Bioéthique

La bioéthique est l'éthique appliquée aux sciences et aux techniques de la vie, à la médecine plus particulièrement.

La faute par excellence contre la bioéthique est la dissociation des émotions agréables que procurent les prouesse de la médecine et la dure réalité des coûts et des conséquences de ces prouesses. On a eu un exemple typique de cette dissociation au Québec en juillet 2002.

Un exemple de sensationnalisme en médecine
«Vendredi 12 juillet 2002: depuis plus d’une semaine les médias remplissent le vide des vacances en célébrant le plus récent miracle de la médecine: la survie d’un bébé grâce à un cœur enfin venu…de très loin. J’ai eu les larmes aux yeux comme tout le monde quand j’ai appris cette bonne nouvelle. Je tenais à le rappeler pour prévenir les accusation d’inhumanité qui vont s’abattre sur moi à partir du prochain paragraphe.

Le petit Émile avait déjà fait la manchette le 21 mars 2002, au moment où l'on a assuré sa survie au moyen d'une pompe contrôlée par ordinateur et appelée coeur de Berlin. La Presse avait commenté ainsi l'événement: «Pour les parents d'Émile, l'annonce de l'implantation possible du coeur de Berlin a été un véritable soulagement. «Comme le magicien qui sort un truc de son chapeau!»

L'avenir nous dira si la guérison du petit Émile aura été une bonne chose pour lui, pour sa famille et pour la société. Elle aura au moins permis de faire progesser les connaissances en matière de greffe d'organes. Pour le moment, on ne peut que se réjouir avec les parents de l'enfant. Ce n'est évidemment pas la réussite de la médecine qu'il faut déplorer, ni même le coût exceptionnellement élevé des traitements, puisqu'il s'agit d'une expérience dont tous bénéficieront peut-être un jour, c'est l'oubli complet du coût des rêves d'immortalité que la publicité entourant l'événement aura ravivés dans la population. Cette dissociation entre l'émotion agréable du moment et la dure réalité des conséquences futures est l’une des fautes contre l’éthique les plus lourdes de conséquences.

Ma vie a une valeur infinie, toutes les ressources de la planète devront converger vers moi quand j’en aurai besoin. Il n’y a pas de limite aux soins auxquel j’ai droit. Telle est la conclusion que chacun est invité à tirer des reportages. C’est là une recette infaillible pour achever de détruire le système de santé public ou de faire monter démesurément les primes d’assurances dans le cadre d’un système privé.

Il y a une limite à ce qu’une société peut dépenser pour l’ensemble des soins de santé. Comment rendre ce fait compatible avec cet autre fait renforcé par les médias: chacun estime que sa santé n’a pas de prix? La contradiction est d’une évidence si criante qu’avant d’apparaître comme une faute contre l’éthique, les célébrations inconséquentes des miracles de la médecine apparaissent comme de simples manques d’intelligence.

Dans la perspective de la santé publique ce sont les statistiques qui sont humaines, non les émotions agréables. Chaque fois que nous incitons les gens oublier que les prouesses techniques de la médecine ont un prix, nous rendons inopérants les efforts de ceux qui s’efforcent de démontrer que les mêmes ressources appliquées à la prévention, aux divers déterminants de la santé, produisent plus de véritables miracles… De tels miracles sont malheureusement invisibles. Ce sont des miracles par omission. On n’aura tout simplement échappé à cette maladie sensationnelle qui appelle des traitements sensationnels. Ces faits n’ont pas plus d’intérêt pour la population et pour les médias que les avions qui arrivent chaque jour à destination grâce au travail préventif des techniciens.

Ce qui est vrai pour la prévention, l’est aussi pour une foule de soins et de traitements qui n’ont rien de sensationnel mais ont l’avantage d’être efficients c’est-a-dire d’être à la fois efficaces et peu coûteux. Entourer les miracles de la médecine d’une publicité empreinte de sensationnalisme équivaut à faire régresser dans l’opinion publique à la fois le souci de la prévention et celui de l’efficience.

En faisant ainsi miroiter les miracles individuels aux yeux de tous, on crée les conditions pour que tous doivent y renoncer, à l’exception de quelques millionnaires.

