Ail

L'ail commun (allium sativum), une plante à bulbe de la famille des liliacées, originaire des steppes d’Asie Centrale, est utilisée dans le monde entier.

De tous temps, l'ail a été utilisé à des fins médicinales. Or, on sait depuis les travaux de Pasteur en 1858 qu'il contient une substance bactéricide, l’allicine, ce qui le place parmi les antibiotiques naturels.
Il en existe de nombreuses variétés sauvages telles que l'ail des ours en Europe, et l'ail des bois en Amérique du Nord.

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L'ail selon un commentateur de l'Antiquité, Pline l'Ancien
«L'ail passe, dans les campagnes surtout, pour un bon remède en plusieurs cas. Il est recouvert complètement de pellicules très-fines, et qui se séparent. Il est formé par la réunion de plusieurs noyaux qui ont chacun des enveloppes particulières; le goût en est âcre, et d'autant plus que les noyaux en sont plus nombreux. L'ail, comme l'oignon, rend l'haleine mauvaise; cependant, cuit, il ne produit pas cet effet. Les espèces se distinguent par les époques de la maturiét; l'ail précoce mûrit en soixante jours; elles se distinguent aussi par la grosseur. L'ulpicum est dans cette classe; appelé par les Grecs ail de Chypre, par d'autres antiscorodon, renommé, en Afrique surtout, parmi les ragoûts rustiques, il plus gros que l'ail; broyé dans de l'huile et du vinaigre, il produit une écume qui se boursoufle d'une manière étonnante. Quelques-uns recommandent de ne pas planter l'ulpicum et l'ail dans un terrain uni, et de mettre les gousses par tas dans de petites monceaux de terre éloignés les uns des autres de tro
is pieds: il doit y avoir entre les gousses la distance d'un doigt; et dès que trois feuilles sont sorties, il faut sarcler. Plus l'ail est sarclé, plus il grossit. Quant il commence à mûrir, on en couche la tige, qu'on recouvre de terre; cette précaution empêche qu'il ne monte en feuille. Dans les localités froides, il est plus avantageux de le planter au printemps qu'en automne. Au reste, pour que l'ail ne donne pas d'odeur à l'haleine, on prescrit de le planter quand la lune est sous l'horizon, de le récolter quand elle est en conjonction. Indépendamment de ces recommandations, Ménandre, parmi les Grecs, dit que ceux qui mangent de l'ail n'ont aucune odeur, si par-dessus il mange de bette grillée sur des chardons ardents. Il en est qui pensent que l'époque la plus propice pour planter l'ail et l'ulpicum est entre les fêtes Compitales (le 2 mai) et les Saturnales (le 17 décembre). L'ail vient aussi de graine, mais tardivement: en effet, la première année la tête atteint la grosseur d'un poireau, l'année suivante elle se divise en gousses, la troisième elle est parfaite; quelques-uns croient que de cette façon l'ail est plus beau. Pour reproduire l'ail on doit non pas le laisser monter en graine, mais en tordre la tige, afin que la tête grossisse. Si l'on veut garder longtemps l'ail et l'oignon, il faut les humecter avec de l'eau salée tiède: ils s'en conserveront mieux, seront d'un meilleur usage, mains ne vaudront rien pour planter. D'autres se contentent de les suspendre au-dessus de charbons allumés, et pensent que cela suffit pour les empêcher de germer. Il est certain en effet que l'ail et l'oignon germent hors de terre, et qu'ils se réduisent à rien après avoir poussé une tigelle. Il est un ail qui vient spontanément dans les champs; il se nomme alum (allium arenarium, L.): pour se préserver des ravages des oiseaux dévorant les semailles, on le jette sur les terres, cuit, afin qu'il ne pousse pas; les oiseaux qui en mangent, frappés aussiôt de stupeur, se laissent prendre à la main; et si vous vous arrêtez un peu, vous les voyez s'endormir. Il est encore un ail sauvage qu'on nomme ail d'ours (allium ursinum, L.); l'odeur en est douce, la tête très-petite, les feuilles grandes.»

PLINE L'ANCIEN, Histoire naturelle, Livre XIX, XXXIV, traduit et annoté par Émile Littré, Paris, éd. Dubochet, 1848-1850, tome 1, p.728-729. Voir l'édition en ligne de BIUM.

