Littérature et francophonie

Enjeux

Le néo-libéralisme est la cause de bien des maux, selon plusieurs auteurs, des maux hélas! vagues que l'on pourrait attribuer à d'autres causes; mais voici un article de Pierre Bergounioux, intitulé De la littérature à la marchandise 1 où un diagnostic précis est formulé: dans le mesure où il réduit la personne à son rôle d'agent économique, le néo-libéralisme rend impossible le rapport avec le monde extérieur et avec soi-même dont découle la littérature.

«Lorsqu’on se regarde soi-même comme un agent économique pur, hédoniste et calculateur,dont les initiatives s’inscrivent dans l’espace global, abstrait, des biens et des services tarifés, la richesse infinie du monde extérieur et les profondeurs obscures, indéfinies de l’intériorité qui lui faisait écho, s’évanouissent du même coup.
La première génération du XXIe siècle est essentiellement différente de toutes celles qui l’ont précédée. Elle ne saurait se reconnaître dans la littérature qui en conserve la trace. Affranchie des anciennes limitations spatiales et mentales par le développement des transports et des communications de masse, impatiente et désabusée, elle habite un non-lieu (l’expression est de Marc Auger) qui est en passe de recouvrir toute la surface du globe, avec ses barres et ses tours, ses aires commerciales coiffées des mêmes sigles lumineux, ses parkings, ses rocades....[...]»

Il ne s'agit pas ici d'une bataille d'Hernani où un type de littérature se substitue à un autre, mais de la fin de la littérature dont les conditions auraient été détruites. Est-ce là l'éternel retour de la même nostalgie où un diagnostic juste?

«C’est parce que nous sommes restés très longtemps sédentaires, rêveurs ou insurgés, provinciaux dans un univers mal désenchanté que les livres furent inséparablement pour nous, révélation et délivrance. Comment la jeunesse d’aujourd’hui s’y retrouverait-elle? C’est d’un univers soudain révolu qu’ils parlent et ce qui l’a supplanté affiche ouvertement son offre et ses prétentions. Pour ces diverses raisons qui ne tiennent pas à la littérature ni à son enseignement, mais au cours des choses, à la conversion d’une vieille nation à la culture néo-libérale, je nourris quelques inquiétudes non seulement sur l’enseignement de la langue et de la littérature, mais sur leur existence future.

1-Article publié sur Internet dans la sélection du site ADPF, d'abord paru dans la revue Le Débat, No 135, mai-août 2005.

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