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Étudiants francophones étrangers en France
Sur les 237 000 étudiants étrangers en France, 76 273 provenaient des États arabes et 41 430 de l'Afrique sub-saharienne, ce qui indique que la proportion des étudiants étrangers en France provenant de la francophonie se situe à 50% environ.

Document associé
La France, cette nation où l'autorité vient de la langue
Dossier: France

Paul-Marie Couteaux
Ancien élève de l'ENA, écrivain, député au parlement européen, auteur de Être et parler français.
Présentation
Article paru dans le numéro 42 de Lettre(s) revue éditée par l'ASSELAF, association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française.

Extrait
Toujours, en France, l'homme de plume l'emporte sur l'homme d'action, l'écrivain a le pas sur l'élu, et qui écrit a le dernier mot. Un de Gaulle le savait bien, qui rétorqua à son ministre de l'Intérieur qui lui suggérait de faire arrêter Jean-Paul Sartre : « On ne met pas Voltaire en prison. » Que signifiait-t-il alors, sinon la légitimité propre à un prince des Lettres, et la supériorité, non des mots sur les actes, mais de mots qui sont en eux-mêmes des actes ?

Texte
LA FRANCE est une nation étrange, qui passe pour être tout entière politique, alors qu'elle est avant tout littéraire : toujours y demeure cette obscure certitude que l'autorité vient de la langue (autorité : « le fait de l'auteur », remarquait Hannah Arendt), et que le magistère de l'homme de plume surplombe de très haut celui des politiques.

De même que Buonaparte, lorsqu'il se croyait maître du monde, restait à la merci d'un coup de plume du Vicomte, Napoléon III ne se débarrassa jamais, quels que fussent ses mérites, de l'image que donna de lui le plus grand écrivain de son temps, Victor Hugo pour toujours, il restera « Napoléon le Petit On peut tout aussi bien penser que, aujour­d'hui, ce qu'écrit n'importe quel écrivain de bonne tenue sur n'importe quel homme polit que contemporain survivra bien au-delà de ce qu'a pu être son action - combat d'autant plus inégal désormais que, toute action s'éva­porant dans la dilution de la souveraineté, bien peu de contemporains de l'espèce politique laisseront la moindre trace dans la mémoire des temps...

Toujours, en France, l'homme de plume l'emporte sur l'homme d'action, l'écrivain a le pas sur l'élu, et qui écrit a le dernier mot. Un de Gaulle le savait bien, qui rétorqua à son ministre de l'Intérieur qui lui suggérait de faire arrêter Jean-Paul Sartre : « On ne met pas Voltaire en prison. » Que signifiait-t-il alors, sinon la légitimité propre à un prince des Lettres, et la supériorité, non des mots sur les actes, mais de mots qui sont en eux-mêmes des actes ?

On a longtemps discuté de savoir qui, en France, de l'État ou de la Nation avait fait l'autre, éternel débat de l'oeuf et de la poule ; et si tout ne tenait qu'à ce troisième larron, la langue ? Telle était bien la piste déjà esquissée dans le lointain serment de Strasbourg.

En maints détours de son histoire, le ressort toujours retendu de la langue a fait et refait la France, et c'est en elle que, dans les situations les plus périlleuses, elle trouva son ultime point d'appui : cinq siècles après Strasbourg, et six siècles avant les mots d'un appel jeté au vent du 18 Juin, elle soutint le règne combien périlleux de Charles V, roi très sage, dont l'avènement, en 1364, fut marqué par l'une des plus sombres périodes de la guerre de Cent ans. Charles v ne céda pas aux fières tentations chevaleresques qui avaient conduit Philippe VI à la déroute de Crécy et Jean II à celle de Poitiers, noire défaite suivie de sa captivité en Angleterre. Il se battit d'abord avec des mots : c'est par la parole que le roi se rendit aux halles pour haranguer lui-même la foule, prenant soin, dit Christine de Pisan, d' « épouser sa langue ».

Connaît-on assez ce grand roi ? Charles V fut le premier prince qui conçut ce que nous appellerions aujourd'hui une politique de la langue française. On le vit s'entourer de lettrés, Eustache Deschamps, Philippe de Maizières, Nicolas Oresme. Il ordonna de traduire en français de multiples ouvrages grecs et latins, et créa au Louvre, qu'il fit agrandir, la grande Librairie royale, qui deviendra la Bibliothèque nationale. Il inspira de nombreux ouvrages exposant ses principes politiques et les fit répandre dans le public cultivé, notamment le fameux (pas assez, à vrai dire...) Songe du Vergier, traité des rapports entre le spirituel et le temporel, que l'on peut tenir pour l'une des plus anciennes de nos constitutions.

