Gounod Charles

«On a fêté, en 1918, le centenaire de la naissance de Gounod. L'époque était alors mal choisie pour célébrer un musicien aussi détaché de la haine et de l'idée de vengeance, un musicien qui, toute sa vie, ne songea qu'à l'amour. Les amants de Vérone intéressaient alors fort peu les Européens, occupés à la guerre, et l'histoire n'a pas eu l'occasion de donner à Gounod la place à laquelle il a droit.

Cependant, des revues ont consacré des numéros entiers à l'auteur de Faust et de Roméo. Les plus célèbres musiciens du monde ont exprimé leur admiration pour le grand musicien de l'amour. On a publié leurs hommages et, en même temps qu'on a ressuscité les critiques qu'avait motivées l'apparition de Faust et de Roméo, de nombreux documents et lettres ont paru qui nous éclairent sur les débuts du jeune Charles Gounod.

Parmi ces éloges, signés des plus grands noms, on trouve, certes, quelques vilains échos et il s'en faut que Faust, par exemple, ait été un succès immédiat. Au contraire. Wagner écrivit même que Faust était une insulte au génie allemand. « Faust est un salmigondis nauséabond, disait-il, une platitude douceâtre, dans un style affecté de femme galante, avec la musique d'un talent subalterne qui voudrait arriver à quelque chose et, dans sa détresse, a recours à tous les moyens. » En échange de tout ce fiel, Gounod se fit le défenseur de Tannhâuser et de Lohengrin à Paris, ainsi que le rappelle son biographe, Camille Bellaigue.

Il eut cependant l'honneur de compter des défenseurs acharnés et convaincus, tels que Berlioz, Hans de Bulow, Bizet, Reyer, César Cui, Glazounow, Rimsky-Korsakow, Henri Duparc, Vincent d'Indy et, surtout, le plus chaud et le plus éloquent de tous, Saint-Saëns. Il ne faut pas, non plus, oublier Raymond Poincaré, dont certain discours sur Gounod reste fameux.

Debussy lui-même ne fut pas insensible à la musique de Gounod. A ceux qui se demandaient pourquoi l'Opéra s'obstinait à jouer Faust, qui est toujours le grand succès de la maison, il répondit que « les raisons de durer dans la mémoire des hommes sont multiples et n'ont pas toujours besoin d'être considérables. Émouvoir une grande partie de ses contemporains est un des meilleurs moyens de durer ». Nul ne contestera qu'en ce domaine, Gounod ait réussi mieux qu'aucun autre.

Mais qui donc a pu rester insensible au charme sans pareil des nombreuses belles pages de Roméo et de la scène du Jardin, dans Faust ? Oh! je sais bien que, dans ma première jeunesse, j'ai, moi aussi, résisté... Mais, à dix-huit ans, on a le droit d'être inhumain. Un peu plus tard, on ose avouer un tendre respect pour le cher « grand-père souriant et généreux » qu'était Gounod, et on peut l'aimer sans arrière-pensée. Aujourd'hui, je prends un plaisir ineffable à Roméo et Juliette, où l'on trouve les plus beaux modèles de phrases chantées qui soient dans la musique de théâtre. Peu m'importe que la polyphonie qui recouvre tout cela soit mince et sans beaucoup d'intérêt. Elle est loin d'être pauvre et il faut reconnaître que tout y est à sa place et que rien n'est plus vocal qu'une mélodie de Gounod. Dans chacun des duos d'amour qui illuminent l’œuvre toute entière, l'âme même de la musique s'envole dans une atmosphère douce et amoureuse et nous entraîne avec elle.

Tout reste humain dans cette musique, rien n'est transposé de façon abstraite. Au contraire, on sent tout près de soi la vérité objective et sensible, le souffle vivant de Juliette et de Roméo. La passion, un peu timide, d'abord, s'exalte peu à peu en des duos tels que celui des fiançailles, celui de l'hyménée, pour atteindre enfin son apogée dans la scène du tombeau, qui est d'une grande puissance dramatique et dynamique. Sur ce sommet, Shakespeare et Gounod se rencontrent admirablement, dans un même degré d'intensité et d'émotion. La musique et la poésie consacrent enfin les amours malheureuses des adolescents de Vérone.

Cette oeuvre n'est pas facile à jouer. Elle l'est encore moins à chanter. Mais pour peu que l'on joue et que l'on chante bien, elle prend facilement corps et elle peut alors convaincre les plus irréductibles.»

Léo-Pol Morin, Musique, Montréal, Beauchemin, 1946

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