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Le défi Internet

Jacques Dufresne
Présentation
FranceMonde ou FrancophonieMonde? La Francophonie va-t-elle s'enfoncer dans une nouvelle lutte de pouvoir alors que s'offre à elle une occasion unique de relever dans l'enthousiasme le grand défi Internet?
Tout indique que TV5 sera bientôt intégrée à FranceMonde, un nouvel organisme comprenant aussi Radio France Internationale et France 24. La ministre québécoise de la Culture, Christine St-Pierre s'oppose au pilotage unique de cet organisme, dont seule TV5 relève de la Francophonie. On peut présumer que ses collègues du Canada, de Suisse et de Belgique partagent son inquiétude. La Francophonie va-t-elle s'enfoncer dans une nouvelle lutte de pouvoir alors que s'offre à elle une occasion unique de relever dans l'enthousiasme le grand défi Internet. Voici un plaidoyer, fondé sur l'histoire des médias au XXe siècle, en faveur de FrancophonieMonde, un organisme qui, pour pouvoir relever le défi Internet, s'inspirerait de cette définition de la Francophonie: « manière d'être au monde, imprégnée du désir d'échapper à la solitude des nations, à la domination des unes, à la soumission des autres.» Jean-Marie Borzeix.

En 1932, considérant que la radiodiffusion est une forme d'éducation et désirant conserver sa souveraineté dans ce domaine, le Canada confia à une société d'État la responsabilité de ce nouveau média. Il mettait ainsi fin aux espoirs qu'avaient les Américains de créer sur son territoire des succursales de leurs propres stations commerciales privées. La plupart des pays en mesure de le faire protégèrent leur espace radiophonique avec la même énergie. En 1967, l'Europe refusa le standard américain de télévision, le NTSC. L'Allemagne adopta le PAL, la France, le SECAM. Les autres pays du monde choisirent, en nombres à peu près égaux, l'un de ces trois standards. Les pays de l'Est de l'Europe, la Russie et l'Ukraine notamment, choisirent le procédé SECAM, ce qui provoqua aux États-Unis de nombreux commentaires hostiles à l'endroit de la France. Les pays francophones d'Afrique choisirent également le SECAM et c'est à ce moment que la Francophonie commença à prendre forme. Moins de dix ans plus tard, le monde était déjà sur la voie d'un protocole unique pour Internet et la chose paraissait aller de soi, à un point tel qu'il n'y eut pas de grands débats publics sur le sujet. Que savons-nous sur ce qui s'est passé? Et quel enseignement pouvons-nous tirer de ces évènements pour mesurer l'impact actuel et futur d'Internet et pour préparer les alternatives nécessaires aux monopoles américains que la norme unique a favorisés.

Extrait
Tout indique donc que l'acte de naissance du réseau Internet tel que nous le connaissons a été un acte autocratique, un choix de type militaire qui cadrait mal avec la grande vision démocratique du partage des connaissances dont l'ensemble du projet était nimbé. C'est sans doute cette grande vision, ajoutée à la fascination suscitée par les prouesse techniques, qui explique que les bonnes consciences démocratiques du monde entier aient pu si bien s'accommoder d'un procédé qui aurait normalement dû soulever un tollé de protestations.

Texte
La gratitude avec laquelle on accueille le monopole américain sur Internet, en Occident en particulier, est une chose bien étonnante, du moins si on l'interprète à la lumière des récents accords internationaux sur la diversité culturelle, ou si on la compare à la façon dont la radio et la télévision ont été accueillies au XXe siècle. La fascination qu'exerce Internet triomphe de toutes les résistances et fait apparaître la moindre manifestation d'esprit critique comme une régression identitaire.

Que se passe-t-il? Les historiens eux-mêmes semblent médusés au point de ne pas juger bon de faire la lumière sur les origines récentes du grand empire culturel qui se consolide sous nos yeux. Culturel ai-je dit? Une culture qui se chiffre par centaines de milliards de dollars et qui provoque dans la publicité une révolution profitant d'abord à quelques grands acteurs internationaux, tous américains de souche et d'esprit. Mais évitons surtout de semer le doute sur une telle réussite en affaires, c'est l'admiration qui s'impose!

