Déchet radioactif

"Outre un risque réel d'accident grave et des rejets radioactifs inévitables, la filière électronucléaire implique la production de déchets radioactifs. Actuellement, le débat sur l'énergie nucléaire dans l'Union européenne tend à se focaliser sur ce dernier aspect du problème.

En effet, le risque d'accident peut être maîtrisé jusqu'à devenir infime, tandis qu'une nocivité significative des effluents radioactifs n'a pas été démontrée.

En revanche, alors que la filière électronucléaire parvient à maturité et que la première génération de centrales approche de la fin, l'accumulation de déchets radioactifs est une réalité incontournable. Or, le devenir de ces déchets n'est pas encore clairement fixé.


a) Des volumes relativement limités

La classification des déchets produits par l'industrie nucléaire repose à la fois sur leur niveau de radioactivité et sur leur "durée de vie" définie par la période, c'est-à-dire le temps nécessaire pour que leur radioactivité diminue de moitié.

Sur la base de ces deux critères, on distingue trois catégories de déchets radioactifs :

- les déchets de type A, à faible et moyenne activité (entre 100 et 1 000 becquerels par gramme) et à vie courte (période de moins de 30 ans), qui proviennent des opérations d'exploitation des centrales ;

les déchets de type B, à moyenne activité, mais à vie longue (période supérieure à 30 ans), qui proviennent du fonctionnement des installations de fabrication et de retraitement du combustible, ainsi que des matériaux de structure des éléments combustibles ;

les déchets de type C, à forte activité et composés d'éléments à la fois à vie courte et à vie longue, qui proviennent des combustibles irradiés et sont incorporés dans des matrices de verre.

L'aval de la filière nucléaire produit une quatrième catégorie de déchets de très faible activité, dont la radioactivité est inférieure à 100 becquerels par gramme, qui sont les gravats et ferrailles provenant du démantèlement des centrales nucléaires désaffectées.

Pour bien saisir les données du problème, il est important d'avoir une idée des quantités et des volumes concernés.

Si l'on prend le cas de la France, la production annuelle de déchets de toute nature est de l'ordre de trois tonnes par habitant, dont 500 kg de déchets ménagers, 100 kg de déchets chimiques toxiques et moins de 1 kg de déchets radioactifs.

Par catégorie, les déchets A représentent 930 g par an et par habitant, les déchets B représentent 6,6 g par an et par habitant, et les déchets C représentent 3,3 g par an et par habitant.


En volume, toujours pour la France, l'Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) estime que la production entre 1998 et 2020 sera de 250 000 m3 pour les déchets de très faible activité, de 330 000 m3 pour les déchets de faible et moyenne activité à vie courte, de 80 000 m3 pour les déchets de moyenne activité à vie longue et de 6 000 m3 pour les déchets vitrifiés à haute activité.

La Direction générale de l'Environnement de la Commission européenne, dans une récente communication sur la gestion des déchets radioactifs (16), estime la production dans l'Union européenne de déchets radioactifs conditionnés, toutes catégories confondues, à environ 50 000 m3 par an.

Les partisans de la filière nucléaire peuvent donc faire valoir, avec une apparence de raison, que celle-ci produit des volumes de déchets très limités par comparaison avec d'autres activités industrielles, qui génèrent des déchets hautement toxiques en quantités très supérieures. En outre, les déchets radioactifs sont soigneusement confinés et recensés, alors qu'il n'en va pas toujours de même pour les déchets chimiques.

(...) Il n'en reste pas moins que des solutions doivent bien être trouvées pour le devenir de ces déchets radioactifs, aussi limités soient-ils."


source: Sénat français - Délégation pour l'Union européenne. L'énergie nucléaire en Europe: union ou confusion? Rapport d'information (no 320) sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l'énergie nucléaire en Europe. Session ordinaire de 1999-2000. Annexe au procès-verbal de la séance du 2 mai 2000. Rapporteur: Aymeri de Montesquiou

Enjeux

Faut-il recycler les combustibles irradiés?

"Les combustibles irradiés constituent les déchets de loin les plus radioactifs produits par l'industrie nucléaire. Ils sont composés à 96 % d'uranium 235 légèrement enrichi et de 1 % de plutonium hautement énergétique, dont un gramme peut produire autant d'énergie qu'une tonne de pétrole. Les 3 % restants sont constitués de produits de fission et actinides mineurs (neptunium, américium, curium) dépourvus de valeur énergétique.

Dès lors, deux modes fondamentaux de gestion des combustibles usés sont concevables :

- le stockage direct consiste à considérer les éléments combustibles irradiés comme des déchets ultimes dès le premier cycle d'utilisation et à les stocker en formation géologique profonde, après une période de refroidissement d'au moins cinquante années en entreposage de surface ;

- le traitement-recyclage consiste à considérer les éléments combustibles irradiés comme une ressource énergétique et à en extraire l'uranium et le plutonium valorisables.

