Teddy Goldsmith

1928-2009
Jacques Dufresne

«Né à Paris en 1928 d'une mère française et d'un père anglais, il crée en 1970 la revue The Ecologist, revue phare de la pensée écologiste internationale puis L'Ecologiste, son édition française, en 2000.
Il est le co-fondateur de l'association « Survival International » en 1968 consacrée à la défense des peuples indigènes, ainsi que de l'association Ecoropa en 1975 avec Denis de Rougemont, Jean-Marie Pelt, Jacques Ellul, Edouard Kressman.... Il participe à la création du Green Party en Angleterre (1974), aux premières campagnes des écologiste français (1974-1977), au premier sommet international sur l’environnement de Stockholm (1972).

Pendant quarante ans, il a bloqué des chantiers de construction de centrales nucléaires, organisé des campagnes contre la déforestation (A l’initiative de The Ecologist, récolté plus de trois millions de signatures en 1986 pour une initiative de l’ONU sur la déforestation) ou la construction de grands barrages en Inde, contre la Banque Mondiale ou la FAO, édité une quinzaine de livres, écrit des centaines d'articles, organisé partout sur la planète des actions afin de lutter contre la dégradation de la planète et des conditions de vie de ses habitants.»

Nous sommes en 1972. L’écologie naissante apparaît encore comme une affaire de militants qui tardent à rallier la communauté scientifique à leur cause. Paraît alors un numéro spécial du magazine The Ecologist intitulé Blue Print for Survival. L’auteur, Teddy Goldsmith a beau appartenir à l’une des familles les plus riches du monde, il est si radical qu’on hésite à en endosser le contenu. À tort. Publié avec la volonté d’influencer la première conférence de l’ONU sur l’environnement, cette même année, à Stockholm, republié sous forme de livre, Changer ou Disparaître a été un best-seller avec la diffusion de 500.000 exemplaires en 17 langues. Il a servi de base de réflexion et de proposition pour les mouvements écologistes naissants. Selon Teddy Goldsmith, ce succès est dû en grande partie grâce à la caution de personnalités comme Sir Frank Fraser Darling et Sir Julian Huxley parmi 38 autres scientifiques.

Changer ou disparaître. Les petites communautés.

Les auteurs pensent que 1) Une structure communautaire est plus adaptée pour faire accepter les contraintes imposées par les limites écologistes : « Dans une société hétérogène et centralisée comme la nôtre, les contraintes de la stabilisation, pour être efficaces, apparaîtraient comme des mesures de coercition extérieure. » Dans des communautés réduites, le contrôle social est plus fort : « Ayant pris conscience des limites de l’état stationnaire, chacun serait libre, dans ces limites, d’organiser sa vie à sa guise ; les contraintes seraient alors acceptées comme nécessaires et souhaitables, et non comme des mesures répressives imposées par un gouvernement lointain et sans visage. » 2) Une décentralisation permet de replacer l’industrie et l’agriculture au niveau local : avec « une société décentralisée de petites communautés », les auteurs pensent que « des industries de dimension assez réduites (vont) pouvoir répondre aux besoins de chaque communauté. » 3) Les grandes structures d’Etat isolent les individus : « Dans nos grandes agglomérations urbaines, (les individus) ne sont que des isolés – et il est significatif qu’en même temps qu’au déclin de l’autonomie des communautés locales et régionales, et à la centralisation croissante du pouvoir de décision et de l’autorité dans les lourdes bureaucraties de l’Etat, nous ayons assisté à l’essor d’un individualisme sourcilleux (…). » Ils privilégient donc « peu de rapport humains, mais de grande qualité ». 4) En réduisant les infrastructures, les communautés locales minimisent les dégâts sur la nature : « En redistribuant la population dans de petites villes et des villages, nous réduirons au minimum son impact sur l’environnement. » La taille des ces communautés de base serait de 500 membres. Elles seraient elles-mêmes représentées dans de petites villes de 5000 habitants, à leur tour représentées dans des régions de 500.000 habitants « qui, par l’intermédiaire des nations, se feraient entendre à l’échelle planétaire ». - En ligne

Écologie et religion

Lors de la grande rencontre inter-religieuse à Assise en 1986, le respect de la création a été affirmé comme l'un des points communs entre les différentes religions. Pourtant, cette déclaration est restée pratiquement sans suite concrète. Or, comme le montre ici Teddy Goldsmith en introduction de ce dossier, la vie en harmonie avec l'univers ne devrait pas être une option facultative mais bien l'essence même de la religion !

