Van Gogh Vincent

1853-1890

Préface d'Émile Bernard à la publication des Lettres de Vincent
«Cet artiste étrange s'est tué à Auvers-sur-Oise, le 29 juillet 1890. Il avait pour frère Théodore van Gogh, expert à la maison Boussod et Valadon; boulevard Montmartre. On verra, par ce frère, la part qu'eut Vincent sur l'opinion publique, en introduisant l'impressionnisme dans la boutique d'une maison, des plus connues et des plus influentes. Mais ce que je veux dire, avant tout, c'est que ces deux frères ne faisaient pour ainsi dire qu'une idée, que l'un s'alimentait et vivait de la vie et de la pensée de l'autre, et que quand ce dernier, le peintre, mourut, l'autre le suivit dans la tombe seulement de quelques mois, sous l'effet d'un chagrin rare et édifiant.
[...]
Voici maintenant les notes que je reçois de M. Bonger, un très sincère admirateur et un ancien ami de Vincent, qui fut peut-être un des premiers à deviner, au milieu de la méconnaissance générale, le génie du peintre.

«Vincent van Gogh est né le 30 mars 1853, à Groot-Zundert. (Hollande); — il est mort à Auvers-sur-Oise le 29 juillet 1890. Elevé à la campagne, aimant les plantes, les bêtes; profondément religieux d'une foi simple, voyant Dieu partout. Commence 1a vie pratique chez Goupil, à La Haye, après dans la même maison à Londres, et en 1872 à Paris. Quitte au bout d'une année, ne pouvant se faire aux exigences du commerce, se révolté contre tout. Retour en Hollande pour très peu de temps. S'en va à Londres où il gagne sa vie comme maître d'école — temps très difficile. Les questions théologiques le préoccupent. Souffle de la discorde née des préceptes de l'Evangile et du Christianisme tel qu'il est pratiqué généralement. Se résout à faire des Etudes théologiques et à se faire pasteur à sa Manière. Se sent apôtre. En 1877, est à Amsterdam où il suit les cours de théologie, ne les achève pas. S'en va dans le Borinage (Belgique) prêcher chez les mineurs.»

Quoique ayant toujours dessiné et modelé, ce n'est qu'après, 1882 qu'il commence à s'occuper exclusivement de peinture, et va à l'atelier, à La Haye, jusqu'en 1884. Fait un court séjour à Dreuthe (nord de la Hollande), puis à Nunen, où habitent ses parents; enfin travaille à Anvers, et vient à Paris au commencement de 1886.

C'est en 1887 que je l'ai connu dans la petite chapelle ardente qu'est la boutique du papa Tanguy, 9,rue Clauzel. J'ai dit ailleurs (hommes, d'aujourd'hui) l'étonnante surprise que fut ce front étrange et la visite qu'il me fit faire à son atelier, rue Lepic. C'étaient, au troisième, dans un appartement dominant Paris et habité aussi par Théodore, une collection de tableaux assez bons de l'École romantique, puis beaucoup de crépons japonais, des dessins chinois, des gravures d'après Millet. Il y avait un gros meuble hollandais dont les tiroirs étaient pleins de boules de laines enchevêtrées, mariées, unies dans les accords les plus inattendus; puis il y avait aussi dans ce gros meuble des dessins, des peintures, des croquis, de Vincent cette fois. Des vues de Hollande surtout me frappèrent: cela était: net, précis, nerveux et plein de style, et ces étonnants visages de travailleurs aux nez énormes, aux bouches lippues, aux airs niais et féroces, dont les «Mangeurs de pommes de terre», une effroyable toile, furent le dénouement.

Vincent lisait beaucoup; Huysmans et Zola, parmi les contemporains, l'avaient fortement impressionné. Dans l'un, une mâle force l'attirait, et dans l'autre, une causticité aigre, un coup de fouet bien cinglé sur des types vrais, car toujours il eut le faux en horreur.

Chose étrange, les oeuvres plus spiritualistes le requéraient peu, et des jeunes poètes, de Baudelaire même, il ne disait rien ou n'avait qu'un sourire J'ai plus tard compris cela quand il m'écrivit qu'il n'y avait d'art que dans ce qui est sain. Je n'ai jamais cru, comme lui, que Baudelaire fût malsain.

Les contradictions les plus bizarres se rencontraient souvent dans cet esprit travaillé et chercheur; il aimait les peintures de Ziem; par exemple: cette Venise à la crème et au bleu de blanchisseuse, qui se prélasse depuis quelque vingt ans à là façade des pâtissiers de la rue Laffitte, avait des charmes pour lui; il prétendait que c'était là de la couleur de coloriste; plus tard il en revint, c'est ainsi que je le trouvai un jour en grande conversation avec Ziem lui-même, devant une maison dont les balcons étaient soutenus par des crocodiles…

Très homme du monde,le peintre célèbre parlait de Delacroix, il racontait un toast porté, par les partisans du grand Romantique, en plein, dîner officiel. Cela fera un peu comprendre, comme je le compris moi-même, pourquoi Vincent aimait Ziem: — il avait connu Eugène Delacroix... et lutté pour lui.

C'était le plus noble caractère d'homme qu'on puisse rencontrer, franc, ouvert, vif au possible, avec une certaine pointe de malice drôle; excellent ami, inexorable juge, dépourvu de tout égoïsme et de toute ambition, comme le prouvent ses lettres si simples, où il est aussi bien lui-même que dans ses innombrables toiles.

Nous avons donc perdu le plus solide des amis en même temps que le plus artiste d'entre nous quand, par un beau soleil de juillet, il alla derrière le château d'Auvers se déshabiller de la vie. Quelque déchirante que soit cette vérité, il faut bien la dire, et la lettre où il est question de la vie plate et de la vie ronde ne sera pas sans éclairer un peu sur ce qui a pu décider Vincent à en venir là. N'a-t-il pas eu la curiosité d'autre chose?...»

ÉMILE BERNARD, "Vincent Van Gogh", Mercure de France, Paris, avril 1893, p. 323 et suiv.

Articles


Biographie de Vincent Van Gogh

Octave Mirbeau
Éloge de l'oeuvre de Van Gogh, rédigé quelques mois après la mort de l'artiste, survenue à Auvers-sur-Oise le 27 juillet 1890.

Le cyprès

Richard Weilbrenner



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