Son clerc favori, Nicolas Oresme, évêque de Lisieux, écrivit, dans les commentaires accompagnant sa traduction d'Aristote, une charge contre la monarchie universelle, qu'il justifie - notation ô combien éclairante sur la cosmogonie française - par la diversité des langues : « Il serait hors nature qu'un homme règne sur des gens qui n’entendent pas son maternel langage. Mieux vaut un royaume omposé, bien fait, qu'un grand ensemble démesuré qui ne se pourrait ainsi gouverner que par violence et tyrannie. Les grands empires sont chose violente, c'est pourquoi ils sont condamnés à mourir ». (1) On ne saurait être plus actuel...

***

La démocratie par la langue ? Instrument de démocratie, le français ne l'est pas seulement parce qu'il permet le débat, sa condition première, il l'est aussi par l'accès qu'il donne aux faits et édits du prince, aux lois (la compréhension du droit est d'ailleurs l'objet même de l'Ordonnance de 1539). À quoi s'ajoute le ferment de toute unité de la nation, et non moins de ce qui deviendra l'autre acception du mot démocratie qu'annonçait Tocqueville : l'égalité.


Impossible de déterminer l'appartenance sociale, ethnique ou géographique de quiconque parle correctement la langue française - et ce linguistiquement correct pourra seul répondre ensuite à la revendication égalitaire. Grandes tâches confiées à la langue !

C'est le français qui crée peu à peu un demos, le constitue autour d'un pouvoir politique d'autant plus légitime qu'il est compris; d'une place publique où s'instruit la discussion publique, d'un savoir partagé, d'une accessible égalité, des valeurs de la Connaissance : un peuple ! Il n'est point de démocratie sans ce demos aujourd'hui démonisé.

Les Français ont vis-à-vis de leur langue des relations ambiguës, reflet de celles qu'ils ont avec eux-mêmes, comme avec cette essence française faite de gloire et de honte, de percées lumineuses et de retombements inexplicables, d'espoirs gran­dioses et de déceptions remâchées, dont ils savent d'autant moins s'il faut ou non la célé­brer qu'elle est officiellement décrétée obsolète pour cause d'Europe.

Du moins les Français se sont-ils appropriés leur langue : quels que soient la force du soupçon, les signes d'abandon et de découragement, ne mésestimons pas les réserves de résistance dont elle dispose, non simplement de par le monde, mais aussi en France même Dans l'hiver 1991, ce fut une surprise que de voir tant de boucliers surgir de toute part lors qu'il fut question de simplifier quelques point d'orthographe, d'assouplir les règles des tiret et des accents circonflexes.

À peu de temps de là, le 8 mars 1994 tandis que le gouvernement Balladur annonçait la nouvelle loi Toubon sur la langue française, un sondage réalisé par la SOFREl révélait que 97 % des Français «jugeai en utile de protéger le français », 93 % estimant devoir recourir pour ce faire à la loi. Ajoutons ' que, à la question : « l'anglais doit-il être la langue de l'Europe ? », 20 % répondaient oui, 78 % non. Il n'est pas jusqu'au mensuel Révolution qui ne salua le projet de loi ! Ainsi fit aussi Daniel Bensaïd, vice-président de la Ligue communiste révolutionnaire, affirmant que « le français est la langue des travailleurs ».


Feue madame Arletty et sa « gueule d'atmosphère » fut jusqu'à ses derniers jours une militante acharnée de la cause du français. Un beau matin qu'elle appelait au téléphone le Commissariat général de la langue française pour se plaindre de ce mauvais français qu'on baragouinait à la radio et qui lui « écorchait les oreilles », elle me dit que, à peu près aveugle, elle avait besoin d'entendre de la belle langue : « Je suis comme Jeanne, je veux entendre mes voix ! Voyez-vous, c'est ma religion à moi ! ».

On citerait par dizaine de ces films cultes à l'univers littéraire, ceux de Marcel Carné ou ceux de Marcel Pagnol, Éric Rohmer ou François Truffaut, Marguerite Duras ou Jean Eustache, (quoi d'autre que des dialogues dans La Maman et la Putain ?) presque tout entiers tenus par la langue, comme les décors grandioses et le grand spectacle tiennent ceux d'Hollywood et des films italiens, de Visconti ou Fellini, dont certains n'avaient pas même de dialogues écrits. Ce qui est vrai du cinéma d'art et d'essai ne l'est pas moins du cinéma populaire : que l'on songe à Le cave se rebiffe ou à Les Tontons Flingueurs (Georges Lautner : « J'me fous des décors, j'veux du texte et de l'acteur »). Qui ne se souvient de ce passage de Le Monocle rit jaune, où l'on entend Paul Meurisse énoncer : « Jusqu'à présent, j'ai fait ce qu'il fallait que je fisse ; maintenant je ferai ce qu'il est nécessaire que je fasse » ?

Arletty encore, tandis qu'on lui demandait s'il lui arrivait d'improviser, rétorquait : « Vous n'y pensez pas ! Dans les vrais films comme Les Enfants du paradis, on ne faisait que suivre monsieur Prévert, voyons, le verbe est roi ! »


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