Frédéric Back ou la vie plus forte que l'envie

Frédéric Back ou la vie plus forte que l’envie, par Jacques Dufresne

 

Mort de notre ami Frédéric Back, la veille de Noël 2013, juste avant une fête semblable à celle qu'il a célébrée dans CRAC. Nous voulions l’associer à nos Célébrations de l’incarnation, thème de la Lettre de l’Agora de décembre 2013. Nous ajoutons ce commentaire aux articles que nous lui avons déjà consacrés.

Frédéric Back : si près des hommes, si près des animaux, si près des arbres! Si près des dieux aussi, si l’on en juge par ses premiers films d’animation sur les mythes amérindiens : Iron ou la conquête du feu, La création des oiseaux. Si près de Dieu également? Sans l’ombre d’un doute si l’on en juge par le plus métaphysique de ses films : Tout-rien. Mais sa croix il la vivait sans estimer nécessaire d’en faire ostentation; sa croix c’était le mal fait aux traditions authentiques en même temps qu'à la nature.

Tout-rien! Ce film est un merveilleux dialogue avec le Dieu unique. Ce pourrait être celui des Juifs, celui de Platon, celui des chrétiens, celui des musulmans, la question ne se pose pas. La question qui se pose c’est celle d’une créature appelée homme qui n’est jamais content de son sort. De toute évidence le fait d’être le roi de la création ne le satisfait pas. Il en veut à Dieu de l’avoir créé nu et libre, inachevé par rapport à l’animal, mais capable de par sa liberté du plus bel achèvement. Il est dévoré par l’envie.

Voyant les poissons s’ébattre dans le ruisseau, il demande à Dieu de le refaire avec des nageoires. Il jouit quelques instants de son nouveau destin, puis il s’en lasse. Un destin est pour lui comme un jouet pour les enfants de la société de consommation. Dieu répond à toutes ses demandes, mais il se lasse aussi vite de son destin d’oiseau et de mammifère que de son destin de poisson. Il n’est pas l’homme du ressentiment. Il est le ressentiment fait homme. Ce qui lui donne tous les droits. Et on le voit détruire toutes les créatures qu'il avait d’abord enviées pour se gaver de leur chair et se parer de leurs plumes.

Dans tous ses films Frédéric Back s’indignera devant la démesure de l’homme. C’est dans Tout-rien seulement qu'il présente la démesure comme une fille de l’envie et par là il rejoint aussi bien Basile de Césarée, auteur d’un sermon prophétique sur l’envie préfigurant les analyses de Nietzsche, Scheler et Klages et Klages sur le ressentiment.

Les dimensions métaphysique et psychologique de cette thèse sont manifestes, mais on pourrait aussi la rattacher à l’évolution. L’homme naît inachevé. On peut présumer que les créatures inférieures de notre point de vue, aient paru supérieures à l’homme primitif et qu'il en ait conçu à leur endroit une envie incurable. Belle définition du péché originel.

C’est cette thèse qui donne son sens à l’ensemble de l’œuvre de Frédéric Back. Comment guérir l’être humain de sa démesure? En lui montrant ce qu'il détruit pour se gaver et se parer, ce qu'il fait dans Illusions et dans Crac, pour ce qui est des traditions, dans L’homme qui plantait des arbres et dans Le fleuve aux grandes eaux pour ce qui est de la nature. À noter de nouveau comment l’envie s’attaque simultanément aux traditions et à la nature.

Dans le même mouvement, Frédéric Back s’efforce de désarmer notre envie en nous présentant animaux et plantes sous leur plus beau jour. Quand vous les aimerez vraiment, nous dit-il, vous voudrez et saurez les protéger contre les magiciens. Les magiciens, c’est le thème d’un autre grand film méconnu de Frédéric Back, Illusions. C’est dans ce film qu'il explicite sa pensée sur la technique. Il évoque au début un rapport idyllique avec la nature dans une société traditionnelle comme celle que l’on retrouvera dans CRAC. Arrivent les grosses machines. Elles sont toutefois précédées d’un illusionniste et c’est lui qui par ses tours de magie et sa musique de carnaval séduit les gens. Et on retrouve ici le thème de Tout-rien : l’envie ne résiste à aucune promesse de bonheur même si ce bonheur a pour condition un asservissement à la machine. Dans le film,cet asservissement se termine par une révolte apocalyptique

Occasion de souligner un moment crucial de la carrière de Frédéric Back. Il dessinait selon la tradition. Ses films ont une âme, une unité liant entre eux des milliers de dessins. Peu après qu’il eut obtenu un Oscar pour L’homme qui plantait des arbres, son employeur la Société Radio-Canada, annonçait qu'il fermait son studio de films d’animation artisanal. Place au numérique! Frédéric Back, en dépit d’un succès unique dans l’histoire de Radio-Canada devenait victime du progrès technique comme les espèces animales et les traditions qu'il avait si bien défendues.

À ce moment, la petite équipe de l’Agora a lancé une pétition en faveur du maintien du vieux studio. Avec ou sans cette pétition, la décision aurait sans doute été annulée tant le manque de jugement dont elle témoignait était évident. Moyennant quoi Frédéric Back put se remettre à son travail d’artisan et nous donner Le Fleuve aux grandes eaux.

 

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