Flatterie

«Louange fausse et exagérée adressée à quelqu'un; attention intéressée, geste, acte visant à gagner la faveur de quelqu'un.» Trésor de la langue française

Le flatteur selon Théophraste

«Conformément à l'usage, les crochets droits [ ] indiquent une suppression de texte suggérée par l'éditeur, de même que les crochets obliques < > proposent un ajout...» Suite de la note liminaire.

(1) [La flatterie, on pourrait la concevoir comme une pratique basse mais profitable pour le flatteur.]

Le flatteur est du genre (2) à dire, tout en marchant : "Tu réalises comme les gens regardent de ton côté ? ça, ça n'arrive en ville à personne d'autre qu'à toi !". "Tu étais fameusement en vogue hier, sous le portique ! Comme on était assis là à plus de trente hommes et qu'on est tombé sur le sujet 'qui est le meilleur ?', tous les suffrages, à mon initiative, se sont portés sur ton nom".

(3) Tout en disant ce genre de choses, le flatteur ôte une peluche du manteau de l'autre et si un brin de paille est projeté par le vent sur ses cheveux, il l'en retire et dit en souriant : "Tu vois, depuis deux jours que je ne t'ai pas rencontré, tu as la barbe pleine de gris, mais il faut convenir que tu conserves mieux que personne les cheveux noirs pour ton âge !"

(4) Le pigeon dit-il quelque chose, le flatteur enjoint aux autres de se taire; s'il écoute, il l'en félicite; s'il s'arrête, il l'approuve "Parfait !"; si l'autre fait une plaisanterie insipide, le flatteur éclate de rire et tire son manteau sur sa bouche comme s'il ne pouvait contenir son hilarité.

(5) Les gens qu'on rencontre, il les invite à s'arrêter jusqu'à ce que son homme soit passé. (6) Il apporte des pommes et des poires qu'il a achetées pour les gosses, les leur donne sous ses yeux et les embrasse en disant : "ça, c'est la nichée d'un père épatant !".

(7) Allant avec lui acheter des galoches, il affirme que son pied est bien mieux fait que la chaussure. (8) Son homme se rend-il chez un ami, le flatteur court en avant, en disant "Il vient chez toi !", puis, revenant sur ses pas, "je t'ai annoncé !". (9) Naturellement, il est capable aussi de faire sans souffler les courses pour lui au marché des femmes.

(10) Il est le premier parmi les convives à faire l'éloge du vin, insiste en disant : "Comme on mange finement, chez toi !" et, prenant quelque chose sur la table, il déclare :"Mais que ceci est donc délicieux !". Il demande à son homme s'il n'a pas froid, s'il souhaite se couvrir, s'il ne lui mettrait pas quelque chose sur les épaules; et, ce disant, il se penche et lui susurre quelque chose à l'oreille. C'est encore vers le même que se dirigent ses regards lorsqu'il bavarde avec les autres. Au théâtre, il reprend les coussins au jeune esclave et les dispose lui-même. Quant à la maison du pigeon, elle a, dit-il, été bien dessinée, son terrain, bien planté, et son portrait est vraiment ressemblant.

(13) [Bref, on peut observer que le flatteur dit et fait tout ce qu'il imagine pouvoir le rendre agréable.]

THEOPHRASTE, Les Caractères (1 à 9), Nouvelle traduction annotée par Marie-Paule LOICQ-BERGER (janvier 2002),  Chef de travaux honoraire de l'Université de Liège.

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Vérité

Jacques Dufresne

Première version 2001

Essentiel

«Tel est le penchant des petites âmes : elles voudraient par leurs flatteries abaisser jusqu’à elles ce qui est grand, pour s’asseoir à la même table.»
Nietzsche, Zarathoustra.

Sénèque : "Les flatteries d’autrui nous sont plus préjudiciables que celles que nous nous prodiguons. Qui ose s’avouer la vérité ? qui, lorsqu’il se trouve au milieu d’un troupeau de flatteurs et de flagorneurs, ne fait pas de la surenchère à son avantage ? "

Platon, Gorgias, : " fuir toute flatterie, aussi bien celle qui a rapport à soi-même que celle qui a rapport aux autres, qu’elle ait rapport à un petit nombre d’hommes ou bien à un grand nombre ".