Parmi les décisions importantes prises au XXe siècle, il y eut le choix d'un protocole unique pour Internet, le TCP-IP (Transmission Control Protocol-Internet Protocol). Ce protocole unique semble si intiment lié à la nature d'Internet et à sa mission que nul ne songe à contester le choix qui l'a rendu possible. Et ne serait-ce que pour faire face aux problèmes écologiques planétaires en ce moment, l'humanité n'avait-elle pas impérieusement besoin d'un tel outil? Ce n'est donc pas dans le but de pouvoir en contester l'existence qu'il faut s'intéresser à la genèse du protocole, mais tout simplement parce qu'il s'agit d'un évènement historique très important

Comment ce choix s'est-il fait? Les populations ont-elles participé à la décision par l'intermédiaire du leur gouvernement? Y eut-il des débats, dans les parlements, dans les médias? C'est le secret le mieux gardé du monde. On sait seulement que les premiers pas en direction du protocole unique ont été faits au cours de la décennie 1970. Le flou entourant ces tractations est d'autant plus suspect que la question des procédés de la télévision avait fait grand bruit au cours de la décennie précédente. Les rares documents traitant de la question des origines de la norme unique sur Internet indiquent que tout s'est passé entre techniciens et universitaires, sous les yeux intéressés des autorités militaires américaines et de celles de l'OTAN. La date à retenir est 1974. C'est en effet au cours de cette année que Vinton Cerf et Robert Kahn ont présenté la norme TCP-IP à un groupe de collègues: anglais, norvégiens, français, italiens allemands. Dans le numéro du printemps 2004 de la revue en ligne The Amateur Computerist, Ronda Hauben a fait le point sur l'histoire de cette norme. Il y a avait déjà plusieurs protocoles à l'étude et à l'essai, aux États-Unis mêmes ainsi qu'en France et en Angleterre. Le caractère officiel du groupe, s'il y en eut un, ne semble pas avoir eu beaucoup d'importance. Il y eut de nombreuses réunions au cours de la décennie et quelques mises au pas assez énergiques

On a peine à imaginer toutefois que ces techniciens dont le Français Louis Pouzin, architecte du protocole Cyclades , aient pu agir à l'insu des autorités de leur pays. On sait par exemple, par l'article de The Amateur Computerist, qu'à un certain moment l'Anglais Peter Kirstein a reçu l'ordre de cesser de coopérer avec les Américains, ce qu'il refusa de faire. Vinton G. Cerf est aujourd'hui vice-président et « Chief Internet Evangelist » de Google, Louis Pouzin fait plutôt partie de la dissidence.

Tout indique néanmoins que l'acte de naissance du réseau Internet tel que nous le connaissons a été un acte autocratique, un choix de type militaire qui cadrait mal avec la grande vision démocratique du partage des connaissances dont l'ensemble du projet était nimbé. C'est sans doute cette grande vision, ajoutée à la fascination suscitée par les prouesse techniques, qui explique que les bonnes consciences démocratiques du monde entier aient pu si bien s'accommoder d'un procédé qui aurait normalement dû soulever un tollé de protestations.

On pouvait encore s'interroger, il y a quelques décennies, sur l'importance de la technique comme moteur de l'histoire, distinct à la fois de l'économique et du politique. Non seulement il n'est plus possible de douter du caractère distinct de la technique, mais encore il nous faut prendre acte du recul du politique et de l'économique devant cette force souveraine. Le rôle déterminant joué par les techniciens dans l'accord sur la norme unique en est la preuve. Les décideurs de l'économie et de la politique ont profité en parasites du fait accompli par la technique plutôt de le planifier et de l'encadrer.

Et la technique dans ce cas précis a exercé une fascination d'autant plus grande qu'elle se mettait au service de la valeur suprême en ce moment: le choix, individuel bien entendu et facilité par une offre personnalisée. Des mass media, on est ainsi passé aux ego media. Le GPS et la publicité ciblée sur Internet sont apparus en même temps. La Technique a des attentions divines pour chacun d'entre nous, elle nous repère à un mètre près sur la vaste planète et nous indique le restaurant végétarien le plus proche si nous sommes végétariens. Sur Internet à l'occasion d'une recherche, elle nous propose le livre qui correspond à nos goûts en ce moment. Vous pouvez bénéficier de ses conseils où que soyez et quoique vous fassiez, grâce à votre téléphone cellulaire, sans cesser d'écouter, casque à l'oreille, votre musique préférée.

