L'Encyclopédie sur la mort


Judas au Moyen Âge

Jean-Pierre Bordier

La figure de Judas ne cesse d'inspirer les écrivains, romanciers et dramaturges. Le XXI ° siècle ne paraît pas disposé à rompre avec l'habitude de récrire la vie, les pensées, les déchirements du traître par excellence. Si un geste peut résumer une vie, c'est sans doute le baiser qui contient de nos jours l'essence du personnage. Il s'en allait pas ainsi au Moyen Âge. Les récits de Judas au Moyen-Âge font de Judas un «pendu» et un «damné», en un mot un proscrit sans possible rédemption.
«Les maîtres de morale et de spiritualité ont médité davantage sur le désespéré, les théologiens ont analysé à perte de vue la damnation de Judas pour comprendre la prédestination et la grâce. Les uns et les autres tenaient compte de la trahison, mais ils partaient du principe que saint Pierre n'avait pas commis un moindre péché en reniant son maître. Pourtant, l'un de ces deux apôtres avait été damné et l'autre élu. Pierre s'était repenti et avait fait appel à la miséricorde divine, Judas lui aussi avait dit Peccavi, mais il n'avait pas demandé le pardon qui lui aurait ouvert le chemin du salut.

Pour les uns comme pour les autres, l'image qui résume Judas est celle du pendu. Les vies légendaires de Judas aboutissent à la même image en rapportant des événements inconnus de sources canoniques. La naissance, l'enfance et la jeunesse de Judas y sont racontées tantôt sur le modèle d'un mythe antique et païen, celui d'Oedipe*, tantôt en relation avec le premier criminel de l'histoire biblique, Caïn*. Le remploi de motifs narratifs bien connus rend possible la création d'une nouvelle biographie mythique qui met en jeu les relations familiales fondamentales, les rapports entre des générations successives et les rapports entre frères à l'intérieur de la même génération. Ces éléments ne justifieraient peut-être pas à eux seuls l'expression «mythe de Judas» s'ils n'étaient pas pris à leur tour dans un ensemble plus vaste qui intéresse l'histoire humaine depuis la Création jusqu'au Jugement dernier, qui intéresse le cosmos. Paradis, terre et enfer, qui intéresse surtout le conflit qui oppose le christianisme au judaïsme. L'enjeu ultime du mythe de Judas, c'est l'affirmation du triomphe de l'Église dans l'histoire et pour l'éternité.» (p. 209-210)

L'auteur de cet article rappelle d'abord les quelques données fournies par le Nouveau Testament, sans lesquelles les vies médiévales de Judas resteraient incompréhensibles. Puis, il présente quelques documents qui font de Judas un fils parricide et incestueux, à l'instar d'Oedipe ou même un fratricide en lui attribuant le meurtre d'un frère adoptif plus jeune qui attire Judas dans la mouvance de Caìn. L'auteur commente l'ancrage de ces récits dans les réalités sociales du Moyen-Âge et et en dégage leur portée mythique.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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