Wilhelm von Humboldt et la création de l'Université de Berlin

Gerd Hohendorf
Extrait de: "Wilhelm von Humboldt, 1767-1835", Perspectives: revue trimestrielle d'éducation comparée (Paris, UNESCO: Bureau international d'éducation), vol. XXIII, n° 3-4, 1993, p. 685-696.
©UNESCO : Bureau international d'éducation, 2000. Ce document peut être reproduit librement, à condition d'en mentionner la source (mention apparaissant dans la publication originale)

Voir aussi la page consacrée à l'histoire de l'Université Humboldt de Berlin (sur le site de l'université, en allem. et en angl.)
La création de l'Université de Berlin

Il était question de la fondation d'une université à Berlin depuis le début des réformes en Prusse (Fichte: «Deduzierter Plan einer zu Berlin, zu errichtenden höheren Lehranstalt» (Projet d'une institution d'enseignement supérieur pour Berlin), 1807; Schleiermacher: «Gelegentliche Gedanken über Universitäten in deutschem Sinn. Nebst einem Anhang über eine zu errichtende» (Réflexions sur la conception allemande de l'université, et sur celle qu'il conviendrait d'ériger), 1808), mais c'est à Wilhelm von Humboldt qu'en revient le mérite. L'université idéale, selon lui, se caractérise par l'unité de l'enseignement et de la recherche. «La particularité des établissements scientifiques supérieurs doit être de traiter la science comme un problème non encore entièrement résolu qui doit donc toujours faire l'objet de recherches» (GS, X, p. 251). L'université doit être elle aussi un établissement de culture générale, une Alma mater, réunissant toutes les disciplines sans chercher à dispenser un semblant de formation professionnelle.

En 1789, déjà une visite à la Karlsschule de Stuttgart, à son retour de Paris, avait renforcé son opposition à une orientation professionnelle trop précoce. Il ne connaît pas encore Schiller, qui a passé dans cet établissement sept années misérables, lorsqu'il note dans son journal que cette forme d'éducation lui paraît non seulement défectueuse mais tout à fait nuisible: «À quelle étroitesse d'esprit doit aboutir une éducation soumise à des règles aussi inflexib lement imposées depuis l'âge le plus tendre jusqu'à la fin de l'adolescence?» (Br., p. 98, se demande-t-il.Ces impressions le conduisent, après avoir pris en mains le département de l'éducation à dissoudre le corps des cadets prussiens, en raison notamment de son esprit de caste.

L'enseignement universitaire doit, selon lui, poursuivre et compléter la formation générale dispensée aux niveaux précédents, il doit toutefois s'en distinguer, être d'une autre nature. Si le maître est indispensable à la formation élémentaire, il ne l'est plus au niveau universitaire. «C'est pourquoi le professeur d'université n'est plus un maître, l'étudiant n'est plus un apprenant, mais quelqu'un qui recherche le savoir par lui-même, guidé et soutenu par le professeur» (GS, XIII, p. 261). Grâce à un contact étroit entre professeur et étudiants, ceux-ci doivent devenir capables de mener seuls un travail scientifique.

La liberté du savoir et l'autonomie du corps enseignant sont les deux principes sur lesquels repose le modèle universitaire conçu par Humboldt. Si, avec le recul, on peut déplorer que ce modèle ait entraîné une certaine distanciation à l'égard de la politique, il faut bien voir que celle-ci procède de son souci d'éviter que la science ne soit utilisée à mauvais escient par la politique. De même, son plaidoyer en faveur de «l'isolement» que l'université doit garantir au chercheur ne doit pas être compris comme une volonté d'enfermer la science dans une tour d'ivoire.

Heinrich Deiters, longtemps doyen de la faculté de pédagogie de l'université Humboldt de Berlin, conteste l'idée que le modèle universitaire humboldtien soit historiquement dépassé depuis que les universités sont devenues des établissements de culture de masse fortement orientés vers la formation professionnelle; il souligne qu'il est possible de s'inspirer de ses idées pour approfondir l'étude des problèmes de l'université (Deiters, 1960, p. 39).

Humboldt a mené à bien la création de l'université de Berlin; il en a assuré le financement et l'installation dans l'ancien palais du prince Henri, qui l'abrite encore aujourd'hui, avenue «Unter den Linden». Il a lui-même assisté aux conférences des nouveaux professeurs, en particulier celles du premier recteur: Johann Gottlieb Fichte. Le 10 février 1810, il écrit à Goethe: «Tout va ici à un rythme tranquille que, pour ma part, j'essaie d'accélérer. Les cours de Wolf et Fichte sont très appréciés et, quand je le peux, j'y assiste ...» (Br., p. 638).

Des deux côtés de l'entrée du bâtiment principal de l'université berlinoise qui porte le nom de Wilhelm von Humboldt, sont édifiés les monuments dédiés aux frères Humboldt, représentatifs respectivement des sciences humaines et des sciences naturelles en Allemagne au XIXe siècle.


Références
* Humboldt, Wilhelm von. 1903 - 1936. Gesammelte Schriften. Ausgabe der Preubischen Akademie der Wissenschaften. Werke [Oeuvres choisies: édition de l'Académie des sciences de Prusse]. Berlin, 17 vol. (Désignées par l'abréviation GS; le chiffre romain indique le volume, le chiffre arabe, la page; l'orthographe a été modernisée).
* Freese, R. von (dir. publ.). 1953. Wilhem von Humboldt, Sein Leben und Wirken dargestellt in Briefen, Tagebüchern und Dokumenten seiner Zeit [Wilhelm von Humboldt : sa vie, et son oeuvre à travers lettres, journaux intimes et documents contemporains]. (Désigné par Br. dans le texte).
* Deiters, H. 1960. «Wilhelm von Humboldt als Gründer der Universität Berlin» [Wilhelm von Humboldt, Fondateur de l'Université de Berlin]. Dans Forschen und Wirken. Festchrift zur 150-jahrfeier der Humboldt Unversität zu Berlin [La recherche et l'action: essai en l'honneur du 150e anniversaire de l'Université de Humboldt, Berlin]. Vol. 1. Berlin.

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