Dans l'histoire connue d'Internet, cette vision est rattachée à un informaticien psychologue, J.R.C Licklider, qui ne craignait ni les grands mots ni les grands moyens C'est lui, en effet, qui rêva à haute voix d'un réseau intergalactique et rassembla les savants capables de le créer. Est-ce cette vision généreuse qui incita les maîtres du jeu, Microsoft, Google et quelques autres à offrir gratuitement les services et les logiciels nécessaires au développement rapide du grand réseau? L'énoncé de mission de Google est tout aussi intergalactique que le rêve de Licklider: «organiser l’information mondiale et la rendre universellement accessible et utile.» Intergalactiques, les profits découlant de la partie immergée de la mission le sont encore davantage. Quelle est cette partie immergée? Tirer un revenu publicitaire de tous les services offerts gratuitement et pousser ainsi à son ultime perfection un modèle d'affaires en usage depuis longtemps dans l'industrie culturelle américaine: donner pour tirer ensuite profit de ses dons: C'est dans cet esprit que les États-Unis firent cadeau au Canada de ses deux premières stations de télévision. Après quoi le grand pays bilingue adopta le procédé américain NTSC, alors qu'il aurait eu intérêt à lui préférer le procédé français SECAM. Dans le cas d'Internet, le monde entier, pays par pays, découvre en ce moment que le prix à payer pour le partage des connaissances est un pouvoir sans précédent accordé à une même puissance étrangère. Puissance étrangère? Quel est donc ce vocabulaire rétrograde, d'où vient cette xénophobie? La puissance d'un empire ne se mesure-t-elle pas à la culpabilité qu'il induit dans l'âme de celui qui a la tentation de protester contre sa soumission?

Dans le cas de la télévision, nous le savons tous, il n'y eut pas d'accord international sur les règles de communication. Trois pays voulurent pour des raisons économiques, politiques et culturelles utiliser et répandre leur propre standard: les États-Unis eurent le NTSC, la France eut le SECAM et l'Allemagne le PAL. Le Japon adopta le NTSC, la majorité des pays d'Europe de l'Ouest adoptèrent le PAL, mais les principaux pays du Bloc soviétique, la Russie et l'Ukraine notamment, adoptèrent le SECAM français, ce qui suscita aux États-Unis les commentaires malveillants que l'on imagine: on accusa la France de Charles de Gaulle d’avoir mis son propre procédé au point avant tout pour empêcher les Américains de diffuser leurs émissions en Europe.

Voici quelle fut la position officielle du Canada, cinquante ans plus tôt, dans le cas de la radio, dont les Américains souhaitaient qu'elle se développe comme Internet aujourd'hui: selon les lois du marché, sans intervention des nations. «La radiodiffusion n'est pas plus un business que le système d'éducation. [...] La radiodiffusion est un instrument d'éducation au sens le plus large du terme. Le maintien, l'expansion de la liberté, le progrès, la pureté de l'éducation exigent que la radiodiffusion soit sous la responsabilité de la volonté populaire. La liberté ne saurait être complète, ni la démocratie suprême si les intérêts commerciaux règnent sur la vaste, la majestueuse ressource de la radiodiffusion. » Il s’en est suivi que la loi sur la radiodiffusion créant la société d'État radio Canada a été votée en 1932, à un moment où, à cause de la crise économique, il pouvait sembler plus sage de laisser le champ libre à l'entreprise privée.

Le lien avec l'éducation est encore plus manifeste dans le cas d'Internet que dans le cas de la radio. Qu'est-ce qui a changé à ce point depuis 1932 ? Qu'est-ce qui fait paraître tout à fait normale une atteinte à la souveraineté qui provoquait hier une levée de bouclier? La politique américaine du soft power, portée par un courant historique profond en direction de l'égalité et du choix individuel, semble avoir parfaitement réussi. Les forces de fragmentation, dont parlait Joseph Nye, l'un des théoriciens du soft power, ont joué leur rôle. Il en résulta un transfert du sentiment d'appartenance des nations, et des ensembles culturels comme la Francophonie, vers l'empire mondial dominé par les américains de manière si douce que l'opération est perçue comme une libération. Il en résulta également une babélisation des cultures par les choix individuels au détriment de l'héritage culturel.

