Dialogue

Enjeux

Les conditions et les règles du dialogue

«Il n’y a de véritable dialogue qu’à l’intérieur d’une confiance fondamentale et réciproque. Sans cette confiance, les allocutaires craindraient toujours que leur vulnérabilité soit exploitée par leur interlocuteur pour « prendre le pouvoir » sur eux, ce qui leur est intolérable. Il y a donc là l’exigence d’une sorte de confiance qui n’est pas entièrement justifiable d’un point de vue rationnel. [...]

Platon en était absolument conscient qui mettait dans la bouche de Socrate que le véritable dialogue n’est possible qu’entre allocutaires qui respectent toute une série de règles. Dans le Gorgias, plusieurs de ces règles sont évoquées au passage par Socrate:

« Ne voudrais-tu pas, Gorgias, que nous continuions à discuter, comme nous le faisons à présent (l’un pose une question, l’autre y répond), et que nous remettions à une autre fois les trop longs discours comme celui que Polos a commencé tout à l’heure? » (449b)

« Vois-tu, ce n’est pas toi qui est visé, c’est notre discussion, je voudrais qu’elle progresse de façon à rendre parfaitement évident pour nous ce dont elle traite. » (453c)

Socrate insiste sur ce point : « J’ai peur que tu ne penses que l’ardeur qui m’anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer. » (457e)

« En fait, j’estime qu’il y a plus grand avantage à être réfuté, dans la mesure où se débarrasser du pire des maux fait plus de bien qu’en délivrer autrui.» (458a)

« Quelque chose m’étonne dans ce que tu dis. D’ailleurs, il est probable que tu as raison, et que je n’ai pas bien saisi. » (458e)

« Je t’ai dit que, si tu considérais, comme moi, qu’il y avait profit à être réfuté, c’était la peine de discuter, mais que sinon, le mieux était de laisser tomber. » (461a)
« Voilà, si la discussion que nous avons eue t’intéresse, si tu veux y apporter des correctifs, je te l’ai déjà dit, reprends ce qui te paraît être faux: tour à tour, interroge et puis laisse-toi interroger, réfute et laisse-toi réfuter, comme nous l’avons fait, Gorgias et moi. » (462a)

« Allons, n’aie pas peur de te fatiguer pour rendre service à un ami: je t’en prie réfute-moi. » (470c)


« Commençons par voir tout de suite quel est le point précis sur lequel porte la discussion (d), (...) le point sur lequel nous ne sommes pas d’accord. » (472c)

« Je ne sais produire qu’un seul témoignage en faveur de ce que je dis, c’est celui de mon interlocuteur. » (474a)

« Regarde bien Polos, ma réfutation à côté de ta réfutation; si on les compare, elles ne se ressemblent en rien. Pourtant avec ta réfutation, tout le monde est d’accord, sauf moi. (a) Tandis que moi, quand je te réfute, je me contente de ton accord et de ton témoignage. Aussi, c’est toi, et toi seul, que je fais voter - les autres, je les envoie promener. » (475e-476a)

« Je suis convaincu que si on doit contrôler une âme et la mettre à l’épreuve pour voir si elle vit bien ou mal, il faut avoir trois qualités; or toi, Calliclès, tu les as toutes les trois. Il s’agit de la compétence, de la bienveillance et de la
franchise. » (486e-487a)

« Calliclès, tu es en train de démolir tout ce qui avait été dit avant, et tu n’aurais même plus les qualités requises pour chercher avec moi ce qui est vrai si tu te mets à dire des choses contraires à ce que tu penses. » (495a)

« Car moi, je ne suis pas sûr de la vérité de ce que je dis, mais je cherche en commun avec vous, de sorte que, si on me fait une objection qui me paraît vraie, je serai le premier à être d’accord. Bien sûr, je parle comme cela en pensant qu’il faut pousser cette discussion jusqu’à son terme. » (506a)

Ces règles du dialogue, à la fois méthodologiques et éthiques sont très pécieuses et, aujourd’hui encore, elles président à tout échange effectivement ordonné à la recherche de la vérité.

Toutefois, Socrate ne s’en contente pas. Il requiert des allocutaires une condition plus fondamentale encore. À Polos qui lui demandait s’il préférerait « subir
l’injustice que la commettre », Socrate répondait : « Je ne désire ni l’un ni l’autre; mais s’il fallait choisir entre la subir et la commettre, je préférerais la subir ». Et il précise que cette préférence doit être partagée par les interlocuteurs d’un véritable dialogue. En conséquence, il requiert d’eux qu’ils partagent le préjugé selon lequel :
« Il vaut mieux subir l’injustice que la commettre ».

source: François Malherbe, Violence et démocratie, CGC, Sherbrooke 2003.

Articles


Dossiers connexes




Articles récents