Le petit Émile s'en tirera peut-être à bon compte à tous égards. Et de toute façon il s'agit d'une exception, dont notre société et notre gouvernement, qui a autorisé des dépenses spéciales en l'occurence, ont accepté d'assumer les coûts. Mais qu'en est-il par exemple de l'avenir de tous ces bébés nés prématurément à la suite de prouesses de la médecine semblables à celles dont le petit Émile a bénéficié? À la lumière de ce que nous savons sur la santé primale, cet avenir est sombre.

Les mauvaises nouvelles le concernant se multiplient. Les liens entre la naissance prématurée et les risques de déficience intellectuelle sont connus. Une étude récente menée en Suède établit une corrélation entre l'anorexie et la naissance prématurée. Le professeur Sven Cnattinguis a démontré que les risques d'anorexie sont trois fois plus élevés chez les personnes nées prématurément que dans l'ensemble de la population. Bon nombre de ces bébés deviendront pour leur famille et pour l'ensemble de la société un fardeau que seule une éthique héroïque permettra de porter. (On peut écouter la conférence de Gaëlle Tréabol, mère d'un enfant prématuré, dans lequel elle présente l'ampleur des

Tranportons-nous à l'autre extrémité de la vie. Au moment même ou le bébé Jutras occupait l’avant-scène, les médias ont aussi fait état, à la sauvette, d’une récente recherche prouvant l’inefficience et même l’inefficacité du dépistage systématique du cancer de la prostate. Des recherches de ce genre, conduisant aux mêmes conclusions il y en a eu plusieurs, il y en avait eu même avant que les dépistage systématique ne deviennent la règle au Québec il y a une dizaine d’années. Que coûte ce dépistage et ses suites aujourd’hui ? Cinquante, cent millions par année ? Autant d’argent qui n’est plus disponible pour réduire l’attente en vue d’une opération.

On est tenté d’accuser les médias qui n’ont pas fait preuve d’esprit critique au moment où des nouvelles à sensation ont incité les hommes de cinquante ans et plus à se précipiter à l’hôpital pour subir leur test de PSA. Une telle accusation serait injuste. Les médias s’efforcent de plaire au public qui les fait vivre. Or, la chose est connue, les nouvelles médicales sensationnelles font monter les cotes. Imaginez la douche froide qu’aurait reçue les téléspecateurs si, après la bonne nouvelle de la survie du bébé, on avait fait froidement l’analyse des conséquences et des implications de l’événement.

Le mal en cause est profond et universel, c’est le besoin d’illusion, la fuite dans le rêve, conséquence du refus de la réalité et de la contradiction qui la caractérise. C’est, comme nous le disions précédemment, la dissociation de l’émotion agréable: la survie du bébé, et de la dure réalité: la publicité sensationnelle et ses conséquences.

La responsabilité première appartient aux prêtres, aux philosophes, aux théologiens, à tous les penseurs qui n’ayant pas à faire monter leur cote pour assurer leurs lendemains, peuvent sans crainte exercer leur esprit critique et élever ainsi le niveau de lucidité autour d’eux. Voilà une situation où éthique et lucidité sont une seule et même chose et ont pour condition le courage qui permet d’affonter la contradiction et l’accès à une altitude intellectuelle telle que les statistiques puissent paraître plus humaines que les émotions agréables.»

JACQUES DUFRESNE, réflexions inspirées par le séminaire sur la bioéthique tenue à la Librairie de L'Agora, à North Hatley, le 7 juillet 2002.

La bioéthique a lancé la mode de ce qu'on pourrait appeler les éthiques disciplinaires, parce qu'elles correspondent aux disciplines universitaires qui, à l'instar de la biologie ou de la médecine, sont le lieu d'innovations susceptibles d'entrer en contradiction avec les valeurs les plus fondamentales des sociétés. On verra sans doute apparaître une informéthique comme on a vu apparaître une éthique du génie, une éthique des affaires ou une éthique de l'environnement.

Bien qu'elles puissent être très utiles, ces éthiques insulaires sont ambiguës. Le cas de la bioéthique appliquée aux techniques de reproduction illustre bien cette ambiguïté. La plupart des sociétés avancées se sont trouvées tout à coup devant un fait accompli. Il était désormais possible de pratiquer l'insémination artificielle chez les humains, comme on le faisait depuis longtemps chez les animaux. Puis les innovations de ce genre se multiplièrent, jusqu'au clonage (...).