Le président de Google, Eric Schmidt, souhaite pousser encore plus loin la sollicitude de la méga machine à l'endroit des individus «Nous ne pouvons même pas répondre aux questions les plus élémentaires à votre sujet, parce que nous n'en savons pas encore assez sur vous. » a-t-il déclaré à Londres en mai dernier. «Le but est de rendre les usagers de Google capables de poser des questions du genre : "Qu'est-ce que je ferai demain? Quel emploi devrais-je accepter? " C'est l'aspect le plus important de l'expansion de Google.» L'article du Daily Mail dans lequel ces propos sont rapportés a pour titre: Google vous surveille: «le colosse d'Internet amasse une terrifiante quantité d'information sur chacun d'entre nous.»

Ici encore l'indignation n'est pas la première réaction. Si Big Brother respecte le credo libéral, Big Brother n'est pas Big Brother. Il ne faut commencer à s'inquiéter que lorsque Vladimir Poutine annonce que, grâce au GPS russe, il saura toujours où est son chien. Il y a là un autre sujet d'étonnement. En matière de respect de la vie privée, les gens sont beaucoup plus tolérants à l'égard des entreprises privées qu'à l'égard des États. Dans le hall d'entrée du Googleplex, on peut voir sur un écran géant les transactions en cours sur le moteur de recherche. Un écran semblable à l'entrée de l'édifice des Nations Unies provoquerait l'indignation générale, moins vive aujourd'hui toutefois qu'elle ne l'aurait été hier. Ne sommes-nous pas à l'heure de la transparence?

De toute évidence, les temps sont favorables aux empires. La diversité des croyances réduit l'attachement aux nations, sans donner le sentiment de la puissance. Mieux vaut alors se fondre dans un empire; on s'y perd, mais on y gagne en puissance et on y trouve des consolations pour les échecs subis sur son propre terrain.

Il y a là une occasion à saisir pour la Francophonie, «cette manière d'être au monde, imprégnée du désir d'échapper à la solitude des nations, à la domination des unes, à la soumission des autres.» Si une réalité correspond à cette définition de Jean-Marie Borzeix, la Francophonie pourrait en effet être le lieu de l'une des premières grandes alternatives au monopole américain.

Cela serait possible à certaines conditions:

  • Que le soft power américain soit mieux compris du grand public et des décideurs; qu'un comité de vigilance suive l'évolution des rapports de force sur Internet et précise à intervalle régulier les initiatives possibles et les menaces qui pèsent sur les intérêts culturels et économiques des Francophones
  • Un site comme le Journal du Net qui suit l'évolution du marché de la publicité en ligne indique la voie à suivre. Il faudrait que l'équivalent existe pour la Francophonie et que l'ensemble du sujet Internet soit couvert, qu'on puisse trouver sur ce site des données à jour sur le pourcentage d'étudiants qui utilisent Internet, sur la fracture numérique et sur les conditions auxquelles les divers produits culturels de langue française pourraient être distribués en ligne.
  • Noter que trois choses distinguent principalement Internet made in USA par rapport au cinéma ou à la télévision, domaines dans lesquels les Américains ont aussi une position dominante dans le monde.

