Pas à pas avec la nature

Pas à pas avec la nature est notre traduction de The Natural Step, groupe qu'un médecin suédois, oncologue, Karl-Henrik Robèrt a créé pour préciser les conditions générales du développement durable. Par-delà le nom du groupe ainsi créé, l'expression The Natural Step désigne l'ensemble des principes autour desquels le groupe tente de susciter un concensus dans le monde.

L'équipe originale, composée d'une cinquantaine de scientifiques, s'est transformée depuis en un puissant réseau de plus de 10 000 Suédois (scientifiques, économistes, artistes, ingénieurs, fermiers, enseignants, designers industriels, avocats, psychologues, architectes et médecins). Une soixantaine de compagnies et autant de municipalités utilisent cette méthodologie pour redéfinir leurs opérations en fonction d'un développement durable.

Voici, selon The Natural Step, les quatre conditions essentielles de ce développement:

1. Les substances provenant de la croûte terrestre ne doivent pas systématiquement augmenter dans la biosphère. Les métaux, les combustibles fossiles et autres minéraux ne doivent pas être extraits à un rythme plus élevé que ce qui peut être retourné et réabsorbé par la lithosphère.
2. Les substances produites par la société humaine ne doivent pas systématiquement augmenter dans la biosphère. Les matériaux fabriqués par l'homme ne doivent donc pas être produits plus vite qu'ils ne sont décomposés et réintégrés dans les cycles naturels, ou déposés à l'intérieur de la croûte terrestre et transformés à nouveau en matières premières naturelles.
3. Les bases physiques de la productivité et de la diversité naturelles ne doivent pas être systématiquement détériorées. Nous ne devons pas diminuer en quantité ou en qualité la productivité de la biosphère, ni prélever dans la nature plus que ce qu'elle peut reconstituer.
4. Les besoins humains doivent être satisfaits par un usage juste et efficace de l'énergie et des ressources naturelles. Cela nécessite un accroissement de l'efficacité technique et organisationnelle partout sur la planète, particulièrement dans les régions les plus riches.

Ces principes ont servi de guide au virage environnemental d'Interface. Mais, pour atteindre le développement durable, une entreprise publique ne doit pas seulement s'orienter dans la bonne direction, elle doit aussi constituer une valeur pour ses actionnaires. Chaque étape vers le développement durable doit devenir une plate-forme pour les étapes suivantes et doit être solidement étayée par des résultats positifs, aussi bien sur le plan économique que sur le plan écologique. À cette fin, le département de recherche et développement d'Interface, Interface Research Corporation (IRC), a mis au point le programme EcoSense qui est responsable de la performance environnementale d'Interface et qui lui fournit des indicateurs pour mesurer ses progrès. Chaque étape du processus manufacturier a été examinée, depuis les achats jusqu'à la distribution du produit. Chaque opération a été analysée et évaluée sur la base de la qualité du produit, de l'efficacité des procédés et de son impact sur l'environnement. L'estimation de l'impact écologique de toutes les activités d'Interface a tenu compte du flux des matériaux et de l'énergie, des rejets dans l'air et dans l'eau, du recyclage, etc. Chaque paramètre a été évalué et l'ensemble de ces mesures, regroupées sous le nom d'EcoMetrics, constituent les valeurs de base à partir desquelles on évalue les progrès. Par ailleurs, les 6300 employés d'Interface ont été mis à contribution au moyen d'un programme de bonus appelé QUEST (Quality Utilizing Employee Suggestions and Teamwork, qu'on pourrait traduire par « recherche de la qualité à partir des suggestions des employés et de leur travail d'équipe »). Cette initiative a permis des économies substantielles en incitant les employés à traquer le moindre déchet, le moindre gaspillage de matériaux ou d'énergie et à faire des suggestions pour améliorer les pratiques de la compagnie. Au total, depuis 1994, Interface a réduit ses coûts de 40 millions de dollars et elle pense atteindre 76 millions à la fin de 1998. Les épargnes générées par le programme QUEST ont servi à financer les premiers investissements de la compagnie dans son virage environnemental.

Essentiel

« C'est la démesure dans la consommation et le développement sous forme de croissance qui sont en cause au fond. Tant qu'ils subsisteront, les efforts pour naturaliser la production industrielle ne seront pas vains certes, car ils ont un sens en eux-mêmes, mais ils risquent de donner des résultats qui décevront et décourageront ceux qui ont besoin d'escompter des résultats pour persévérer dans l'action.

