y pas d’heures de visites dans les centres de soins palliatifs. Les chambres sont
aménagées pour accueillir un conjoint, un parent, ou un ami jour et nuit. Habituellement,
un petit salon est disponible pour les visiteurs, ainsi qu’une cuisinette pour les repas. Les
gens peuvent même apporter et réfrigérer les plats favoris de l’être cher, dans le but de les
lui servir au moment opportun.

Afin de soutenir ces organisations, il existe une association qui regroupe plus de 1200
membres comprenant des professionnels et des bénévoles2. C’est beaucoup de monde
pour une tâche qui semble a priori rébarbative. Sachant que cela implique de côtoyer la
tristesse et parfois même la colère que suscite une mort imminente, quel profil doit-on
avoir pour être bénévole auprès des mourants? Faut-il s’être endurci à la souffrance
d’autrui? Avoir un vécu de deuil significatif? Être soi-même un « ressuscité » qui a vu la
mort de près? Monsieur Gilles Cardinal, président du conseil d’administration de la
coopérative Maska à Saint-Hyacinthe, est lui-même bénévole depuis huit ans pour un
centre de soins palliatifs Les Amis du Crépuscule3. Il a généreusement accepté de nous
rencontrer pour répondre à quelques questions.

De prime abord, Monsieur Cardinal est un homme paisible et serein. En sa présence, on
se sent bien. Son calme est contagieux et, à l’écouter parler, on comprend rapidement
qu’il a le cœur à la bonne place. Déjà, c’est plus qu’il n’en faut pour y voir un modèle
type de ceux qui choisissent ce genre de bénévolat... à une chose près, car les hommes
sont plutôt rares. Tous ont cependant ce même désir d’aider les autres dans quelque chose
de fondamental où le contact humain est primordial, et se disent privilégiés
d’accompagner une personne en fin de vie.

Mais avant de s’impliquer auprès des mourants, on doit d’abord avoir réglé ses propres
deuils, avoir vérifié sa capacité à côtoyer la mort et avoir évalué ses motivations, nous
dira monsieur Cardinal. Dans son cas, c’est la mort d’un être cher qui a été l’élément
déclencheur. « J’ai été fortement ébranlé par la mort de mon frère. Je l’avais
accompagné ses deux dernières nuits. Ce fut un décès rapide que j’ai vécu comme un
choc. À partir de là, j’ai décidé de quitter mon travail à 57 ans, et j’ai fait des démarches
pour suivre la formation d’accompagnement aux soins palliatifs. »

La formation offerte par les organisations aborde habituellement la capacité d’écoute des
participants. Être à l’écoute, c’est être capable de soutenir les longues périodes de silence
qui entourent les mourants, sans vouloir à tout prix provoquer une conversation.
« Toutefois, une simple petite question comme : Trouvez-vous le temps long? peut aider à
démarrer un échange », précise monsieur Cardinal. De façon générale, les patients ont
besoin de jaser. Principalement quand surviennent les périodes de solitude. Ils attendent
quelqu’un qui ne vient pas, ou encore ils ont des craintes, des regrets ou des secrets à
partager.

Parfois les confidences sont lourdes à recevoir. Parfois aussi des événements touchent
plus particulièrement le cœur des accompagnants. Il est très difficile de voir un mourant
attendre un fils ou une fille avec qui il était en froid, et de constater que l’ultime
réconciliation ne se fera pas. Certaines personnes retardent leur mort dans l’espoir de
vivre ce moment, et terminent finalement leur vie dans la tristesse et la désolation de
n’avoir pu échanger des pardons.

D’une journée à l’autre, les bénévoles ne savent jamais à quoi s’attendre. Cependant, peu
de gens sont dans le déni et espèrent encore une guérison au moment de mourir. Tous
finissent par accepter, quand ils se sentent très faible, qu’ils n’ont plus la force de se lever
et plus le goût d’échanger avec les autres. C’est à ce moment qu’une transition se fait,
qu’ils passent du déni à l’acceptation. Plusieurs demandent comment ça se passe quand
on meurt. « Je leur réponds qu’ils n’auront pas peur, car j’ai pu constater que la plupart
tombent endormis au moment où la mort vient les chercher. Ça se passe toujours dans la
douceur, il n’y a rien de violent. » Néanmoins, ceux qui sont les plus sereins devant la
mort sont les gens qui se sont intériorisés, tels les religieux et certaines personnes âgées,
ajoutera Monsieur Cardinal.