  • La norme unique
  • La disparition de la barrière des langues
Google, Microsoft, Yahoo parlent la langue du client, lequel peut ainsi avoir ainsi l'illusion d'être maître du jeu. Cette politique accroît le pouvoir que la norme unique donne aux vrais meneurs du jeu. Dans le cas de la télévision, la barrière des langues a favorisé le développement de la télévision de langue française au Canada. Faute d'une telle barrière, les Canadiens de langue anglaise ont pris l'habitude d'écouter la télévision américaine.
  • L'accent mis sur la maîtrise des outils de création et de recherche plutôt que la création elle-même.
Comme en outre le client peut, pour communiquer ses idées, utiliser les outils mis à sa disposition par les vrais maîtres du jeu, il s'estime heureux. À ce stade il ignore encore qu'il contribue à enrichir les propriétaires des moteurs de recherche qui indexent ses documents.
  • Que le lien entre la culture matérielle et la culture intellectuelle soit étudié en profondeur, qu'on prenne acte du fait que le médium toujours et plus que jamais peut être un message; et que ce message par exemple : la valorisation du choix et la dévalorisation de l'héritage doit être jugé en tant que tel plutôt que d'être considéré comme une simple technique de vente ou de diffusion. Nous avons jeté les bases d'une réflexion de genre dans notre Encyclopédie de la Francophonie.
  • Qu'au lieu de se laisser impressionner jusqu'au sentiment d'impuissance par l'avance des Américains, on fasse la sage hypothèse qu'Internet en est à ses premiers balbutiements et qu'il y a toujours place pour l'innovation, une innovation où la technique, toujours importante, sera de plus en plus subordonnée au jugement et à l'intelligence.
  • Qu'on s'efforce de rassembler le plus grand nombre possible de documents sous de mêmes noms de domaines de façon à créer de grands ensembles qui puissent retenir le maximum de revenus publicitaires. La part que retiennent les moteurs de recherche par rapport à celle qui revient aux créateurs de contenus est démesurée en ce moment. L'équivalent dans le marché du livre serait que les auteurs, les propriétaires des catalogues reçoivent 50% et plus des droits et qu'il ne reste que des miettes pour les auteurs et les libraires. La stratégie de Google, consistant à collaborer avec les petits joueurs, est habile et de toute façon, c'est Google seul qui détermine les pourcentages. Il serait regrettable que cela empêche les regroupements.
  • Qu'on opte en matière de recherche pour le recours au jugement personnel et aux personnes les plus compétentes pour le sujet en cause. Les outils de recherche ont atteint leur limite et les résultats qu'ils permettront d'obtenir seront de plus en plus décevants au fur et à mesure que le nombre de documents à traiter s'accroîtra. En créant sa propre encyclopédie, Knol, après avoir flirté avec Wikipedia, Google indique la voie à suivre. Le meilleur outil de recherche en ce moment serait un grand site dont les auteurs, bien identifiés, présenteraient la liste de leurs favoris, avec les commentaires appropriés, sur les sujets correspondant à leurs intérêts. Une encyclopédie en ligne est le cadre idéal pour présenter les favoris.
  • Que soient créées une ou deux grandes encyclopédies en ligne francophones et contrôlées par des francophones. Que ces encyclopédies soient conçues, non dans le but de concurrencer les encyclopédies sur papier, sur CD ou sur DVD, mais dans un ensemble de buts ayant en commun de permettre à Internet de bien jouer son rôle propre dans le grand concert des médias.
Voici quelques-uns de ces buts :
  • Servir les fins de la recherche en créant dans chaque dossier une liste bien commentée des meilleurs sites Internet, des meilleurs livres et des meilleurs documents de tous genres sur un sujet donné. Assurer la mise à jour de cette liste en attachant de plus en plus d'importance aux diverses langues, aux langues asiatiques en particulier.
  • Faire connaître les livres d'hier et d'aujourd'hui en en publiant des passages éclairants dans les dossiers appropriés. Faire de même pour les films, les chansons, etc. dans le respect des droits d'auteur.
  • Assurer le plus haut degré de cohérence possible dans l'ensemble des dossiers. L'actuel éclatement du savoir rend cette cohérence nécessaire. La faiblesse de la formule wikipedia c'est que la cohérence, qui suppose la fidélité et la continuité, ne peut qu'y être très limitée. Le recours à des experts ne règlera pas le problème dans Knol. Il faudra que l'on s'assure que ces experts ont une vision du monde commune et qu'on rende possible la coordination entre les auteurs.
  • Depuis quelques années nous mettons à l'essai dans le cadre de L'Encyclopédie de L'Agora une formule qui nous paraît aujourd'hui assez prometteuse: un réseau d'encyclopédies spécialisées jouissant d'une autonomie telle que chacune puisse établir par consentement réciproque des liens étroits avec une autre. Concrètement ce lien peut prendre la forme d'une indexation des contenus. Au centre du réseau, il y a une encyclopédie générale ayant une orientation et une mission bien déterminées. Il pourrait y avoir une seconde encyclopédie générale d'orientation différente. Le lien entre l'encyclopédie générale et les encyclopédies spécialisées doit s'établir également par consentement réciproque.