Il y a six ans, lors d'une conférence donnée lors d'une croisière qui nous menait à l'île de Patmos - là ou saint Jean avait rédigé l'Apocalypse - le métropolite Jean de Pergame déclara que la destruction de l'environnement devait être considérée comme un péché. Cela a été très encourageant de voir les dignitaires des Eglises anglicane et catholique romaine abonder ensuite dans le même sens, ainsi que les intervenants hindous, jaïns et zoroastriens. Aucun d'eux ne semblait pourtant prendre pleinement conscience des implications de cette déclaration : elle n'aboutit pas moins qu'à la condamnation de la société industrielle elle-même.

En effet, la destruction accélérée de la nature résulte nécessairement de l'entreprise dans laquelle la société industrielle moderne s'est lancée à corps perdu et dont le « progrès » - ou en d'autres termes le développement économique - est la caractéristique principale. Ce processus a rarement été défini avec précision. Il implique principalement la substitution systématique d'un univers artificiel à la nature - le monde réel, fruit de 3 000 millions d'années d'évolution biologique et écologique.

Pour que l'idée selon laquelle la destruction de l'environnement est un péché ne reste pas lettre morte, pour que ses implications soient enfin prises en compte concrètement, il est nécessaire qu'elle s'inscrive dans notre vision du monde. Cela est vrai pour tout un chacun, artistes de rue, théologiens ou scientifiques, même si ces derniers disent ne reconnaître comme « scientifique » qu'une proposition qui aura été vérifiée (ou falsifiée dans les termes de Karl Popper) en laboratoire. En fait, il s'agit là d'une illusion car cette soi-disant vérification ne sert qu'à rationaliser ou légitimer des croyances - croyances correspondant le mieux à notre paradigme et à notre vision du monde. Pour citer le grand épistémologue Michael Polanyi (1891-1976): ''le test de validation ou d'invalidation est en réalité non pertinent en ce qui concerne l'acceptation ou le rejet des croyances fondamentales. Dire que vous vous interdirez de croire quelque chose qui aura été invalidé revient à afficher une prétention fausse à une auto-critique rigoureuse.'' » Publié dans L'Ecologiste n° 9, février 2003. En ligne.

Le réchauffement climatique

Interview pour L'Expansion nº 602 du 29 juillet 1999, par Christian David et Yves Messarovitch.
Publié dans L'Expansion, 29 juillet 1999.

Quel est pour vous le dossier environnemental le plus inquiétant ?


Le réchauffement de la planète. Ce phénomène provoqué par l'accumulation de gaz carbonique dans l'atmosphère s'aggrave avec la réduction progressive des surfaces boisées, donc de la capacité à absorber le gaz carbonique. Dans les années 20, on estimait que les forêts d'Asie du Sud-Est étaient quasi intactes. A l'heure actuelle, des pays comme les Philippines ou la Malaisie, boisés à 70%, n'ont pratiquement plus de grandes forêts. On s'attaque maintenant à des Etats jusqu'alors délaissés parce que moins faciles d'accès, comme la Birmanie ou le Laos, et aussi à la forêts amazonienne, que l'on exploite pour le bois, pour tracer des routes, obtenir des terres agricoles ou des concessions minières. La déforestation est un énorme cancer qui ronge notre monde.

Atteint-on des points de non-retour en matière d'environnement ?

Il n'y a aucune loi, aucun mécanisme en perspective qui permette d'envisager la fin de la déforestation tropicale ou l'arrêt de la destruction de la couche d'humus des terrres agricoles. Reconstituer une terre arable avec quelques centimètres d'humus prend d'un siècle à un millénaire selon les régions. Or on doit abandonner de 6 à 8 millions d'hectares de terres arables chaque année.

