Le credo de la chimie et le credo de la vie

Jacques Dufresne

Le credo de la chimie et le credo de la vie


«Nous croyons que si l'amour est une réaction chimique, la chimie a de bonnes chances de faire du monde un lieu plus harmonieux. La chimie crée de bonnes relations entre les éléments. Elle cherche la formule secrète pour unir les choses plutôt que de les séparer. La chimie crée de meilleurs rapports entre les hommes et tout ce dont ils peuvent avoir besoin dans leur vie. C'est pourquoi nous ne nous limitons pas à fabriquer des produits chimiques, nous créons la chimie.»
BASF

J'ai d'abord entendu ce credo dans le cadre d'un message publicitaire diffusé à la télévision américaine, au nom de l'industrie chimique, par le leader dans ce domaine: la multinationale allemande BASF. Je l'ai retrouvé ensuite dans le rapport annuel de BASF Inde, puis sur Youtube.

Au même moment je lisais un livre, Le vilain petit canard, qui fait le point sur la pollution chimique en tirant ses arguments non de la mesure des polluants présents dans l'environnement mais du degré d'imprégnation de l'éponge humaine, le rôle de l'éponge étant joué par les auteurs, Rick Smith et Bruce Laurie, cobayes consentants. Traduction d'un best-seller en anglais, le livre se termine par ce credo de David Suzuki:

«Les êtres humains restent des créatures biologiques dont la santé et le bien-être reflètent l'état de la biosphère – l’air, l’eau, le sol, la biodiversité. Depuis des décennies, nous abusons de cette matrice en y déversant un mélange toxique de molécules de synthèse et de métaux lourds. La triomphante présomption «d'améliorer la vie par la chimie» n’est qu’un songe creux, car dans la biosphère, tout est lié. Ce livre nous rappelle avec force que tout ce que nous faisons à notre mère Nature, c’est à nous que nous le faisons. Lisez-le et vous comprendrez pourquoi nous devons changer notre mode de vie et quitter cette voie destructrice.»


On croirait que Suzuki avait lu ce credo de la chimie avant d'écrire son commentaire sur le livre de Smith et  Laurie. «La triomphante présomption ''d'améliorer la vie par la chimie'' n’est qu’un songe creux, dit-il.» Et là où la chimie prétend créer des liens entre les éléments, il observe des produits toxiques qui causent des ruptures. «Dans la biosphère, tout est déjà lié,» ajoute-il. La chimie de la BASF ne peut que rompre ces liens.

En réagissant aux critiques des écologistes par une déclaration aussi englobante, l'industrie chimique creuse l'abîme qui sépare les deux camps entre lesquels l'humanité se partage. Ce ne sont plus seulement deux points de vue sur l'usage d'une même science qui s'affrontent, ce sont deux visions du monde gravitant autour de deux conceptions diamétralement opposées des rapports de l'homme et de la nature.

 

 

 

 

 

 

 

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