L'action

Que FranceMonde devienne FrancophonieMonde

FranceMonde est le nom qu'on entend donner à un nouvel organisme regroupant TV5, France 24 et Radio France Internationale. De ces trois organismes, seul TV5 relève de la Francophonie, d'une façon bien théorique d'ailleurs. Le pouvoir de la Francophonie dans le nouvel ensemble risque fort de n'être que symbolique. Jamais dans de telles conditions les francophones vivant hors de France, ne pourront participer à un grand projet commun avec enthousiasme. Ils continueront à préférer l'espace libre que leur offrent les grandes entreprises privées américaines. Il n'est donc pas étonnant que la ministre québécoise de la Culture, Christine St-Pierre se soit opposée au pilotage unique du nouveau groupe.

La France certes assure 66% du financement de TV5, mais on a le sentiment que la promotion de ses produits occupe 95% du temps d'écoute. Au bulletin de nouvelles de France 2, diffusé sur TV5, mais aussi, pour ce qui est d'un pays francophone parmi d'autres, au réseau câblé de Radio-Canada, on a fait à l'époque des fêtes de 2007-2008 la promotion du champagne, de la haute couture parisienne, du ski dans les Alpes et dans les Pyrénées, de l'huile de l'olive de Nyons. On trouve toujours un prétexte dans l'actualité pour justifier la publicité dans un bulletin de nouvelles, mais comme par hasard sont beaucoup plus rares dans le cas du chocolat belge, des pistes de ski québécoises.

Alors que les Américains fondent leur politique culturelle sur le don, la France fait preuve d'une mesquinerie de petit commerçant qui est contraire à l'esprit dans lequel elle a dans le passé assuré son rayonnement culturel, contraire aussi à l'image de grandeur qu'elle souhaite encore projeter. Les Alliances françaises ont fait preuve d'une grande générosité en organisant des cours et des tournées de conférence et l'on peut présumer que cela a grandement contribué, non seulement au rayonnement culturel de la France, mais à son enrichissement par le biais du tourisme notamment. Ces alliances ont d'ailleurs été citées en exemple par les théoriciens du soft power américain actuel.

Le président Sarkosy semble plus intéressé par l'Union méditerranéenne que par la Francophonie, mais il a aussi compris l'importance d'Internet, comme on a pu le constater à l'occasion de sa campagne électorale ou en lisant les déclarations de Bernard Kouchner à propos de FranceMonde. Peut-être conclura-t-il qu'une grande offensive francophone sur Internet, offensive possible immédiatement, pourrait servir la cause de l'Union méditerranéenne. FranceMonde, dont le nom a été déposé, selon le vocabulaire officiel, une holding. Le 10 décembre 2007, il y avait déjà 4 candidats sur la short list.

À la condition que la France en profite pour revenir à son ancienne générosité, la création de France Monde est l'occasion rêvée pour lancer la grande offensive francophone sur Internet.

Il faudrait avant tout éviter l'erreur, commise par Yahoo selon certains experts, de penser le projet Internet sur le modèle de la radio ou de la télévision. L'échec de Quaero ou d'Exalead ayant démontré qu'il ne fallait pas s'attaquer à Google sur son propre terrain, la technique, l'algorithme de recherche et la vitesse des opérations. Google a d'abord lancé un engin de recherche pour faire ensuite appel au jugement dans le cadre de Knol. La Francophonie devrait faire l'inverse: miser d'abord sur le jugement pour classer les sites et sur la technique ensuite pour faciliter l'accès au classement. Ce travail d'évaluation, des millions d'internautes francophones ont déjà commencé à le faire, soit pour leur propre compte, soit sur un site public.