Au début des années 1980, la fécondation in vitro suscita une vive inquiétude dans la plupart des pays où on la pratiquait. Les bioéthiciens entrèrent alors en scène, avec mission, notons-le bien, non de s'indigner devant le fait que l'humanité avait été mise devant un fait accompli, mais de baliser le nouveau domaine envahi par la technique. Pour cette raison, l'entrée en scène de la biotéthique constituait avant tout une légitimation du phénomène. On ne réglemente pas des pratiques qu'on refuse. On les interdit, tout simplement.

L'éthique disciplinaire ou insulaire présente le même caractère ambigu partout où elle s'impose. Elle est en fait au service de la discipline qu'elle réglemente avant d'être au service de la société. Elle est subordonnée aux intérêts des groupes et des individus associés à une discipline, plutôt qu'à des principes universels. Cette subordination est même inscrite dans le statut des bioéthiciens. Jadis les maîtres de l'éthique, de la morale plutôt, car c'est le mot que l'on employait, appartenait en tant que prêtre ou pasteur à une religion ou en tant que professeur, à une faculté de philosophie ou de théologie. De par leur statut même, ils étaient indépendants par rapport aux divers domaines spécialisés. La règle aujourd'hui c'est que les éthiciens sont engagés et rémunérés par les départements correspondant aux disciplines dont ils doivent juger les pratiques.

Ces éthiques insulaires, répétons-le, peuvent rendre de précieux services. Il n'y pas lieu de les interdire. Il faut cependant faire en sorte qu'elles ne se substituent pas à l'éthique universelle, à laquelle on devrait toujours les subordonner.

À l'intérieur de l'informéthique, comme à l'intérieur de la bioéthique, il faut préciser des limites et introduire des balises. Il est toutefois plus important encore de préciser, dans le cadre de l'éthique universelle, la façon dont l'ensemble de la sphère informatique soit servir les besoins fondamentaux des personnes et des communautés. Dans la perspective universelle, l'ensemble du domaine informatique, ou des secteurs importants de ce dernier, pourraient être frappés d'interdit. Dans le cadre de l'informéthique on ne peut que réglementer des pratiques déjà implicitement approuvées.

Source: JACQUES DUFRESNE, Synthèse des aspects éthiques des inforoutes, 1997-1998

 

 

Essentiel

La bioéthique a lancé la mode de ce qu'on pourrait appeler les éthiques disciplinaires, parce qu'elles correspondent aux disciplines universitaires qui, à l'instar de la biologie ou de la médecine, sont le lieu d'innovations susceptibles d'entrer en contradiction avec les valeurs les plus fondamentales des sociétés. On verra sans doute apparaître une informéthique comme on a vu apparaître une éthique du génie, une éthique des affaires ou une éthique de l'environnement.

Bien qu'elles puissent être très utiles, ces éthiques insulaires sont ambiguës. Le cas de la bioéthique appliquée aux techniques de reproduction illustre bien cette ambiguïté. La plupart des sociétés avancées se sont trouvées tout à coup devant un fait accompli. Il était désormais possible de pratiquer l'insémination artificielle chez les humains, comme on le faisait depuis longtemps chez les animaux. Puis les innovations de ce genre se multiplièrent, jusqu'au clonage (...).

Au début des années 1980, la fécondation in vitro suscita une vive inquiétude dans la plupart des pays où on la pratiquait. Les bioéthiciens entrèrent alors en scène, avec mission, notons-le bien, non de s'indigner devant le fait que l'humanité avait été mise devant un fait accompli, mais de baliser le nouveau domaine envahi par la technique. Pour cette raison, l'entrée en scène de la biotéthique constituait avant tout une légitimation du phénomène. On ne réglemente pas des pratiques qu'on refuse. On les interdit, tout simplement.

L'éthique disciplinaire ou insulaire présente le même caractère ambigu partout où elle s'impose. Elle est en fait au service de la discipline qu'elle réglemente avant d'être au service de la société. Elle est subordonnée aux intérêts des groupes et des individus associés à une discipline, plutôt qu'à des principes universels. Cette subordination est même inscrite dans le statut des bioéthiciens. Jadis les maîtres de l'éthique, de la morale plutôt, car c'est le mot que l'on employait, appartenait en tant que prêtre ou pasteur à une religion ou en tant que professeur, à une faculté de philosophie ou de théologie. De par leur statut même, ils étaient indépendants par rapport aux divers domaines spécialisés. La règle aujourd'hui c'est que les éthiciens sont engagés et rémunérés par les départements correspondant aux disciplines dont ils doivent juger les pratiques.

