Le thermostat pondéral

Jean Hamann
Le poids corporel de chaque personne serait contrôlé par un régulateur interne et le plaisir sensoriel que provoque la consommation de nourriture est au service de ce "thermostat pondéral". Telle est la thèse qu'a défendue le professeur Michel Cabanac de la Faculté de médecine, lors d'une conférence publique présentée le 20 septembre dans le cadre du 70e Congrès annuel de la Société de physiologie.

«Il est vain de vouloir lutter bêtement contre ce phénomène, a commenté le conférencier. Il vaut mieux chercher à bien le comprendre."

C'est justement ce à quoi s'affaire ce physiologiste depuis de nombreuses années par ses travaux sur le plaisir. La consigne du thermostat de chaque personne peut être déterminée, en laboratoire, en mesurant le temps requis pour que la sensation de plaisir que procure la consommation, à intervalles réguliers, d'une boisson ou d'un aliment sucré se transforme en sensation désagréable. Chez les sujets normaux, la prise de sucre est jugée plaisante pendant les premières minutes. À mesure que le temps passe, ce plaisir fait place à une impression neutre allant même jusqu'au déplaisir lorsque le sujet en a ras-le-bol. Fait intéressant, si le sujet crache la solution ou l'aliment au lieu de l'avaler, la sensation de plaisir ne s'émousse pas avec le temps.
"Pourtant, tous les volumes nous disent que le sucre a un goût agréable, souligne Michel Cabanac, Cependant, un même stimulus peut devenir désagréable lorsque des signaux internes de l'organisme disent que c'est assez de sucre. Une fois les réserves restaurées, la sensation devient désagréable. La sensation change en fonction de l'état interne du sujet. C'est ce que nous appelons l'alliesthésie."

Une étude menée par l'équipe de Michel Cabanac a montré que si cette même expérience est menée avec des sujets qui ont perdu quelques kilos à la suite d'un régime amaigrissant, l'alliesthésie disparaît. "La sensation de satiété ne se manifeste pas normalement et la prise alimentaire est prolongée", note le chercheur. Lorsque l'expérience est répétée avec les mêmes sujets revenus à leur poids pré-régime, l'alliesthésie se manifeste à nouveau. "Tout se passe comme s'il existait une consigne interne qui règle la prise de nourriture jusqu'à ce qu'un poids donné soit atteint."

Adaptation et supplice
Il semble exister un décalage et un réajustement continuels de la consigne pondérale, souligne le physiologiste. Cette flexibilité présentait un grand avantage pour nos ancêtres qui évoluaient dans un environnement alimentaire incertain. Lorsqu'ils rencontraient des sources abondantes d'aliments, ils pouvaient ainsi se constituer des réserves de graisses pour les mauvais jours. L'embonpoint de nos contemporains d'âge mûr serait peut-être aussi un legs du passé, laisse entendre Michel Cabanac. Ces réserves constituaient un coussin de sécurité pour le chasseur vieillissant moins assuré de ramener, jour après jour, du mammouth frais à la caverne. Dans un environnement où les épiceries et les restos fast-food sont ouverts 24 heures sur 24, ces merveilleuses adaptations présentent cependant de gros inconvénients.

Le réglage du thermostat pondéral peut être modifié de façon pharmacologique, ont montré Michel Cabanac et son collègue Patrick Frankham, dans un récent numéro de la revue scientifique Physiology and Behavior. Des sujets fumeurs et des sujets non fumeurs porteurs de timbres de nicotine, soumis à un test d'alliesthésie, ont atteint la satiété plus rapidement que lorsqu'ils n'avaient pas de nicotine dans l'organisme. "La nicotine semble avoir un effet sur la consigne pondérale, ce qui expliquerait peut-être pourquoi les gens qui cessent de fumer prennent du poids, avance le professeur Cabanac. Ceci dit, ce serait une erreur majeure de fumer pour contrôler son poids."

Chez certains sujets obèses, soumis à un test d'alliesthésie dans son laboratoire, la perception de plaisir ne s'estompe pas. Il se peut, propose le chercheur, que leur mécanisme de contrôle soit perturbé. "Je ne dis pas qu'il n'y a pas de poids anormal, mais il ne faut pas culpabiliser les obèses. Il est possible que la consigne pondérale soit plus élevée chez ces personnes, de sorte que la privation de nourriture est un supplice permanent pour elles.»

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