Le point de départ serait donc un grand projet encyclopédique. La première opération dans ce projet pourrait consister à faire appel aux internautes, toujours identifiés, pour produire des listes commentées de favoris sur tous les sujets de quelque importance.

La seconde opération, qui pourrait commencer en même temps que la première, mais s'étaler sur une plus longue période, consisterait à enrichir, soit les dossiers d'une encyclopédie générale, soit dans le cas des sujets les plus importants à créer une encyclopédie spécialisée, à partir des livres du domaine public et du domaine privé après entente avec les éditeurs et les auteurs. On ferait le même travail à partir des films et des émissions de télévision. C'est dans les dossiers et les encyclopédies spécialisées, à côté de la liste des favoris, que l'on pourrait consulter les passages les plus intéressants des livres, des films et des émissions de télévision en rapport avec un sujet donné. Internet jouerait ainsi pleinement son rôle de complément par rapport aux médias plus anciens et si jamais il devenait la voie d'accès à ces autres médias, les dossiers et les encyclopédies spécialisées deviendraient des points de rendez-vous fort intéressants pour les internautes.

La troisième et dernière opération consisterait à parfaire les dossiers et les encyclopédies spécialisées, à en faire des oeuvres originales, en intégrant dans une synthèse les documents déjà analysés et rassemblés.

Le nécessaire enthousiasme

La difficulté même de la tâche à accomplir pourrait contribuer à susciter l'enthousiasme nécessaire à la réussite. Si l’œuvre à faire était vraiment celle de tous les francophones, si les auteurs et les éditeurs étaient assurés d'obtenir leur juste part des revenus éventuels, publicitaires ou autres, le miracle pourrait se produire. Il s'est déjà produit dans le cas d'un grand site bibliothèque, celui des Classiques des sciences sociales. Des francophones du monde entier ont envoyé des ouvrages numérisés au site. Un avocat français à la retraite a même offert ses services gratuitement à l'éditeur du site. L'une des premières tâches à accomplir dans le cadre du grand projet encyclopédique consisterait justement à mettre en valeur les ouvrages rassemblés dans des sites bibliothèques, y compris ceux des Bibliothèques nationales, en les commentant et en en publiant des extraits dans les dossiers d'une encyclopédie générale ou dans des encyclopédies spécialisées.

Si la Francophonie n'est encore aux yeux de la majorité de ses membres que le prolongement exsangue de l'ancien empire français, qu'une antichambre de l'Europe ou qu'une cible de choix pour la promotion que la France fait d'elle-même sur TV5, c'est peut-être parce qu'elle n'a encore aucune grande réalisation commune à son crédit.

La section Internet de FrancophonieMonde pourrait être cette grande réalisation, laquelle aurait, entre autres avantages, celui de mettre en valeur des réalisations antérieures telles que l'AUF, l'Agence universitaire de la Francophonie.

Une fois prise la décision de relever le défi Internet, tout pourrait et devrait se faire très vite compte tenu des nombreuses mises en chantier sur lesquelles on pourrait compter au départ. Pour ce qui est de l'aspect financier, l'effort à faire serait à la portée de la Francophonie si l'on évitait de créer une lourde bureaucratie et si l'on misait à moyen terme sur une part raisonnable des revenus publicitaires. Ou bien la France elle-même et à plus forte raison les autres pays francophones se résigneront à céder la plus grande partie de ces revenus aux géants américains après les avoir autorisés à en assurer le contrôle et la gestion, ou bien une quelconque opération très coûteuse devra être lancée pour inverser le cours des choses. Parce qu'elle se situerait dans le prolongement d'initiatives déjà prises dans de nombreux points de la Francophonie, parce qu'elle pourrait être soutenue par le même bénévolat, l'opération que nous proposons serait la moins coûteuse. Et nous pouvons sans crainte ajouter cette remarque: si les divers petits groupes qui ont occupé le terrain sur Internet au nom de la Francophonie avaient, depuis le début de leurs opérations à partir de 1995, reçu des États francophones un soutien correspondant à 10% seulement de celui qui a été accordé pendant ce temps aux anciens médias, l'espace et le pouvoir de la Francophonie sur Internet seraient déjà beaucoup plus grands qu'ils ne le sont en ce moment.

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