Dor Georges



Mercredi 25 juillet 2001


1931-2001
Georges Dor s'éteint
Rima Elkouri

La Presse

Georges Dor n'est plus. Le poète, chansonnier et ardent défenseur de la langue française, qui a connu un succès fou avec La Manic, s'est éteint, hier, à Montréal, peu avant midi. Il avait 70 ans.

Georges Dor était hospitalisé depuis le 9 juillet après qu'on lui eut découvert une tumeur cancéreuse au poumon. «Il a subi une intervention chirurgicale qui s'est bien déroulée. La seule complication qui s'est présentée, c'est une pneumonie, qui s'est aggravée. On n'a pas pu le sauver à cause de cela», a dit son plus jeune fils, Emmanuel, 34 ans.

Georges Dor, qui habitait Longueuil, laisse dans le deuil son épouse Margot, avec qui il a célébré ses 45 ans de mariage au printemps, leurs quatre enfants, René, Emmanuel, Patrice et Fabienne, femme du comédien Marc Labrèche, ainsi que leurs trois petits-enfants, Orian, Léane et Camélia.

Jusqu'à la toute fin, Georges Dor, qui tenait à ce que son état de santé demeure secret, gardait espoir de s'en sortir, confie son fils Emmanuel. «Il se promettait, dès qu'il allait sortir de cette mauvaise passe d'écrire à l'hôpital Notre-Dame et aux journaux pour remercier le personnel qui l'a soigné.»

Se plaignant de maux de gorge, Georges Dor a appris un peu par hasard, au mois de juin, qu'il souffrait d'une tumeur. «Comme il connaissait la date de son opération, mon père, amant de la Gaspésie, où il a chanté dans son jeune temps -nous l'avions d'ailleurs accompagné avec ma mère- a décidé de s'y précipiter avec ma mère, raconte Emmanuel Dor. Ils ont rapporté de très beaux souvenirs. Ils sont allés à Percé. Mon père chantait dans les années 60 au centre d'arts de Percé. Tout le Québec allait chanter là à l'époque. Les poètes s'y retrouvaient.»

Né en 1931 dans la région de Drummondville, Georges Dor, devenu célèbre grâce à la chanson La Manic, n'a jamais vraiment voulu devenir chansonnier, souligne Robert Thérien, auteur du Dictionnaire de la musique populaire du Québec. «La chanson a été un accident dans sa vie. Il y est arrivé très, très tard, vers l'âge de 35 ans, après avoir été réalisateur à Radio-Canada. Il faisait le Téléjournal entre autres. Il composait des petits poèmes depuis longtemps. Il a commencé un peu à mettre de la musique là-dessus pour une gageure. Ça a déboulé très vite, surtout avec La Manic.»

«Si tu savais comme on s'ennuie à La Manic, tu m'écrirais plus souvent à la Manicouagan, si t'as pas grand-chose à me dire, écris cent fois les mots je t'aime, ça fera le plus beau des poèmes, je le lirai cent fois, cent fois, cent fois, c'est pas beaucoup pour ceux qui s'aiment...» chantait Georges Dor, en 1966. Cent cinquante mille exemplaires du 45 tours ont été vendus.

Malgré ce succès, l'auteur-compositeur a rapidement quitté le monde du spectacle en 1970, «parce que ça ne lui correspondait pas», indique Robert Thérien. «Il s'était laissé emporter par le succès de La Manic. Mais il n'aimait pas les voyages, il n'aimait pas les tournées, même s'il aimait chanter en public.»

Après cette incursion dans le monde de la chanson, Georges Dor a choisi de se consacrer à l'écriture. «Je crois que c'était sa principale force, dit Robert Thérien. Certaines de ses musiques sont quand même très jolies. Mais je pense qu'il demeure essentiellement un poète à textes. Il s'est dirigé vers quelque chose qui lui correspondait plus. La littérature et l'écriture pour la télévision, entre autres.»

On doit notamment à Georges Dor le téléroman Les Moineau et les Pinson (avec Fernand Gignac et Rita Lafontaine), de nombreux recueils de poèmes, des romans et plusieurs essais sur la langue française au Québec (dont Anna braillé ène shot, chez Lanctôt éditeur, en 1996).

«Georges Dor est resté jusqu'au bout un grand défenseur de la culture québécoise et de la langue française. Il laissera le souvenir d'un homme d'un grande sensibilité qui aimait son pays et ses proches avec passion», a dit, hier, la ministre de la Culture et des Communications, responsable de la Charte de la langue française, Diane Lemieux.

Pour le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, Guy Bouthillier, le Québec vient de perdre un grand défenseur de la langue française, qui laisse en héritage cet appel pour que «la langue soit belle, bonne et forte». «Il (Georges Dor) aurait tellement voulu que le Québec se démarque comme peuple de langue française en Amérique du Nord», a ajouté M. Bouthillier.



Aux yeux de Denise Bombardier, il est «impressionnant» et «émouvant» de constater que ce poète, «qui n'a pas été élevé avec des cuillères d'argent dans la bouche», ait fait sien le combat de la langue française. «On ne peut pas dire que c'est un homme qui appartenait à une élite, souligne-t-elle. Il est né dans une ferme à Saint-Germain. Mais il savait l'importance que prenait pour une personne le fait de vouloir bien s'exprimer. C'est ça qui était émouvant pour lui et il ne lâchait pas. (...) La plupart des gens n'ont plus le sens de l'indignation. Georges Dor l'avait.»

Dans la dernière entrevue qu'il accordait à La Presse, le 6 juin dernier, au moment où la Commission des états généraux sur la langue française émettait ses premières recommandations, Georges Dor nous répétait avec sa verve habituelle que cette commission ne faisait que «brasser du vent». «La catastrophe, ce sont les pédagogues, avait-il dit. Ils complexifient ce qui est simple. Je suis, tu es, il est, nous sommes, c'est simple. Mais beaucoup d'enfants ne savent pas l'écrire.»

Le poète aimait bien aller faire un tour dans la cour de l'école primaire située à deux pas de sa demeure de la rue Préfontaine, à Longueuil, pour justement y tester le français des enfants. «Nous parlons mal, nous bafouillons trop souvent, nous manquons de vocabulaire», déplorait-il dans son essai Ta mé tu là (Lanctôt éditeur, 1997). «N'en faisons pas une tragédie, mais admettons-le, et plutôt que de faire des entourloupettes sociolinguistiques, apprenons à nos enfants à lire, à écrire et à parler la langue française.»

Les funérailles de Georges Dor auront lieu samedi, à 14h, à l'église Saint-Georges, à Longueuil.

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