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Ail (Allium sativum), gravure publiée dans l'ouvrage Hortus Sanitatis, Mainz, 1485
Crédit : U. S. Department of Agriculture, Agricultural Research Service, Vegetable Crops Research Unit


Montaigne soutenait que c'est suivant «exemple et expérience» qu'il faut soigner, en s'inspirant de l'usage des anciens. À preuve le malheur des villageois de Lahontan dont le sain mode de vie fut corrompu par l'arrivé d'un médecin. «Et au lieu de l'ail, dequoy ils avoyent apris à chasser toutes sortes de maux, pour aspres et extremes qu'ils fussent, il les accoustuma pour une toux, ou pour un morfondement, à prendre les mixtions estrangeres, et commença à faire trafique, non de leur santé seulement, mais aussi de leur mort.
Ils jurent (...) que depuis l'usage de cette medecine, ils se trouvent accablez d'une legion de maladies inaccoustumées, et qu'ils apperçoivent un general deschet, en leur ancienne vigueur, et leurs vies de moitié raccourcies.»
MONTAIGNE, Essais, Livre II, Chapitre XXXVII

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Femme cajun inspectant ses tresses d'ail qu'elle a mises à sécher.
Photo: Lee Russell, 1938, Office of War Information, Library of Congress

Enjeux

L'ail des bois en danger
L'ail des bois (allium tricoccum) pousse à l'état sauvage au début du printemps.
Hélas, la cueillette abusive a eu un impact si grave sur sa population que l'espèce est désormais vulnérable. Au Québec, la cueillette massive (plus de 50 bulbes) et le commerce d'ail des bois sont interdit.
photo prise en mai 2004

- Fiche informative d'Environnement Québec sur l'ail des bois.
- Un reportage de la Semaine Verte sur l'ail des bois.
- Conseils pour cueillir l'ail des bois tout en respectant l'environnement.


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Antibiotiques naturels et enjeux financiers: La saga de l'Allicin (extrait)

«Les normes d'hygiène, dont on s'est si souvent servi pour justifier la centralisation en agriculture, ne m'ont pas toujours paru d'une parfaite rationalité. Je me suis souvent demandé si les polluants naturels n'avaient pas été remplacés par des polluants artificiels tels, par exemple, les résidus de détergents chimiques dans les tuyaux chromés des nouvelles fermes. Et que dire des tuyaux de plastique dans les érablières? Quelle fut, quelle est encore la part des modes et des techniques de marketing dans tout cela?

Pourtant c'est cela et rien d'autre que nos gouvernements ont subventionné sous prétexte que la science et le progrès étaient de ce côté.

Voici une histoire vraie, à laquelle j'ai été associé de très près, qui montre bien comment les choses se sont passées en réalité, qui montre aussi comment la science peut servir d'autres types d'agriculture.

Ramenons nos calendriers à 1981-82. Il y a eu à ce moment une grave épidémie d'hémophilus dans les porcheries de toutes les régions du Québec. L'année précédente, une épidémie semblable avait contraint les autorités du Danemark (peut-être était-ce la Hollande) à ordonner l'abattage de tous les porcs du pays. Une solution semblable aurait coûté des centaines de millions au Québec, mais pour notre bonheur, un jeune vétérinaire particulièrement brillant, avait découvert en Italie un antibiotique efficace contre l'hémophilus.

À ce moment, j'avais une tribune dans le journal Le Devoir. Le jeune vétérinaire en question, Jacques Laberge, est venu me rencontrer pour me faire part de ses inquiétudes. Ce n'est pas l'épidémie qui le préoccupait, puisqu'elle était en régression, mais la quantité d'antibiotiques déversés dans les porcheries. Quelques années auparavant, un chercheur japonais avait découvert que la résistance acquise dans une bactérie vivant dans un animal peut être communiquée à une bactérie active chez les humains. Déjà à ce moment, l'abus des antibiotiques dans l'élevage industriel constituait un danger pour l'espèce humaine et pour les animaux eux-mêmes, bien entendu. Le docteur Jacques Laberge m'a alors appris qu'on utilisait les antibiotiques, à la fois comme stimulant de croissance, comme remède préventif et comme remède curatif. Comme il venait lui-même d'ajouter des doses massives d'antibiotiques curatifs (pour lutter contre l'hémophilus) à ceux qui avaient déjà été utilisés à d'autres fins dans les porcheries du Québec, il avait de bonnes raisons d'être inquiet.