Et que fait-on devant la famille qui refuse d’admettre que l’être cher va mourir ? « On ne
les confronte jamais. À partir de l’évaluation que les médecins ont faite, on leur demande
simplement à combien elles estiment les chances que la personne s’en sorte. Ça les aide à
prendre conscience qu’une guérison est peu probable. Souvent s’installe alors une
période de réflexion et un cheminement se fait. Quand les larmes se mettent à couler,
c’est plus difficile pour les hommes, car ils ne savent pas pleurer. Il faut juste être près
d’eux et attendre, parce qu’ils n’arrivent pas à parler, alors que chez les femmes c’est
différent. »

Devant l’ensemble des émotions et des situations difficiles qui se présentent, comment
peut-on se protéger d’un trop-plein d’émotion quand on agit comme accompagnateur ?
« Malgré le peu de temps passé avec ces gens, un lien authentique se développe. On finit
par les aimer et on a de la peine quand ils partent. Alors, on fait attention pour ne pas
s’épuiser et on fait ce qu’il faut pour se ressourcer. » Aux Amis du Crépuscule, des
ateliers de ressourcement, des lectures et des symposiums sont proposés aux bénévoles et
abordent certains thèmes, tels le pardon et la souffrance. Ce sont des occasions qui
permettent de socialiser et qui offrent la possibilité de s’améliorer en tant qu’individu.

Dans un centre de soins palliatifs, on ne parle pas de curatif. C’est vraiment pour les
personnes dont l’état de santé se détériore et qui ne sont plus en mesure d’être soignées.
L’espérance de vie est de quelques semaines à trois ou quatre mois. Se peut-il toutefois
qu’une rémission survienne ? « Ce n’est pas fréquent, mais ça arrive », dira monsieur
Cardinal. Les conditions ne se détériorent pas à la vitesse prévue et par conséquent, leur
séjour risque d’être prolongé jusqu’à 6 mois. Comme ces centres sont réservés pour ceux
qui en ont besoin à court terme, ils sont alors relocalisés. « Et là, les gens sont déçus de
quitter l’unité, parce que c’est un lieu auquel on s’attache. » Sans doute est-ce dû à cette
chaleur humaine qu’on ne retrouve pas souvent ailleurs.

Bien que ce soit un lieu où la mort est omniprésente, on y prend le temps de vivre avec
humanité. Les personnes qui interviennent auprès des mourants sont plus attentives aux
besoins exprimés et plus près des gens aussi. Devant la perte et le chagrin, ce qu’il y a de
plus noble en l’humain cherche à s’exprimer, un peu comme si l’on souhaitait laisser
pour dernière image celle de l’amour pour son prochain.

Alors que la vie nous échappe, peut-on se préparer à mourir ? « Quand on apprend que
nos jours sont comptés, on doit tout d’abord absorber le choc. Ensuite, on se retrousse
les manches et on est prêt à se battre pour gagner. Tout le monde veut vivre. Mais en
bout de ligne, on le perd quand même, le combat. L’important, c’est de dire tout ce qu’on
a à dire à ceux qu’on aime avant de mourir. Échanger des pardons… faire la paix ». Et
le rôle des accompagnateurs est essentiellement de les diriger vers cette voie. Au besoin,
ils peuvent même les aider à faire certaines démarches : écrire une lettre, effectuer un
appel, aviser un ami. Au dire de monsieur Cardinal, l’enrichissement personnel que
procure cette expérience ne se mesure pas.

Après le décès, les familles peuvent se recueillir auprès du défunt le temps qu’il faut pour
faire leurs adieux de façon plus intime. Certaines personnes en profitent pour coiffer la
personne décédée ou même la vêtir de ses vêtements préférés. C’est bénéfique pour les
proches de poser des gestes qui traduisent leur affection, car ils permettent d’enclencher
le processus de deuil en prenant la pleine mesure de la perte qui les afflige.

© Maryse Dubé, 2012

Notes

1 Centre hospitalier de soins de longue durée
2 Réseau de soins palliatifs du Québec http://www.aqsp.org/
3 Les Amis du Crépuscule, 650, rue Girouard Est, Saint-Hyacinthe (Québec) J2S 2Y2
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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