Célébrations de l'incarnation


La déshumanisation  est indolore. Nous conversons tous les jours avec des robots sans en souffrir le moins du monde. On nous annonce l’utérus artificiel pour demain, nous déclarons sur un ton joyeux qu'on n’arrête pas le progrès. Il en résulte un refroidissement de la planète humaine plus incontestable que le réchauffement de la planète physique. Déjà en 1984, dans Les modernes, Jean-Paul Aron diagnostiquait une glaciation des cultures.

Ces derniers temps notre premier souci a été d’attirer l’attention de nos lecteurs sur les causes du refroidissement, notamment sur la montée du formalisme et de la désincarnation. Aujourd’hui, à l’occasion de Noël, nous voulons évoquer les hautes incarnations qui nous ont servi de critères pour dénoncer ces excès de formalisme et de désincarnation que nous avons appelés emmachination.

Nous avons invité quelques-uns de nos amis à repérer , en justifiant leur choix, parmi les êtres humains et parmi les œuvres d’art les meilleurs exemples de cette incarnation achevée qui constitue la vie, la vie comme qualité.

Et verbum caro factus est…et incarnatus est. Dieu s’est fait chair…Il s’est incarné. Telle est l’Incarnation pour le croyant chrétien. L’incroyant peut y voir la présence du divin dans un homme appelé Jésus ou Bouddha. Je prends ici le mot divin dans le sens qu'on lui donne quand on appelle Marc-Aurèle le divin Marc.

On peut par analogie appliquer l’idée d’incarnation à la personne humaine ordinaire et aux œuvres d’art. Elle suppose deux termes, l’âme et le corps, l’esprit et la matière, selon qu’elle s’applique à une personne ou à une œuvre d’art. Elle est une dualité surmontée. Contrairement au premier sens que l’on peut être tenté de donner au mot, l’incarnation n’est pas une augmentation de la chair ou de la matière, elle est une spiritualisation de l’une et de l’autre. Des personnes aussi ascétiques que Simone Weil ou saint François peuvent être aussi incarnées qu'un bon vivant comme Chesterton. De la même manière, le chant grégorien peut être aussi incarné que le blues. L’essentiel est que dans tous les cas, par analogie avec le sang qui irrigue les vaisseaux capillaires, l’esprit pénètre jusque dans les ultimes replis de la chair ou de la matière.

C’est la vie, la vie comme qualité que nous évoquons par là. Cette qualité se mesure à l’incarnation. Dans le style vivant, comme dans la personne possédant la vie comme qualité l’esprit prête sa lumière aux mots et la chair leur prête sa couleur.  (Évitons de confondre la vie comme qualité avec cet indicateur appelé qualité de vie qui désigne une maison bien équipée et située à proximité d’une école, d’un hôpital et d’une station de police.)


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