Immigration

"Phénomène désignant des mouvements de population d'un territoire vers un autre. Somme théorique, à un moment donné, des flux d'immigrés et des 'stocks' de personnes immigrés depuis un temps déterminé sur le territoire."

Source: Les mots de l'immigration et de l'intégration (Commission de terminologie et de néologie du domaine social, Min. de l'Emploi et de la Solidarité)

Essentiel

 

Enjeux

 

«On parle d’immigrés à intégrer à une société dénommée hôte ou encore majorité, comme si une société était un jeu de Lego comportant des pièces principales et des pièces surajoutées dont il faut limer les formes pour main tenir la construction. Ce faisant, on ignore des traits structuraux de la circulation internationale des personnes. Les flux migratoires servent des secteurs, sinon l’ensemble, des économies nationales occidentales et ils sont une facette de leur interdépendance. Les dynamiques transnationales ont construit et construisent les sociétés autant que les dynamiques locales, qu’elles prennent la forme d’échanges commerciaux, monétaires, techniques, d’informations ou de personnes. En ignorant ces faits et en se centrant sur des réalités nationales, on dessine une imagerie des migrants internationaux comme éléments « intégrables » ou néfastes, enrichissants ou aliénants, proches ou lointains de l’entre-soi. La migration devient une réalité à incorporer au moindre coût et au plus grand bénéfice possible.

L’immigration a une fonction économique que l’on oublie à force de s’attarder sur les différences culturelles. En Amérique du Nord, elle a contribué au désenclavement des régions de l’Ouest, à l’âge d’or capitaliste des années 1880-1910, à la croissance des années 1940-1960, et en Europe, à l’industrialisation et à la reconstruction d’après 1945 pour devenir plus marginale durant les années 1970-1990. Elle a un impact sensible sur la croissance économique et sur le niveau d’inflation quand ce niveau est élevé comme actuellement aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada et en Espagne 1. L’effet anti-inflationniste tient à la pression exercée sur les [90] salaires, notamment des moins qualifiés, à l’entrée de migrants non qualifiés et à la déqualification fréquente de ceux qui sont qualifiés 2. L’immigration sert autant des secteurs de pointe que des secteurs peu productifs (manufacturiers), très exposés à la concurrence internationale (agroalimentaire) ou non délocalisables (construction, services de proximité, hébergement) 3. Aussi des conflits opposent-ils employeurs d’immigrants et acteurs exposés à la concurrence immigrée dans l’emploi ou voyant dans l’immigration une atteinte présente ou future à leurs acquis. Ainsi en est-il à propos du coût réel ou imaginé des services publics aux migrants pauvres là où les États, européens et canadien, assurent l’accès des migrants aux programmes d’assistance (protection sociale, logement subventionné) à la différence de l’État fédéral américain. Cependant, selon l’influence politique des acteurs concernés et leur divergence d’intérêts, ces conflits sont médiatisés.

Des exemples actuels : les gouvernements allemand, britannique et français ont décidé la création de programmes d’immigration « choisie » pour réduire des pénuries de main-d’oeuvre sectorielles, des décisions peu débattues en France et en Allemagne vu le faible intérêt des travailleurs locaux pour les emplois concernés et la rareté de ces derniers. Par contre, l’admission en Grande-Bretagne 4 de 1,400,000 migrants depuis mai 2004 est débattue. Elle pèse sur les salaires, les services publics et le marché immobilier, particulièrement sur le plan local, tout en ayant l’impact inflationniste que l’on sait. Un document de l’OCDE 5 observe en novembre 2006 : « An influx of migrant workers will underpin British economic growth and help bring inflation back to target next year, there is no need for higher borrowing costs. » Quatre des nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi sur cinq obtiennent des salaires horaires de 4,50 à 6 £, alors qu’un travailleur britannique sur cinq reçoit moins de 6 £ 6. La lutte entre les groupes de pression favorisant ou refusant la régularisation de milliers d’illégaux est aussi publique et âpre en Espagne qu’aux États-Unis alors qu’au Canada, où le respect des droits des immigrants est dit un emblème de l’État, quelque 90,000 travailleurs temporaires peu qualifiés entrent au pays par an et ne disposent pas de droits sociaux 7, et cela, sans aucun débat.

Les enjeux économiques de l’immigration sont plus souvent manipulés que mis à jour. En ces temps de pénurie sectorielle de main-d’oeuvre et de déficit attendu des régimes de retraite publics, l’immigration est présentée comme un moyen, sinon la solution, du déclin démographique. [91] Pourtant, elle a un impact minime sur l’endiguement d’un déclin démographique et sur la répartition des actifs/inactifs 8, à moins de décider de niveaux d’entrées assurant tout parti au pouvoir de perdre les prochaines élections. Les solutions envisagées sont plutôt, selon le pays, la hausse des cotisations, une participation accrue des femmes au marché du travail, le recul de l’âge de la retraite et des régimes de retraite par capitalisation 9.