Est-on sûr que la tendance au réchauffement de la planète est le résultat de l'action humaine et non d'un cycle naturel?

Le sujet a été très longtemps débattu entre scientifiques. Mais, depuis 1995, les experts internationaux s'accordent sur le fait que le phénomène est majoritairement dû à l'action de l'homme sur son environnement. J'ajouterai que, pour moi, c'est bien là le plus grave : tous ces effets affolants sur l'environnement sont les conséquences immédiates de la politique économique que nous menons. Prenons l'exemple de l'agriculture : la mise en œuvre de méthodes d'exploitation modernes entraîne partout les même effets : érosion des sols, compactage des terres, salinisation, désertification progressive ...

Nourrir le monde en situation de changement climatique

L'agriculture moderne est non-seulement très vulnerable au changement climatique, mais aussi une cause importante du changement climatique à cause de ses émissions de gaz à effet de serre et de ses impactes dévastateurs au sols et les réserves d'eau. Une combinaison de savoir agriculture traditionnel et de nouvelles technologies durables pourraient contenir les réponses dont le monde a si grand besoin. Publié dans World Affairs magazine, India, hiver 2003.

Que cela nous plaise ou non, l'agriculture industrielle moderne est appelée à disparaître. Elle se révèle de moins en moins efficace. Ainsi, les engrais chimiques ont maintenant des rendements décroissants. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a reconnu en 1997 que les rendements de la culture du blé au Mexique et aux Etats-Unis n'ont pas augmenté en 13 ans. En 1999, la production mondiale de blé a en fait diminué pour la deuxième année consécutive, tombant à 589 millions de tonnes, soit 2% de moins qu'en 1998. Les engrais coûtent trop cher et, comme le dit McKenney,

« la santé biologique du sol a été tellement appauvrie pour améliorer rapidement et facilement la fertilité que la productivité est maintenant menacée et que les engrais sont de moins en moins efficaces. »

C'est le cas aussi des pesticides. Mauvaises herbes, champignons, insectes et autres ravageurs potentiels possèdent un pouvoir d'adaptation stupéfiant. Cinq cents espèces d'insectes sont déjà devenues génétiquement résistants aux pesticides, ainsi que 150 maladies végétales, 133 sortes de mauvaises herbes et 70 espèces de champignons.

La réaction consiste aujourd'hui à épandre des poisons encore plus puissants et plus onéreux, qui reviennent à 8 milliards de dollars par an aux Etats-Unis, sans compter le coét de l'épandage . Les agriculteurs sont en train de perdre la bataille : les nuisibles survivent à l'assaut chimique, les agriculteurs, non. Ils sont de plus en plus nombreux à quitter la campagne et la situation va considérablement empirer.

On assiste actuellement à l'introduction forcée des plantes génétiquement modifiées par les organismes internationaux en collusion avec les gouvernements sous l'effet des énormes pressions exercées par la puissante industrie biotechnologique. Contrairement à ce que l'on veut nous faire croire, les OGM n'accroissent pas les rendements. Ils exigent également de plus grandes quantités d'intrants, y compris de pesticides, dont ils sont censées réduire l'usage de manière significative, ainsi qu'une irrigation plus importante.

Les fondements scientifiques sur lesquels ils reposent sont gravement erronés. Personne ne sait avec certitude quelles seront les conséquences du transfert, au moyen d'une technique très rudimentaire, d'un gène spécifique dans le génome d'un être vivant très différent. Des surprises nous attendent et certaines pourraient faire naître toutes sortes de problèmes insolubles.

Une autre raison pour laquelle l'agriculture industrielle est vouée à disparaître, même sans changement climatique, est qu'elle est bien trop vulnérable aux augmentations du prix du pétrole et, plus encore, à sa pénurie. En ligne.

