Orientation

Ce dossier est consacré au sens de l'orientation, qui fut, on peut facilement l'imaginer, d'une importance cruciale dans la vie des individus et des groupes tout au long de l'évolution.  Il supposait une intelligence des lieux, du détail comme de l'ensemble, qui pourrait bien être l'ébauche de celle qui se déploie aujourd'hui  dans l'analyse des systèmes complexes. Celui qui avait le sens de l'orientation était aussi celui vers lequel on se tournait en cas de danger. Il suffit pour le comprendre de faire une excursion en pays sauvage avec un bon guide. Quand il ne sera plus nécessaire d'exercer ce sens de l'orientation, quand le GPS remplira partout ses fonctions, l'humanité aura perdu quelque chose, mais quoi précisément? Le saurons-nous jamais? L'humanité aura gagné en égalité: tous peuvent se servir du GPS, mais qui sait ce qu'elle aura perdu en qualité? Elle se sera affranchie davantage de la nature et de ses dons, mais qui sait les plaisirs et les joies dont elle se sera privée. L'arbre, la fleur rare le sentier que l'on contemple parfois jusqu'à l'extase dans ses heures de loisir étaient aussi  ceux qu'on avait besoin de reconnaître pour trouver son chemin.

Le roman Maria Chapedelaine de Louis Hémon, contient une saisissante évocation, par omission, du sens de l'orientation. François Paradis, le héros du roman, amoureux de Maria, entreprit de faire en raquettes un long voyage dans la forêt boréale dans l'espoir de fêter le nouvel an dans la famille Chapedelaine au Las Saint-Jean.

«Il s'est écarté...
Des gens qui ont passé toute leur vie à la lisière des bois canadiens savent ce que cela veut dire. Les garçons téméraires que la malchance atteint dans la forêt et qui se trouvent écartés-perdus-ne reviennent guère. Parfois une expédition trouve et rapporte leurs corps, au printemps, après la fonte des neiges... Le mot lui-même, au pays de Québec et surtout dans les régions lointaines du nord, a pris un sens sinistre et singulier, où se révèle le danger qu'il y a à perdre le sens de l'orientation, seulement un jour, dans ces bois sans limites.
-Il s'est écarté... La tempête l'a surpris dans les brûlés et il s'est arrêté un jour ; on sait ça à cause que des Sauvages ont trouvé l'abri en branches de sapin qu'il s'était fait, et ils ont vu aussi ses pistes.
Il est reparti parce qu'il n'avait guère de provisions et qu'il avait hâte d'arriver, je pense ; mais le temps était encore méchant, la neige tombait, le norouâ soufflait dur, et probablement qu'il ne pouvait pas voir le soleil ni marquer son chemin, car les Sauvages ont dit que ses pistes s'éloignaient de la rivière Croche, qu'il avait suivie, et s'en allaient dret vers le nord.
Personne ne parlait encore ; ni les deux hommes qui écoutaient en hochant parfois la tête, comprenant tous les détails de la tragique aventure ; ni la mère Chapdelaine, dont les mains s'étaient jointes sur ses genoux comme pour une imploration tardive ; ni Maria.
-Quand on a su ça, des hommes d'Ouatchouan sont partis, après que le temps s'était adouci un peu. Mais la neige avait couvert toutes les pistes et ils sont revenus en disant quels n'avaient rien vu, voilà trois jours passés. Il s'est écarté...

 

 

 

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