Ces éthiques insulaires, répétons-le, peuvent rendre de précieux services. Il n'y pas lieu de les interdire. Il faut cependant faire en sorte qu'elles ne se substituent pas à l'éthique universelle, à laquelle on devrait toujours les subordonner.

À l'intérieur de l'informéthique, comme à l'intérieur de la bioéthique, il faut préciser des limites et introduire des balises. Il est toutefois plus important encore de préciser, dans le cadre de l'éthique universelle, la façon dont l'ensemble de la sphère informatique soit servir les besoins fondamentaux des personnes et des communautés. Dans la perspective universelle, l'ensemble du domaine informatique, ou des secteurs importants de ce dernier, pourraient être frappés d'interdit. Dans le cadre de l'informéthique on ne peut que réglementer des pratiques déjà implicitement approuvées.

Source: JACQUES DUFRESNE, Synthèse des aspects éthiques des inforoutes, 1997-1998

Enjeux

La faute par excellence contre la bioéthique est la dissociation des émotions agréables que procurent les prouesse de la médecine et la dure réalité des coûts et des conséquences de ces prouesses. On a eu un exemple typique de cette dissociation au Québec en juillet 2002.

Un exemple de sensationnalisme en médecine
«Vendredi 12 juillet 2002: depuis plus d’une semaine les médias remplissent le vide des vacances en célébrant le plus récent miracle de la médecine: la survie d’un bébé grâce à un cœur enfin venu…de très loin. J’ai eu les larmes aux yeux comme tout le monde quand j’ai appris cette bonne nouvelle. Je tenais à le rappeler pour prévenir les accusation d’inhumanité qui vont s’abattre sur moi à partir du prochain paragraphe.

Le petit Émile avait déjà fait la manchette le 21 mars 2002, au moment où l'on a assuré sa survie au moyen d'une pompe contrôlée par ordinateur et appelée coeur de Berlin. La Presse avait commenté ainsi l'événement: «Pour les parents d'Émile, l'annonce de l'implantation possible du coeur de Berlin a été un véritable soulagement. «Comme le magicien qui sort un truc de son chapeau!»

L'avenir nous dira si la guérison du petit Émile aura été une bonne chose pour lui, pour sa famille et pour la société. Elle aura au moins permis de faire progesser les connaissances en matière de greffe d'organes. Pour le moment, on ne peut que se réjouir avec les parents de l'enfant. Ce n'est évidemment pas la réussite de la médecine qu'il faut déplorer, ni même le coût exceptionnellement élevé des traitements, puisqu'il s'agit d'une expérience dont tous bénéficieront peut-être un jour, c'est l'oubli complet du coût des rêves d'immortalité que la publicité entourant l'événement aura ravivés dans la population. Cette dissociation entre l'émotion agréable du moment et la dure réalité des conséquences futures est l’une des fautes contre l’éthique les plus lourdes de conséquences.

Ma vie a une valeur infinie, toutes les ressources de la planète devront converger vers moi quand j’en aurai besoin. Il n’y a pas de limite aux soins auxquel j’ai droit. Telle est la conclusion que chacun est invité à tirer des reportages. C’est là une recette infaillible pour achever de détruire le système de santé public ou de faire monter démesurément les primes d’assurances dans le cadre d’un système privé.

Il y a une limite à ce qu’une société peut dépenser pour l’ensemble des soins de santé. Comment rendre ce fait compatible avec cet autre fait renforcé par les médias: chacun estime que sa santé n’a pas de prix? La contradiction est d’une évidence si criante qu’avant d’apparaître comme une faute contre l’éthique, les célébrations inconséquentes des miracles de la médecine apparaissent comme de simples manques d’intelligence.

Dans la perspective de la santé publique ce sont les statistiques qui sont humaines, non les émotions agréables. Chaque fois que nous incitons les gens oublier que les prouesses techniques de la médecine ont un prix, nous rendons inopérants les efforts de ceux qui s’efforcent de démontrer que les mêmes ressources appliquées à la prévention, aux divers déterminants de la santé, produisent plus de véritables miracles… De tels miracles sont malheureusement invisibles. Ce sont des miracles par omission. On n’aura tout simplement échappé à cette maladie sensationnelle qui appelle des traitements sensationnels. Ces faits n’ont pas plus d’intérêt pour la population et pour les médias que les avions qui arrivent chaque jour à destination grâce au travail préventif des techniciens.