L’immigration a un impact divergent, positif, négatif, nul, marginal, significatif, selon la catégorie sociale, et relève d’antagonismes d’intérêts matériels, mais aussi culturels et symboliques. Elle n’est pas uniquement économie politique, elle participe de dynamiques culturelles. La tension entre l’interdépendance des économies et des sociétés et la socialisation au soi national ou au soi étatique induit une xénophobie, particulièrement chez les acteurs en perte de statut ou d’influence dans le cas d’élites politiques et intellectuelles déclinantes. Ces acteurs estiment que leur appartenance à une communauté nationale et étatique doit les protéger d’une déchéance sociale et d’une réduction de leurs acquis sociaux et de leur pouvoir politique ; le sens d’une appartenance à une société s’enracine en effet autant dans l’idée de spécificité culturelle que d’une spécificité de l’État (intervention économique, protection sociale, sécurité, influence internationale). Mais ces acteurs veulent ignorer que toute mutation sociale est relayée ou induite par des membres de leur propre « communauté ». Source et suite, Classiques des sciences sociales.

1 Selon la banque Caixa (juillet 2006) de Catalogne, sans l’arrivée de 3,300,000 immigrants de 1995 à
2005, la croissance annuelle (2,6%) du PIB espagnol aurait été moindre de 0,64%.


2 National Research Council, The New Americans : Economic, Demographic, and Fiscal Effects of Immigration,
Washington, National Academy Press, 1997 ; George J. Borjas, « The economics of immigrations
», Journal of Economic Literature, vol. 32, n° 4, 1994, p. 1667-1717 ; George J. Borjas, « Assimilation
and changes in cohort quality revisited : What happened to immigrant earnings in the 1980s ? »,
Journal of Labor Economics, vol. 13, n° 2, 1995, p. 201-245 ; George J. Borjas, Heaven’s Door : Immigration
Policy and American Economy, Princeton, Princeton University Press, 2001 ; George J. Borjas,
« The labour demand curve is downward sloping : reexamining the impact of immigration on the labour
market », Quarterly Journal of Economics, vol. 188, n° 4, novembre 2003, p. 1335-1374 ; Michæl J.
Greenwood et Gary Hunt, « The shortrun and long-run factor-market consequences of immigration to
United States », Journal of Regional Science, vol. 36, n° 1, février 1996, p. 43-66 ; Bridget Anderson
et al., Fair Enough, Central and East European Migrants in Low-Wage Employment in the UK, ox.ac.uk/changingstatus>, page consultée en mai 2006 ; Andrew Sum, Paul Harrington et Ishwar
Khatiwada, The Impact of New Immigrants on Young Native-Born Workers, 2000-2005, Washington,
Centre for Immigration Studies, 2006.

3 Cette fonction a un effet négatif sur la productivité, car elle ralentit les investissements technologiques.

4 Selon un nouveau discours porté par Tony Blair : « Legal immigration can and does bring real and
substantive benefits to countries, including Britain » (House of Commons, 26 juin 2002). Les flux proviennent
en grande proportion de pays de l’est de l’Union.

5 Reuters, « Immigration to boost UK growth but tame CPI-OECD», 28 novembre 2006, < http//today.
reuters.co.uk/news >.

6 The Economist, « Second Thoughts », 26 août 2006, p. 45-46.

7 Victor Piché, Eugénie Pelletier et Dina Epale, Identification des obstacles à la ratification de la
Convention de l’ONU sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de
leur famille : le cas du Canada, Paris, UNESCO/Migrations internationales et politiques multiculturelles,
2006.

8 Luc Legoux, « La migration : objectif démographique », conférence, CERIUM, 25 janvier 2006.

9 Au Canada, actuellement, l’immigration constitue les deux tiers de l’accroissement démographique,
lequel néanmoins ne saurait contrer un déclin. En France, elle en constitue un quart (François Héran,
« Cinq idées reçues sur l’immigration », Population et Société, n° 397, janvier 2004).

10 Le pourcentage des personnes pauvres, soit disposant de moins de 60% du revenu médian incluant

 

 

Denise Helly
Chercheure, INRS culture - société

“Au miroir de l’immigration. L’islam révélateur de conflits.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de François Crépeau, Delphine Nakache et Idil Atak, Les migrations internationales contemporaines. Une dynamique complexe au cœur de la globalisation. Chapitre 4, pp. 89-98. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2009, 414 pp.

 

Synthèse

 

Articles


Un contre-discours sur l’immigration au Québec

Yves Archambault
Conseiller au ministère de l’Immigration du Québec de 1992 à 2015, j’ai consigné dans un ouvrage  mes observations sur les pratiques et les orientations du ministère



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