Mollison Bill

Bill Mollison, le père de la permaculture, n’est plus

par Andrée Mathieu, 17 octobre 2016



« Il n’y a qu’une seule véritable décision éthique, celle de prendre la responsabilité de notre existence et de celle de nos enfants. »
Bill Mollison

« Un arbre immense est tombé dans la forêt de l’humanité. » C’est ainsi que Geoff Lawton1, directeur de l’Institut de recherche sur la permaculture (Permaculture Research Institute, situé en Australie2) a annoncé le décès du père de la permaculture Bruce Charles « Bill » Mollison, qui s’est éteint le 26 septembre 2016.

La permaculture est un système de design éthique imitant les modèles et les relations rencontrés dans la nature (biomimétisme). Elle consiste à assembler des éléments conceptuels, matériels et stratégiques pour créer des paysages, tout en récoltant en abondance la nourriture, les fibres et l'énergie nécessaires pour satisfaire les besoins locaux. Le film Demain, très apprécié du public québécois, a récemment célébré cette philosophie, venue du bout du monde, reprise par la Ferme du Bec Hellouin3.

Biographie de Bill Mollison

Né en 1928, Bill Mollison a grandi dans un magnifique petit village de pêcheurs appelé Stanley en Tasmanie. Quiconque a visité ce beau pays lointain, au sud de l’Australie, comprend que les résidents aient appris à vivre en autarcie. « Nous fabriquions absolument tout ce dont nous avions besoin » dira Mollison. Il quitta l’école à l’âge de 15 ans pour aider à gérer la pâtisserie familiale. Puis, dans les années suivantes, il a vécu de petits boulots : marin et pêcheur de requins, travailleur forestier, ouvrier dans une scierie, trappeur, conducteur de tracteur et naturaliste. Malgré son manque de formation académique, cette période lui a permis d’apprendre comment le monde fonctionne. C’est à cette époque qu’il a réalisé qu’une partie des systèmes naturels qui l’entouraient était en train de disparaître. Les stocks de poissons avaient commencé à décliner, la couche d’algues le long des côtes s’amincissait et de larges parcelles de forêt commençaient à mourir. Ce triste constat lui a fait réaliser qu’il était très attaché à son environnement et qu’il aimait son pays profondément.

À partir de 1954, il travaille en tant que biologiste dans la brousse australienne pour une organisation environnementale, puis en tant que biologiste marin pour le gouvernement australien. C’est à cette époque qu’il se joint aux manifestations contre les systèmes politiques et industriels qui tuent les humains et le monde autour d’eux. Mais il se dit que ça ne mène à rien et il se retire de la société pendant deux ans, décidé à ne plus jamais protester mais à revenir avec quelque chose de positif, une solution qui permettrait d’éviter l’effondrement des systèmes biologiques. Il effectue un retour aux études en 1966, décroche son diplôme de biogéographie et devient professeur à l’Université de Tasmanie, où il crée le département de Psychologie Environnementale. C’est là qu’il fait la connaissance d’un jeune étudiant australien, David Holmgren, venu à Hobart pour étudier le design environnemental. Mollison et Holmgren partagent la même passion pour la question des liens entre l'être humain et les systèmes naturels. Leurs expériences de jardinage et leurs interminables conversations les conduisent à développer un système pour une agriculture durable basé sur une polyculture vivace composée d’arbres, de buissons, d’herbes, de légumes, de champignons et de racines, auquel le Tasmanien donne le nom de « permaculture ». On est en 1974. Deux ans plus tard, Mollison commence à donner des conférences sur ce système et en 1979, il démissionne de son poste à l’université pour se consacrer à la promotion et à l’enseignement de la permaculture de par le monde.

Bill Mollison a structuré la formation des professionnels de la permaculture, notamment en publiant Permaculture – A Designer's Manual. Il a été le premier étranger admis à l’Académie russe des sciences de l’agriculture. Il s’est mérité beaucoup d’honneurs, dont la médaille Vavilov décernée par l’Académie russe des sciences naturelles (RANS) pour sa ténacité, son courage et sa contribution au développement de la biologie et de l’agriculture. En 1981, il a reçu le Prix Nobel alternatif pour ses travaux concernant la permaculture et ses services à l’humanité. Il s’est éteint paisiblement à Hobart dans sa chère Tasmanie à l’âge de 88 ans, non sans laisser au monde une vision et un système de design pour un futur durable et, surtout, de l’espoir. Ses derniers mots témoignent de son sens de l’humour : « Si on vous dit que je suis mort, dites-leur que ce sont des menteurs ». Il vivra sûrement très longtemps à travers la permaculture puisque c’est la solution de l’avenir.

La permaculture4

Le terme « permaculture » est une contraction de permanent et de culture. La vision de la permaculture a évolué d'une agriculture permanente en une culture de la permanence ou durabilité. Bill Mollison décrit la permaculture comme une « philosophie qui consiste à travailler avec la nature, au lieu de lutter contre elle, à faire une observation prolongée et réfléchie au lieu d’un travail prolongé et irréfléchi, à considérer les plantes et les animaux dans toutes leurs fonctions au lieu de traiter chaque lieu comme un système ne produisant qu’une seule chose à la fois. » C’est l’intégration harmonieuse du territoire et de ses habitants pour satisfaire d’une façon viable leurs besoins autant sur le plan matériel qu’immatériel.

