L'Encyclopédie sur la mort


Argent, estime de soi et dignité

Vincent Gaulejac

Vincent Gaulejac est professeur de sociologie , UFR de sciences sociales, université Paris 7 Denis-Didertot. «Avec le développement du capitalisme et de l'individualisme, le moi de chaque individu est devenu un capital qu'il convient de faire fructifier . Dans ce contexte, il n'est pas surprenant de constater un rapport entre la valorisation et la dévalorisation de soi-même et l'argent» (V. Gaulejac). Un travail rémunéré est déterminant pour accéder à l'autonomie et à une vie digne. Pourtant la valeur des êtres et des choses ne peut se réduire à des considérations monétaires. L'argent n'est qu'une valeur instrumentale au service de valeurs plus fondamentales comme l'amitié et l'amour, la justice et l'équité, comme la liberté des individus et le développement de leurs potentialités. Si l'argent dépasse ses propres limites, il mène à des désordres sociaux (anomie selon Durkheim*) qui. à leur tour, conduisent à des crises* suicidaires.
[...] En définitive, le manque d'argent est une faute, un échec*, une souillure dans un monde dans lequel la valorisation passe par la compétition pour le profit et les statuts des individus sont fonction de leurs revenus. Les idéalismes religieux ou politique qui cherchent à réconforter les pauvres et et à réhabiliter leur image, ou encore à susciter la compassion* et le désintéressement, ne parviennent pas à enrayer ni les processus d'exclusion* dont les pauvres sont l'objet ni la course effrénée pour l'enrichissement.

C'est que l'argent nous confronte à une contradiction majeure.

D'un côté, il est objectivement un élément central pour se positionner dans le monde, s'affirmer comme sujet, développer sa liberté, étayer l'estime de soi. Le travail est devenu le facteur déterminant de l'existence sociale alors que pendant longtemps il était vécu comme une honte, parce qu'il confère une dignité qui permet d'accéder à l'indépendance financière, donc à l'autonomie* [...] Dans la vie sociale, la considération et l'estime de soi se mesurent au montant des revenus et de la consommation. :'argent est le signe tangible de la réussite.

D'un autre côté, chacun convient qu'on ne peut ramener tout à l'argent, que la valeur des êtres et des sentiments ne peut se réduire à des considérations monétaires: l'amour n'a pas de prix! L'amour ne s'achète pas au même titre que l'honneur, la liberté, la dignité ou la vie elle-même. D'où le refus d'attribuer à l'argent une quelconque valeur et parfois d'afficher au besoin un mépris pour ce qu'il représente.

[...]

L'argent [...] est au coeur des rapports entre dieu et le diable, entre le bien et le mal, entre ce qui donne valeur aux personnes, aux êtres humains et ce qui les dévalorise ou les invalide. [...] L' argent est là au milieu des contradictions [comme le] le prix que chaque être humain attache à sa liberté, à son combat pour exister, pour se conduire comme un sujet qui refuse de se laisser réduire à sa valeur marchande.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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