L'uranium 235 peut être utilisé dans les réacteurs après enrichissement, l'uranium 238 associé au plutonium peut être utilisé dans les réacteurs à neutrons rapides, et le plutonium lui-même peut être utilisé dans les réacteurs combinés avec de l'uranium sous forme de combustible MOX (Mixed Oxyde Fuel).

Le retraitement présente certains avantages. D'une part, il réduit considérablement la masse des déchets. Même si les opérations de retraitement génèrent elles-mêmes des déchets radioactifs dits "technologiques", le volume final des déchets est divisé par cinq.

D'autre part, en extrayant le plutonium, le retraitement divise par dix la radiotoxicité des déchets ultimes. En effet, deux cents ans après la sortie du réacteur, la radiotoxicité du plutonium représente encore près de 90 % de la radiotoxicité du combustible usé.

Face à ces avantages, le retraitement présente aussi des inconvénients. D'une part, il comporte un risque de détournement à des fins militaires du plutonium extrait. C'est en raison de ce risque de prolifération que les Etats-Unis ont interrompu en 1977 leur propre programme de recyclage des combustibles nucléaires usés, et engagé depuis une croisade diplomatique mondiale contre le plutonium.

D'autre part, le retraitement, par les stockages intermédiaires et les opérations physico-chimiques complexes qu'il implique, est une source supplémentaire d'exposition aux radiations des travailleurs de l'industrie nucléaire. De même, par les trajets qu'il nécessite entre les réacteurs, les centres de retraitement et les usines de fabrication de combustibles MOX, le retraitement est à l'origine d'une part importante des transports de matières radioactives, sujet sensible pour l'opinion publique.

Les considérations économiques ne permettent pas non plus de départager les avantages et les inconvénients du retraitement-recyclage. L'usage de combustible MOX, s'il complique sensiblement les opérations pour l'exploitant des centrales nucléaires, n'a pas un coût de revient significativement supérieur à l'usage d'uranium enrichi.

In fine
, la décision de recycler ou non les combustibles nucléaires usés reste un choix politique, dans lequel les considérations stratégiques de sécurité d'approvisionnement et de réduction du volume des déchets ultimes sont primordiales.

Alors que les États-Unis ont renoncé au retraitement-recyclage tandis que la Russie, le Japon et la Chine le poursuivent, les pays européens se montrent partagés sur ce point. Seules la France, l'Allemagne et la Belgique, auxquelles il faut ajouter, hors Union européenne, la Suisse, autorisent certaines de leurs centrales nucléaires à utiliser du combustible MOX.

Deux autres États membres, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, n'utilisent pas de combustible MOX dans leurs centrales nucléaires, mais retraitent néanmoins leurs combustibles usés.

Par ailleurs, la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays occidentaux à disposer de capacités industrielles de retraitement, avec l'usine Cogema de La Hague et l'usine BNFL de Sellafield. Les autres Etats membres leur envoient donc pour retraitement leurs combustibles nucléaires usés, le Japon faisant de même.

Ce caractère international du retraitement des combustibles nucléaires usés pose un problème de principe. Les opinions publiques n'admettent pas l'idée de stocker sur le territoire national des déchets nucléaires d'origine étrangère.

Pour la France, la loi Bataille de 1991 (17) prévoit le retour des combustibles, après retraitement, dans leur pays d'origine. Mais, au rythme actuellement envisagé pour les convois de retour, il faudra vingt ans pour que la totalité des déchets étrangers accumulés à l'usine de La Hague reparte dans les pays d'origine. "



Comment stocker les déchets définitifs?

"Que l'on opte pour le retraitement-recyclage ou pour le stockage direct, il est dans tous les cas nécessaire de trouver des solutions pour le stockage des déchets nucléaires définitifs.

Les solutions actuellement envisagées sont scientifiquement acceptables. Le stockage terrestre en surface pendant quelques centaines d'années peut suffire pour les déchets de type A, qui représentent 90 % du volume mais pas plus de 1 % de la radioactivité du total des déchets produits.

Pour les déchets très faiblement actifs, un usage banalisé comme des remblais peut même être envisagé. Dans la mesure où elle pourrait favoriser des fuites frauduleuses de déchets plus radioactifs, cette solution est toutefois dénoncée par le récent rapport sur la politique française de stockage des déchets nucléaires fait par Mme Michèle Rivasi, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (18).

Compte tenu de leur radioactivité élevée et de leur grande durée de vie, les déchets de type B et C nécessitent encore plus de précaution.


Le stockage en formation géologique profonde apparaît comme une solution adaptée à des déchets qui, pour certains d'entre eux, demeurent radioactifs pendant des millions d'années. Le rapport précité de MM. Christian Bataille et Robert Galley sur l'aval du cycle nucléaire estime que, à condition de multiplier les barrières s'opposant à une migration éventuelle des radioéléments et d'inclure ceux-ci dans des matrices de verre adéquates, l'immobilisation des déchets radioactifs sur la durée requise est garantie, sauf intervention humaine accidentelle ou séisme.

