Voyage

Déplacement dans l'espace, le temps et la hiérarchie sociale.

«Un voyage s'inscrit simultanément dans l'espace, dans le temps et dans la hiérarchie sociale... En même temps qu'il transporte à des milliers de kilomètres, le voyage fait gravir ou descendre quelques degrés dans l'échelle des statuts. Il déplace, mais aussi, il déclasse - pour le meilleur ou pour le pire - et la couleur et la saveur des lieux ne peuvent être dissociées du rang toujours imprévu où il vous installe pour les goûter.» Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Plon Éditeur, 1955, p. 79-80.

Essentiel

Comme nous l'apprend Homère dans l'Odyssée, le voyage est aussi une aventure à l'intérieur de soi. Le retour d'Ulysse est un retour sur soi. On se déplace dans le monde extérieur pour mieux connaître son monde intérieur. Le voyage n'est achevé que lorsqu'il produit une transformation intérieure.

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« Celui qui voyage sans rencontrer l’autre ne voyage pas, il se déplace. » Alexandra David-Neel, célèbre voyageuse française du début du XXe siècle (phrase citée par Claude Llena, « Tozeur, ravagée par le tourisme », Le Monde diplomatique, juillet 2004)

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«Tu connais, dit Baudelaire, cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité? Qui n'a goûté ce bizarre sentiment qui descend jusqu'au fond de l'âme comme le glaive d'un rayon dans une onde assoupie? Le lieu où nous vivons ne nous semble plus le lieu fait pour nous. L'image d'un pays où notre âme se reconnaîtrait nous enchante et nous torture. Sur nos lèvres éclosent ces mots d'un miel amer: partir... fuir... Ce lieu rêvé, traduction tangible de notre âme secrète, brille d'un double charme: libération de toutes entraves, réalisation plénière du rêve de nous-même. Les âmes mystiques nous disent volontiers que ce lieu nostalgique est souvenance du paradis antérieur. À moins qu'il ne soit l'obsession de quelque contrée merveilleuse hantée par nous au cours d'existences ensevelies. Le plus souvent, ce lieu reste en nous, visité seulement par l'imagination qui s'y délecte et s'y rachète des hideurs du réel. Tel ce pays d'ordre, de luxe et de volupté, tissé d'idéalité, construit à l'image même de l'Élue recréée par le Rêve dont Baudelaire fait chatoyer la muette splendeur dans son Invitation au Voyage.

Mais combien ont tenté de faire coincider le site rêvé où se fait l'apothéose d'eux-mêmes avec quelque site de notre Terre! (...)

Certains êtres favorisés voient cependant s'accomplir cette conjonction parfaite du lieu idéal et d'un site réel. Ils ont alors comme le dit Nietzsche, "un lieu démontré". Ames qui peuvent dire: "Il est un pays qui par une bienveillance singulière de la nature m'offre une plus vive contemplation de moi-même dans les symboles extérieurs. Lieu bénit qui m'enrichit moi-même et que j'enrichis à mon tour de ma ferveur.»

Gabriel Brunet. Passage tiré de: «Revue de la Quinzaine - Littérature», Mercure de France, no 719, 39e année, tome CCIV, 1er juin 1928, p. 406-407 (texte tiré d'une publication du domaine public en France).

Enjeux

Pour pouvoir continuer à tirer le plus grand plaisir et le plus grand profit du déplacement comme du déclassement, les hommes ont intérêt à protéger cette variété culturelle dont Montaigne a fait un éloge si bien senti: «J'ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s'effaroucher des formes contraires aux leurs: il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu'ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères.» La mondialisation encourage ce vice. Déjà dans la décennie 1960, Daniel Boorstin déplorait la nouvelle façon de voyager inaugurée par Conrad Hilton. Chaque hôtel, disait ce dernier, doit être une Amérique.

Les chambres d'hôtes et les gîtes du passant représentent un nouvel espoir pour ceux qui voyagent encore comme Montaigne. On a imaginé pour leur faire concurrence des hôtels sans service et sans visage à prix très modique, qui sont l'équivalent populiste des Hilton.

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