Aussi bien est-ce la démesure dans la consommation, dont les Occidentaux ont donné l’exemple et dont ils demeurent les champions, qui d’ores et déjà compromet la paix entre les civilisations. Cette démesure est elle-même un acte de guerre, car elle a pour prix une atteinte à l’environnement et une mainmise sur les ressources naturelles qui compromet l’avenir de tous les pays qui aspirent à la même richesse.

Dans le passé, la seule façon pour un pays d’accroître ses richesses au-delà de ce que donnait sa terre et le travail de ses habitants, c’était la conquête militaire. Un pays pouvait ainsi profiter des ressources naturelles et du travail des pays voisins, ou lointains, comme ce fut le cas pour les colonies des pays européens. Cette façon de faire avait l’avantage d’être transparente. Les profiteurs étaient bien identifiés et on pouvait espérer redresser la situation par une guerre de revanche.

La plupart des pays colonisés sont aujourd’hui indépendants et les conquêtes militaires en vue d’une occupation sont rares, du moins dans les régions industrialisées. Faut-il en conclure que les pays puissants sont devenus purs au point de renoncer à profiter de la richesse et du travail des autres? Il faut plutôt noter que la spoliation se fait par des voies détournées : en consommant plus que sa juste part des richesses de la planète et en hypothéquant l’avenir de la même planète par une pollution qui est à la mesure de la consommation, c’est-à-dire excessive. À quoi il faut ajouter l’exode des cerveaux vers les pays déjà riches dans ce domaine comme dans les autres.

S’il y avait surabondance de produits naturels désirables et nécessaires, le mot spoliation serait un peu fort. Mais ce n’est pas le cas : toutes les ressources sont limitées, à commencer par l’eau et l’oxygène. L’utilisation de la technique et du capital pour prélever plus que sa part de ces ressources est une opération plus efficace et plus rentable que la guerre, pour parvenir aux mêmes fins. Cette méthode a aussi l’avantage de présenter des avantages immédiats pour les pays lésés. Le Québec, par exemple, a pu accélérer son industrialisation en vendant son fer à rabais aux Américains. Comme en outre l’injustice commise de cette façon est légale et qu’on met un certain temps à en mesurer l’ampleur et la portée, elle passe souvent inaperçue dans l’immédiat. La prise de conscience tardive n’en sera que plus amère. Quand les Chinois et les Indiens, devenus riches, voudront leur voiture individuelle et leurs 500 litres d’eau par jour, et qu’ils ne les trouveront pas parce que la planète ne sera pas en mesure de les leur fournir que feront-ils, que ferions-nous à leur place?

Les accords de Kyoto ont justement pour but de limiter les effets de cette injustice. C’est pourquoi la défection des États-Unis a été ressentie si vivement. On voit mal comment le dialogue entre les civilisations pourrait se faire dans la sérénité, si les accords de ce genre ne se multiplient pas et ne sont pas respectés. Cela suppose, de la part des savants, des penseurs et des dirigeants, une concertation sans précédent de même que l'existence des institutions et des outils intellectuels appropriés à cette tâche ».

JACQUES DUFRESNE, «La tectonique des civilisations», L'Agora, vol 9, no 1, fév.-mars 2001.

Enjeux

Dans nos choix écologistes, il est essentiel de faire la différence entre les énergies non renouvelables et souvent polluantes, et celles qui n'ont pas ces limites. Le pétrole et le charbon sont de la première sorte et l'énergie solaire, de la deuxième. Alors pourquoi sommes-nous dépendants de formes d'énergie qui sont littéralement des sources de pollution? Ainsi que le démontre le savant et économiste Nicholas Georgescu-Roegen, la difficulté s'adresse aux scientifiques:
Le flux d'énergie solaire nous parvient avec une intensité extrêmement basse, comme une pluie très fine, presque une brume microscopique. Ce qui différencie essentiellement cette pluie de la vraie pluie est que cette pluie de radiations ne se rassemble pas naturellement dans des ruisselets, des ruisseaux, des rivières et finalement dans des lacs d'où nous pourrions la tirer en grandes quantités, comme c'est le cas avec les chutes d'eau. Imaginez la difficulté à laquelle on ferait face si on essayait d'employer directement l'énergie cinétique de quelques gouttes de pluie microscopiques, au moment où elles tombent. L'utilisation directe de l'énergie solaire (sans passer par l'énergie chimique des plantes vertes ou par l'énergie cinétique du vent et des chutes) présente les mêmes difficultés. Mais cette difficulté n'est pas synonyme d'impossibilité.

Articles


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Jacques Dufresne
Conférence prononcée au 14e colloque du Réseau québécois de Villes et Villages, à l'Hôtel Sheraton de Laval,le 3 octobre 2002.

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