Cette appréciation s'appuie sur des modélisations mathématiques à partir d'observations expérimentales, mais aussi sur l'étude du gisement d'uranium d'Oklo, au Gabon, dans lequel les restes de quinze "réacteurs naturels" ont été découverts en 1977. Ces réactions atomiques enclenchées grâce à une concentration naturellement suffisante du minerai se sont poursuivies pendant cinq cents ans, il y a deux milliards d'années, avant de s'éteindre. Les produits de fission radioactifs sont restés piégés quasiment sur place.

Scientifiquement crédibles, les solutions de stockage en formation géologique profonde tardent à être politiquement mises en oeuvre.


L'une des raisons pouvant expliquer ce retard est le débat relatif à la réversibilité. Il s'agit là d'une question éthique, qui engage la responsabilité des décideurs actuels à l'égard des générations futures. Une forme irréversible de stockage des déchets nucléaires présente l'avantage de décharger les générations futures de toute obligation de gestion et de surveillance. Mais elle peut les exposer à un risque en cas d'accident géologique.

Une forme réversible de stockage impose un suivi permanent des déchets de génération en génération. Mais la reprise des combustibles usés pourrait être justifiée dans deux hypothèses. La première serait une perte de confinement dangereuse pour l'environnement. La seconde serait un progrès suffisant des recherches sur la transmutation des radioéléments (19) pour permettre une diminution notable de leur radiotoxicité.

La réversibilité a un coût important, car elle oblige à renforcer les conditions de sûreté et suppose une durabilité inhabituelle pour tout un ensemble de technologies et d'équipements. Cette notion séduisante semble toutefois avoir la faveur de tous les pays européens concernés, dans la mesure où elle permet de préserver les voies qui pourraient être ouvertes par les progrès scientifiques futurs.

Actuellement, aucun des États membres de l'Union européenne n'a dépassé le stade des études et enquêtes préalables pour le stockage définitif des déchets nucléaires hautement radioactifs.


La Belgique mène des études dans un laboratoire souterrain implanté dans une couche argileuse, à plus de 200 mètres de profondeur sous le site nucléaire de Mol.

En France, la construction d'un laboratoire souterrain en site argileux a été autorisé dans la Meuse, et des prospections sont en cours dans l'ouest du pays pour l'implantation d'un second laboratoire en site granitique. Le choix de sites définitifs de stockage a été repoussé à 2006.

En Allemagne, des travaux expérimentaux sont conduits dans le laboratoire souterrain de la mine de sel de Morsleben. S'agissant des sites de stockage profond, la mine de sel de Gorleben est prospectée, pour les déchets dégageant de la chaleur, et l'ancienne mine de fer de Konrad fait l'objet d'une procédure d'autorisation, pour les autres déchets.

La Suède conduit des expériences en site granitique dans le laboratoire souterrain d'Äspö, mais le dépôt d'une demande d'autorisation pour un centre de stockage ne devrait pas intervenir avant 2003.

Au Royaume-Uni, si l'industrie nucléaire a pu procéder à des forages de puits afin de tester le site de Sellafield, la construction d'un laboratoire souterrain lui a été refusée pour l'instant. La commission de la Science et de la technologie de la Chambre des Lords s'est prononcée en faveur de la création d'un centre de stockage profond, mais le gouvernement a répondu qu'il ne prendrait aucune décision avant d'avoir procédé à de larges consultations.

La Finlande est l'Etat membre le plus avancé dans la voie d'une solution définitive, puisqu'elle vient de désigner le site retenu pour l'enfouissement de ses déchets nucléaires, à plusieurs centaines de mètres sous le socle granitique scandinave. Mais la construction du dépôt souterrain ne devrait démarrer qu'en 2010.

Certes, la lenteur des décisions peut s'expliquer par la complexité des études scientifiques préalables, et par la nécessité de convaincre les populations localement concernées.

(...) cette lenteur trahit surtout la répugnance des gouvernements européens à trancher dans un domaine aussi sensible pour leurs opinions publiques.

Cette attitude de temporisation est encouragée par le fait qu'il n'y a pas d'urgence technique, puisque les déchets radioactifs doivent d'abord refroidir en étant provisoirement entreposés en surface une cinquantaine d'années.

Mais elle compromet de manière grave la crédibilité de toute la filière électronucléaire. En effet, tant qu'un centre d'enfouissement des déchets radioactifs en formation géologique profonde ne fonctionnera pas dans chacun des Etats membres concernés, un doute subsistera dans l'esprit des citoyens européens sur la pérennité du cycle nucléaire."


source: Sénat français - Délégation pour l'Union européenne. L'énergie nucléaire en Europe: union ou confusion? Rapport d'information (no 320) sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l'énergie nucléaire en Europe. Session ordinaire de 1999-2000. Annexe au procès-verbal de la séance du 2 mai 2000. Rapporteur: Aymeri de Montesquiou

Devenir des déchets nucléaires: résultats et perspectives (Commissariat à l'énergie atomique, Fr.)

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