Ce qui est vrai pour la prévention, l’est aussi pour une foule de soins et de traitements qui n’ont rien de sensationnel mais ont l’avantage d’être efficients c’est-a-dire d’être à la fois efficaces et peu coûteux. Entourer les miracles de la médecine d’une publicité empreinte de sensationnalisme équivaut à faire régresser dans l’opinion publique à la fois le souci de la prévention et celui de l’efficience.

En faisant ainsi miroiter les miracles individuels aux yeux de tous, on crée les conditions pour que tous doivent y renoncer, à l’exception de quelques millionnaires.

Le petit Émile s'en tirera peut-être à bon compte à tous égards. Et de toute façon il s'agit d'une exception, dont notre société et notre gouvernement, qui a autorisé des dépenses spéciales en l'occurence, ont accepté d'assumer les coûts. Mais qu'en est-il par exemple de l'avenir de tous ces bébés nés prématurément à la suite de prouesses de la médecine semblables à celles dont le petit Émile a bénéficié? À la lumière de ce que nous savons sur la santé primale, cet avenir est sombre.

Les mauvaises nouvelles le concernant se multiplient. Les liens entre la naissance prématurée et les risques de déficience intellectuelle sont connus. Une étude récente menée en Suède établit une corrélation entre l'anorexie et la naissance prématurée. Le professeur Sven Cnattinguis a démontré que les risques d'anorexie sont trois fois plus élevés chez les personnes nées prématurément que dans l'ensemble de la population. Bon nombre de ces bébés deviendront pour leur famille et pour l'ensemble de la société un fardeau que seule une éthique héroïque permettra de porter. (On peut écouter la conférence de Gaëlle Tréabol, mère d'un enfant prématuré, dans lequel elle présente l'ampleur des

Tranportons-nous à l'autre extrémité de la vie. Au moment même ou le bébé Jutras occupait l’avant-scène, les médias ont aussi fait état, à la sauvette, d’une récente recherche prouvant l’inefficience et même l’inefficacité du dépistage systématique du cancer de la prostate. Des recherches de ce genre, conduisant aux mêmes conclusions il y en a eu plusieurs, il y en avait eu même avant que les dépistage systématique ne deviennent la règle au Québec il y a une dizaine d’années. Que coûte ce dépistage et ses suites aujourd’hui ? Cinquante, cent millions par année ? Autant d’argent qui n’est plus disponible pour réduire l’attente en vue d’une opération.

On est tenté d’accuser les médias qui n’ont pas fait preuve d’esprit critique au moment où des nouvelles à sensation ont incité les hommes de cinquante ans et plus à se précipiter à l’hôpital pour subir leur test de PSA. Une telle accusation serait injuste. Les médias s’efforcent de plaire au public qui les fait vivre. Or, la chose est connue, les nouvelles médicales sensationnelles font monter les cotes. Imaginez la douche froide qu’aurait reçue les téléspecateurs si, après la bonne nouvelle de la survie du bébé, on avait fait froidement l’analyse des conséquences et des implications de l’événement.

Le mal en cause est profond et universel, c’est le besoin d’illusion, la fuite dans le rêve, conséquence du refus de la réalité et de la contradiction qui la caractérise. C’est, comme nous le disions précédemment, la dissociation de l’émotion agréable: la survie du bébé, et de la dure réalité: la publicité sensationnelle et ses conséquences.

La responsabilité première appartient aux prêtres, aux philosophes, aux théologiens, à tous les penseurs qui n’ayant pas à faire monter leur cote pour assurer leurs lendemains, peuvent sans crainte exercer leur esprit critique et élever ainsi le niveau de lucidité autour d’eux. Voilà une situation où éthique et lucidité sont une seule et même chose et ont pour condition le courage qui permet d’affonter la contradiction et l’accès à une altitude intellectuelle telle que les statistiques puissent paraître plus humaines que les émotions agréables.»

JACQUES DUFRESNE, réflexions inspirées par le séminaire sur la bioéthique tenue à la Librairie de L'Agora, à North Hatley, le 7 juillet 2002.

Articles


Pour une éthique des jours heureux

Jacques Dufresne
Texte d'une conférence prononcée au Colloque sur l’Éthique des organisations publiques, organisé par Le Regroupement d’établissements de santé et de services sociaux, région Saguenay-Lac-Saint-Jean, le 4 octobre 2002, à Saguenay.



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