Enjeux

La répartition de la flatterie suit celle du pouvoir. Faire le décompte et l'analyse des flatteries s'adressant aux ministres, aux chefs d'entreprise, aux leaders religieux, aux vedettes, aux savants, aux écrivains serait une excellent méthode pour décrire les rapports de force dans une société.

L'article Flatterie du dictionnaire philosophique de Voltaire fait bien voir que l'usage de la flatterie dans une société croît avec le caractère absolu du pouvoir:

«Je ne vois pas un monument de flatterie dans la haute antiquité; nulle flatterie dans Hésiode ni dans Homère. Leurs chants ne sont point adressés à un Grec élevé en quelque dignité, ou à madame sa femme, comme chaque chant des Saisons de Thomson est dédié à quelque riche, et comme tant d’épîtres en vers, oubliées, sont dédiées en Angleterre à des hommes ou à des dames de considération, avec un petit éloge et les armoiries du patron ou de la patronne à la tête de l’ouvrage.

Il n’y a point de flatterie dans Démosthène. Cette façon de demander harmonieusement l’aumône commence, si je ne me trompe, à Pindare. On ne peut tendre la main plus emphatiquement.

Chez les Romains; il me semble que la grande flatterie date depuis Auguste. Jules César eut à peine le temps d’être flatté. Il ne nous reste aucune épître dédicatoire à Sylla, à Marius, à Carbon, ni à leurs femmes ni à leurs maîtresses. Je crois bien que l’on présenta de mauvais vers à Lucullus et à Pompée; mais, Dieu merci, nous ne les avons pas.

C’est un grand spectacle de voir Cicéron, l’égal de César en dignité, parler devant lui en avocat pour un roi de la Bithynie et de la Petite Arménie, nommé Déjotar, accusé de lui avoir dressé des embûches, et même d’avoir voulu l’assassiner. Cicéron commence par avouer qu’il est interdit en sa présence. Il l’appelle le vainqueur du monde, victorem orbis terrarum. Il le flatte; mais cette adulation ne va pas encore jusqu’à la bassesse; il lui reste quelque pudeur,

C’est avec Auguste qu’il n’y a plus de mesure. Le sénat lui décerne l’apothéose de son vivant. Cette flatterie devient le tribut ordinaire payé aux empereurs suivants; ce n’est plus qu’un style. Personne ne peut plus être flatté, quand ce que l’adulation a de plus outré est devenu ce qu’il y a de plus commun.

Nous n’avons pas eu en Europe de grands monuments de flatterie jusqu’à Louis XIV. Son père Louis XIII fut très peu fêté; il n’est question de lui que dans une ou deux odes de Malherbe. Il l’appelle, à la vérité, selon la coutume, roi le plus grand des rois, comme les poètes espagnols le disent au roi d’Espagne, et les poètes anglais lauréats au roi d’Angleterre; mais la meilleure part des louanges est toujours pour le cardinal de Richelieu.
    Son âme toute grande est une âme hardie,
    Qui pratique si bien l’art de nous secourir,
    Que, pourvu qu’il soit cru, nous n’avons maladie
    Qu’il ne sache guérir 1

Pour Louis XIV, ce fut un déluge de flatteries. Il ne ressemblait pas à celui qu’on prétend avoir été étouffé sous les feuilles de roses qu’on lui jetait. Il ne s’en porta que mieux.

La flatterie, quand elle a quelques prétextes plausibles, peut n’être pas aussi pernicieuse qu’on le dit. Elle encourage quelquefois aux grandes choses; mais l’excès est vicieux comme celui de la satire.

La Fontaine a dit, et prétend avoir dit après Ésope:
    On ne peut trop louer trois sortes de personnes,
    Les dieux, sa maîtresse, et son roi.
    Ésope le disait; j’y souscris quant à moi:
    Ce sont maximes toujours bonnes.
    (Liv. I, fable XIV.)

Ésope n’a rien dit de cela, et on ne voit point qu’il ait flatté aucun roi ni aucune concubine. Il ne faut pas croire que les rois soient bien flattés de toutes les flatteries dont on les accable. La plupart ne viennent pas jusqu’à eux.»

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1. Cardinal de Richelieu

Commentaires et textes de liaison: J.D.

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