Sainte-Élisabeth

Jacques Dufresne

Au coeur de l’histoire de ce village, un couvent des Soeurs de la Providence devenu un monument historique menacé de démolition et une somptueuse église enlisée, symbole aussi saisissant que celui de la légende bretonne de la cathédrale engloutie mise en musique par Debussy.

Sainte-Élisabeth, dans la MRC d’Autray, est mon village natal. Réjean Olivier qui fut un voisin et un ami d’enfance, puis un confrère au collège classique de Joliette, avant de devenir bibliothécaire, a consacré une partie de sa vie à la défense et à l’Illustration de la culture de sa région, Lanaudière, et de sa paroisse, surnommée Bayole. Je dis paroisse, car dans l’album d’histoire que nous présentons ici et dont Réjean est l’auteur, l’accent est mis sur le passé catholique du lieu, ce qui est assez fidèle à la réalité de la principale époque en cause, la génération 1940. Réjean est né en 1938 et moi en 1941. Dans l’album, cette époque est reliée à un passé plus lointain.

La photo que nous reproduisons ici est celle de Sœur Claire Houde, Supérieure provinciale des Sœurs de la Providence en 2020.  Ce choix illustre bien l’histoire de cette paroisse. Sœur Claire y est née et elle a fait ses études secondaires au couvent du lieu ,construit en 1849, du vivant de Mère Émilie Gamelin, fondatrice de la Communauté des Sœurs de la Providence, pour être reconstruit et agrandi par la suite. La conservation de ce monument historique, devenu propriété de l’État,  en tant que Centre d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) a fait, en 2019 et 2020, l’objet d’un débat public auquel Sœur Claire a participé. Au printemps 2020, au plus fort de la première vague de la pandémie  de la C0VID19, elle été obligée de prendre publiquement la défense des vieilles religieuses de sa communauté. Plusieurs de ces femmes étaient des bayolaises. J’ai participé moi-même à ce débat comme je l’avais fait pour le précédent. Il est question du couvent dans l’album de Réjean Olivier.

Cet album, un récit à la fois naïf et savant, coloré et rigoureux, est un modèle réduit de l’histoire de l’ensemble du Québec, du Canada français et d’une partie de l’Occident chrétien : architecture, fêtes et cérémonies religieuses, éducation, démographie, généalogie, santé, avènement de l’automobile, tout cela s’y trouve, souvent illustré par des images qui ajoutent au pittoresque des sujets traités.

L’image principale, celle d’une somptueuse église dotée d’un dôme rappelant celui de Saint-Pierre de Rome, est un symbole aussi saisissant que prophétique. Le faste de ce monument, ouvert au culte en 1906, dépassait celui de la cathédrale de Joliette, terminée en 1892. Faste éphémère, car construite sur un terrain argileux sans les fondations adéquates, sans la pierre sur la pierre, l’édifice fut condamné en 1930 parce qu’il menaçait de s’effondrer. Il ne sera toutefois démoli qu’en 1949 selon un scénario hollywoodien : 

« Un jeudi soir, le poste de radio de Sorel avait annoncé la chute du clocher pour  le soir même, le 29 avril 1949. Une grande foule de résidents et anciens de la paroisse se rendit sur les lieux, mais vers 8 heures le soir le cable se brise et rien ne bougea. Le lendemain après avoir scié une partie de la charpente, tiré à l’aide de deux cables, le clocher céda et dégringola sur le sol. C’était le vendredi 29 avril 1949, vers 13h30. »

Les cables étaient tirés par un bulldozer. J’ai été témoin de cette décapitation, témoin aussi de la difficile transition qui s’ensuivit. Le paiement de la somptueuse église n’était pas terminé quand il fallut construire à la hâte, pour la remplacer, une espèce de hangar temporaire tout en préparant les plans d’une nouvelle église reposant sur des pierres plus solides. Cela ne se fit pas sans querelles de clocher et sans recours aux avocats. L’architecte de la cathédrale engloutie était un confrère du curé régnant…La suite de l’histoire prouve que même en cette époque de triomphalisme religieux, les brebis savaient tenir tête aux pasteurs, au risque de devenir, dans une certaine rumeur publique, des antéchrist condamnés à l’enfer. Certains de ces pécheurs étaient de bons chrétiens d’autres étaient, pour un temps du moins, des libres penseurs. Mes parents recevaient les uns et les autres à leur table, ce qui m’apprit qu’on pouvait à la fois être chrétien et libre.

Et cela n’est qu’un aperçu de la diversité des caractères, des mœurs et des idées qu’il m’a été donné d’observer. À distance, il m’arrive de penser que pour contenir un tel volcan humain sans l’éteindre, il fallait un subtil mélange d’austérité morale et de festivités. Entre deux confessions et deux absolutions, l’enfer ne semblait pas causer de traumatismes incurables.

N.B. L’album dont voici le lien est lourd parce qu’Il contient beaucoup d’images. Le téléchargement peut durer plus d’une minute.



album-sainte-elisabeth-rejean-olivier.pdf

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