Travail et langue française

L'avenir des langues se joue pour une large part dans le milieu de travail. À compter du XIXe siècle, c'est l'obligation de travailler en anglais dans les grandes villes, à Montréal surtout, qui a constitué la pire menace pour la langue française au Québec. D'où la nécessité dans lequel le Québec s'est trouvé de recourir à une loi, la loi 101, associée à une Charte de la langue française, pour redresser sur son territoire la situaiton de la langue nationale.

Enjeux

La langue de travail au Québec trente ans après la Charte, d'après un avis du Conseil supérieur de la langue française, dont voici quelques extraits.


«L’objectif primordial de la Charte de la langue française, adoptée en 1977, était de faire du français la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires. La nécessité de légiférer pour atteindre ce but découlait des pressions sociales et de la Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec, dite Commission Gendron. Cette dernière constatait, en 1972, que le marché du travail « est structuré de sorte que le français domine au bas de l’échelle, que le bilinguisme s’impose au palier moyen et que l’anglais domine au faîte de l’échelle ». Elle s’en prenait à « la disparité des salaires entre francophones et anglophones […] » (Comité interministériel : 75) et à l’absence des francophones à la direction des entreprises. [...]

Près de trente ans plus tard, les études montrent que les inégalités sociolinguistiques se sont atténuées : il n’y a plus de discrimination salariale envers les francophones et la part du contrôle francophone sur les entreprises s’est accrue de façon notable. L’usage du français au travail a aussi progressé. La très grande majorité des francophones de la région métropolitaine de Montréal utilisent le plus souvent le français au travail. Toutefois, le français n’est pas encore la principale langue de travail des allophones : moins de la moitié d’entre eux travaillent le plus souvent en français. De plus, selon les sondages, environ la moitié des francophones, qui travaillent dans les deux langues dans le secteur privé, utilisent surtout l’anglais lors des communications avec les supérieurs, les collègues et les subordonnés anglophones. Force est de constater que la généralisation de l’usage du français au travail ne s’est pas opérée, en ce qui concerne la plus grande partie des travailleurs allophones, et que la langue de convergence demeure l’anglais dans bon nombre de cas. Le mécanisme principal conçu par les artisans de la Charte de la langue française pour franciser le milieu du travail est la certification des entreprises par l’Office québécois de la langue française. Le certificat atteste que l’usage du français est généralisé à tous les niveaux de l’entreprise selon les termes de l’article 141 et en tenant compte de certaines limites précisées dans l’article 142, notamment les relations internationales. En mars 2005, 81 % des entreprises inscrites à l’Office étaient certifiées. Toutefois, cette démarche a ses limites. La certification a généralement contribué à mettre en place des conditions favorables à l’instauration d’un environnement de travail en français dans l’entreprise, mais elle n’assure pas que le français est la langue de travail. En effet, il est difficile pour l’Office de vérifier la langue des communications orales et, les entreprises de moins de 50 employés n’étant pas soumises à la certification, plus du 7 tiers des travailleurs du secteur privé ne profitent pas de ce mécanisme de francisation. La certification comporte donc des limites auxquelles il faut remédier par des stratégies complémentaires. Ajoutons à cela que l’émergence de nouveaux contextes modifie le rôle de la langue dans les activités des entreprises. En effet, la langue devient de plus en plus un instrument de travail crucial puisque l’information et son traitement sont maintenant une ressource stratégique pour l’ensemble de la société et le nouveau centre de gravité du système socio-économique. Tous les marchés sont désormais liés à son utilisation. Pour travailler dans un tel contexte, la formation professionnelle de même que la maîtrise de la langue sont, sans équivoque, des enjeux économiques majeurs. Cette formation doit se faire en français ou, tout au moins, assurer une connaissance qualifiante du français, suffisante pour permettre de travailler efficacement dans cette langue. Il est donc fort important de développer une main-d’oeuvre scolarisée, qui maîtrise le français, qui a assimilé la terminologie française et qui saura s’en servir adéquatement, en rédaction technique notamment. L’augmentation des compétences de la population est rentable tant pour l’entreprise que pour la collectivité. La maîtrise de la langue constitue une de ces compétences. En effet, « Un pays qui obtient des résultats en littératie supérieurs de 1% à la moyenne atteint un équilibre stable en affichant une productivité du travail et un PIB par habitant respectivement supérieurs de 2,5 % et 1,5 % en moyenne. » Cette conclusion de l’enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (Organisation de coopération et de développement économique [OCDE] et Statistique Canada, 2004), montre bien l’importance de la formation. Ces considérations ont amené le Conseil à orienter ses travaux vers deux grands axes d’intervention, d’une part, les stratégies de francisation complémentaires à la certification des entreprises et, d’autre part, la formation qualifiante des immigrants allophones adultes et la maîtrise de la langue technique par les jeunes. La certification des entreprises doit être maintenue et les comités de francisation revitalisés, mais l’usage du français au travail doit être une préoccupation de l’entreprise, un élément de son plan stratégique et un critère d’évaluation de la qualité de sa gestion. Les petites entreprises doivent aussi être sensibilisées à leur responsabilité à l’égard de la langue commune. »

Texte intégral de l'avis

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