Bien sûr la permaculture concerne les plantes, les animaux, les bâtiments et les infrastructures, mais elle ne repose pas sur ces éléments eux-mêmes mais sur les relations qu’on peut créer entre eux par la façon dont on les dispose dans le paysage. La permaculture combine les qualités inhérentes aux plantes et aux animaux avec les caractéristiques naturelles de l’environnement pour créer un système qui soutient la vie aussi bien dans les villes que dans les campagnes, en utilisant la plus petite parcelle de terrain. La permaculture s’appuie sur l’observation des systèmes naturels diversifiés, stables et résilients, sur la sagesse contenue dans les modèles d’agriculture traditionnelle, mais aussi sur les connaissances technologiques et scientifiques modernes. « Je pense que l’harmonie avec la nature n’est possible que si on abandonne notre sentiment de supériorité sur le monde naturel » disait Bill Mollison. Nous ne sommes pas supérieurs aux autres formes de vie car elles sont toutes des expressions de la même Vie. Si nous pouvions reconnaître cette vérité, nous comprendrions que tout ce que nous faisons aux autres êtres vivants, nous nous le faisons à nous-mêmes.

L’agriculture moderne ne reconnaît pas ses véritables coûts : la terre est dégradée et rendue infertile par la culture industrielle des céréales et des légumes annuels ; des ressources non renouvelables sont utilisées pour soutenir les récoltes ; la terre subit de l’érosion à cause du surpâturage et du labourage intensif ; le sol et l’eau sont pollués par les produits chimiques. Quand les besoins d’un système ne sont pas satisfaits à l’intérieur même du système, on paie le prix en consommation d’énergie et en pollution. Pourtant, nous avons tout ce qu’il nous faut pour mener une bonne vie : nous sommes entourés par le soleil, le vent, les gens, les pierres, la mer, les animaux et les plantes. « Coopérer avec toutes ces choses apporte l’harmonie, leur faire la lutte attire les désastres et le chaos » (Mollison)

Bill Mollison considérait les valeurs morales comme des « actions » en faveur de notre survie sur la planète. La permaculture comprend une éthique à trois volets : le soin de la terre, le soin des gens et la redistribution de nos surplus de temps, d’argent et de matériel pour assurer les deux premiers volets. Le soin de la terre désigne le bon traitement de tous les êtres vivants et non vivants : les sols, l’atmosphère, l’eau, les forêts, les animaux, la biodiversité et les micro-habitats. Le soin des gens implique de faire en sorte que leurs besoins vitaux en nourriture, hébergement, éducation, emploi et rapports sociaux conviviaux soient satisfaits. Le troisième volet éthique suggère qu’après avoir comblé nos besoins humains de base et conçu nos systèmes de la meilleure façon possible, nous étendions notre influence et utilisions nos surplus pour aider les autres à en faire autant. Comme on le voit, l’éthique de la permaculture s’étend à tous les aspects des systèmes environnementaux, communautaires, économiques et sociaux. La coopération, non la compétition, en est la clé.

Pendant que Bill Mollison voyageait autour du monde pour promouvoir et enseigner la permaculture, David Holmgren concentrait ses efforts à tester et à raffiner leur idée originale et à développer un ensemble de douze principes5 sur lesquels s'appuyer pour concevoir une société durable. On peut les résumer ainsi :
1. Observer et interagir
2. Capter et stocker l’énergie
3. Obtenir un rendement
4. Favoriser l’autorégulation et accueillir la rétroaction
5. Utiliser et mettre en valeur les ressources et les services renouvelables
6. Ne produire aucun déchet
7. Aller du général au spécifique
8. Intégrer au lieu de séparer
9. Utiliser des solutions lentes et de petite taille
10. Favoriser et valoriser la diversité
11. Utiliser les bordures et valoriser le marginal
12. S’adapter au changement et l’utiliser avec créativité

Le professeur d’écologie américain David Ehrenfeld lance cet appel : « Notre tâche la plus urgente est de créer une structure fantôme économique, sociale et même technologique qui sera prête à prendre la relève quand le système actuel tombera en panne. » Où que nous vivions, nous devons commencer à agir. Imitons Bill Molisson et David Holmgren qui, dans leur premier livre sur la permaculture, écrivaient : «Vous allez probablement dire que nous cherchons à recréer le jardin d’Eden… Et pourquoi pas ?»



1. http://www.geofflawtononline.com
2. http://permaculturenews.org
3. http://www.fermedubec.com
4. Cette section est inspirée du livre de Bill Mollison, Introduction to Permaculture, Tagari Publications, Tasmania, 1991
5. https://holmgren.com.au/downloads/Essence_of_Pc_FR.pdf

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