(…) Riche de ses ventes d'antibiotiques découverts en Italie, le docteur Jacques Laberge se lança dans des recherches sur les travaux effectués entre 1930 et 1945, au Brésil notamment. Il disposa bientôt de toutes les preuves que certaines espèces d'ail (plus que d'autres) avaient de remarquables propriétés bactériostatiques et même bactéricides. Un an plus tard, il m'annonçait qu'il avait commencé la commercialisation d'un produit à base d'ail comme stimulant de croissance. Il avait déjà fait des études prouvant que son produit était plus efficace que les antibiotiques. Ses ventes connurent un démarrage fulgurant et une chute toute aussi fulgurante. Il découvrit un bon ou plutôt un mauvais matin, qu'un inspecteur du fédéral avait mis les scellés sur les portes de sa petite usine. On l'accusait de vente illégale d'un produit pharmaceutique. Or il vendait de l'ail mélangé à de fines herbes. Les cochons raffolaient de ce condiment que Jacques Laberge mettait dans ses salades et dans ses sauces à spaghetti!

Il y avait anguille sous roche. Comment un ministre, ou un haut fonctionnaire, avait-il pu donner à un subalterne l'ordre de procéder d'une manière aussi brutale, quand l'offense consistait à offrir des condiments aux cochons du Québec? Il faut toutefois préciser que le docteur Jacques Laberge avait eu la bonne idée de donner à son produit le nom du principe actif de l'ail: Allicin, ce qui l'apparentait à un médicament. Aucune loi ne lui interdisait d'agir ainsi. Il s'attaquait à un marché de plusieurs dizaines de millions de dollars pour le Québec seulement et ce marché avait été jusque là la chasse gardée des compagnies pharmaceutiques. Pardonnez-leur Seigneur car ils ne savent ce qu'ils font!

(…) Ayant conclu que la cause valait quelques semaines de bénévolat, nous avons formé une équipe bien décidée à aller au fond des choses. Jacques Laberge s'occupait de parfaire le dossier scientifique, Pierre [Lacombe] et Hannah [Obermeier] des médias, Hélène Laberge et moi-même de la rédaction du texte final et de diverses autres tâches délicates, dont l'une s'est avérée particulièrement difficile: trouver un chercheur en médecine vétérinaire qui soit totalement libre à l'égard des compagnies pharmaceutiques. C'est un professeur de chimie à la retraite de l'Université Laval qui nous tira d'affaires à la onzième heure.

La conférence de presse eut finalement lieu à Montréal et elle a pris la forme d'un procès où nous accusions simultanément le gouvernement fédéral et les compagnies pharmaceutiques, Eli Lily en particulier. Il ne faut douter de rien. La salle était bondée de journalistes et de représentants de l'industrie pharmaceutique. Chaque fois qu'un chercheur se levait pour nous attaquer, nous précisions à l'intention des journalistes les sommes qu'il avait reçues des compagnies pharmaceutiques l'année précédente.

Notre dossier scientifique comportait une centaine de pages bien serrées où l'histoire des rapports entre l'industrie pharmaceutique et l'élevage industriel était racontée. Je devrais dire «révélée», car pour la plupart des gens qui nous écoutaient ce fut une révélation. Les premiers grands élevages, construits pendant la guerre de 1939-45,furent d'abord un échec. Comme on pouvait le prévoir, ils ont été ravagés par des infections.Au même moment l'industrie pharmaceutique mettait à l'essai les premiers antibiotiques. Vous pouvez deviner ce qui se passa ensuite. Elles ont racheté force élevages en faillite qu'elles ont rentabilisés en y déversant des antibiotiques sans compter. Elles créaient ainsi un modèle et un marché imprenable pour les décennies à venir.

(…) Le surlendemain, nos condiments pour cochons furent l'objet d'un débat à la Chambre des communes à Ottawa. Et les scellés furent enlevés sur les portes de l'usine d'Allicin. Hélas! dans les semaines qui suivirent, notre cher Jacques Laberge devait subir de la part du fisc fédéral des attaques dont il ne se remit jamais.

On peut tirer bien des leçons de cette aventure. Elle met en relief le fait que, cette utilisation des antibiotiques qui apparaissait comme une pure et belle avancée de la science et de la rationalité, fut en réalité un phénomène complexe où les intérêts économiques et le pouvoir politique avaient au moins autant d'importance que la science. Jacques Laberge avait brisé un modèle en mettant l'agriculture moderne et la science (dont l'agriculture moderne prétendait avoir le monopole) en opposition. Le remplacement des antibiotiques par de l'ail était, en un certain sens, un retour au traditionnel, mais la science la plus avancée, la plus créatrice et la plus responsable était de ce côté et non du coté de l'agriculture moderne. Voilà la nouveauté dont très peu de gens ont mesuré l'importance en 1982.» (suite et texte intégral)

© DUFRESNE, Jacques, L'agriculture du troisième genre, conférence présentée au 10e Colloque en gestion agricole de l'Estrie

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