Les experts de l'industrie du cancer

«Il y a quelque temps, j'ai rendu visite à un de mes amis à Paris. Il préparait un rapport pour une compagnie qui produisait des gâteaux d'apéritifs et était censé déterminer les raisons pour lesquelles elle perdait tant d'argent. Mon ami semblait trouver la tâche fort ardue. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu :

« C'est bien simple: la veritable raison de leur faillite, c'est que le patron n'a aucune des compétences requises pour diriger une entreprise. Je ne pourrai evidemment jamais l'écrire, sinon je ne serai pas payé. Je vais devoir trouver d'autres explications, et c'est loin d'être facile, tu peux me croire. »

Voilà une situation très analogue à ce qui se passe dans le domaine du cancer. Le cancer est aujourd'hui une maladie qui affecte une personne sur trois, et tout le monde sait pertinemment grâce à des études innombrables que ses principales causes sont l'exposition à des produits chimiques cancérigènes et à des rayonnements ionisants, qu'ils proviennent de rayons X utilisés en radiographie, d'essais nucléaires ou d'émissions radioactives des installations nucléaires.

Voila des faits que les experts nommés par l'état refusent d'admettre. Ainsi que bien sûr les surpuissantes industries chimiques, pharmaceutiques et nucléaires qui financent presque toute la recherche sur le cancer, et veillent bien à ce que l'épidemie du cancer soit attribuée à tout sauf à l'exposition à des produits chimiques et à la radioactivité.» Publié dans L'Ecologiste nº 1, automne 2000. En ligne

GAIA et l'évolution

«Voir dans l'organisme individuel l'unité de base de l'évolution est une des faiblesses essentielles de la thèse néo-darwiniste. En quoi cet organisme serait-il si particulier? Y a-t-il une difference si fondamentale entre ses strategies adaptatives et celles des autres systèmes naturels qu'il faille le considérer comme tout à fait distinct? Sans aucun doute, la réponse est non.

A tous les niveaux d'organisation, y compris celui de Gaïa lui-même, les processus du vivant sont conçus selon le même plan et se révèlent intentionnels, dynamiques, créatifs et intelligents. Qui plus est, toutes leurs stratégies adaptatives visent à préserver la stabilité ou homéostasie de l'ensemble de la hiérarchie gaïenne - condition sine qua non du maintien de leur propre homéostasie.

De plus, tous les systèmes dirigent et coordonnent les comportements de leurs parties constitutives, Gaïa elle-même coordonnant ceux de tous les membres de la hiérarchie, et veillant en outre à ce qu'ils continuent à assurer sa propre homéostasie d'ensemble, processus que j'appelle homéoarchie. Pour toutes ces raisons, l'individu ne peut en aucun cas être considéré comme l'unité de l'évolution. Celle-ci ne peut être que Gaïa elle-même et l'évolution ne peur être mieux définie que comme le processus gaïen.

Un processus n'est cependant qu'une abstraction s'il n'a pas de dimension temporelle, tout comme l'est une entité lorsqu'on la considère hors du temps. Nous sommes habitués à penser à Gaïa en termes d'abstractions temporelles ou spatiales, mais celles-ci ne sont en fait que différentes facettes d'une même réalité: le système spatio-temporel formé par Gaïa. Il en résulte qu'il doit y avoir une adéquation parfaite entre les abstractions gaïennes temporelles et spatiales, tout comme il y a parfaite adéquation entre le processus digestif et le système digestif physique.

A l'inverse, la thèse néo-darwinienne postule une séparation radicale entre la structure de la biosphère, envisagée dans l'espace, et la biosphère en tant que processus - la première étant considérée dans toute sa complexité et sa sophistication, tandis que le second est réduit à une interaction grossière entre deux machines - l 'une génératrice de variations aléatoires, l'autre une simple trieuse. Cela suffit à invalider la thèse darwinienne.

Les caractères essentiels de Gaïa, en tant qu'abstraction dans l'espace, doivent correspondre à ses caractères essentiels en tant qu'abstraction dans le temps, ou encore de Gaïa continuum spatio-temporel. L'un de ces caractères est que Gaïa, abstraction dans l'espace, composée de systèmes de plus en plus petits, est hiérarchisée. Il doit en être de même de Gaïa, abstraction temporelle ou processus spatio-temporel, composée d'une hiérarchie de systèmes vitaux à longue durée de vie divisés en d'autres à longévité de plus en plus réduite.» En ligne

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