La santé

Jacques Dufresne
L'image éternelle de la santé c'est l'enfant qui court vers la mer sans se demander si son coeur peut supporter un tel effort, et qui s'arrête spontanément quand il a atteint sa limite. La santé c'est l'oubli de la santé.

Cette définition, qui peut paraître trop littéraire, a ses lettres de noblesse scientifique. On peut la considérer comme une simple paraphrase de la célèbre définition du professeur Leriche : « La santé c'est la vie dans le silence des organes ». L'organe sain disparaît dans un ensemble qui lui-même se fait oublier au profit d'un projet qui le dépasse. L'oubli de la santé peut même aller jusqu'à sa négation. La santé devient alors un moyen subordonné à une fin appartenant à une sphère supérieure : Michel-Ange peignant le plafond de la chapelle Sixtine dans une position inconfortable et des conditions malsaines.

Du point de vue psychologique, Freud dira que la personne normale est celle qui peut aimer et travailler, deux choses qui supposent le silence de ce qu'on pourrait appeler les organes psychologiques.

Voici pourtant un discours sur la santé. Dans un traité sur la médecine paraissant à un moment où le marché et les consciences sont déjà saturés d'ouvrages portant sur les mêmes questions. Les discours sur la santé risquent de favoriser un rapport narcissique avec soi-même, de provoquer une amplification des bruits du corps et de l'âme, laquelle accroît le coefficient d'hypocondrie, et par là les coûts de la santé, au détriment des oeuvres que cette dernière doit rendre possibles.

Pour être fidèle à l'esprit de la définition retenue, il aurait mieux valu présenter une galerie de héros ou écrire une ode à la déesse grecque de la santé, Hygée, qui, même si elle tenait à la main un emblème de vigilance, semblait préoccupée par tout autre chose que sa santé. On la présentait ainsi dans l'Encyclopédie française du XIXe siècle : « Une jeune nymphe à l'oeil vif et riant, au teint frais et vermeil, à la taille légère, riche d'un embonpoint de chair, mais non chargé d'obésité, portant sur la main droite un coq et de l'autre un bâton entouré d'un serpent, emblème de la vigilance et de la prudence ».

Si, malgré tout, j'ai entrepris ce travail c'est dans l'espoir de pouvoir faire apparaître la santé comme un moyen ou, si l'on préfère, comme une fin relative, qui, en tant que telle, a tout à gagner à être subordonnée à une fin absolue, à être intégrée à une totalité signifiante. C'est pourquoi j'ai choisi de placer la notion d'autonomie au centre de mes réflexions.


LE NOUVEAU PARADIGME

Je m'insère ainsi dans un courant important de la pensée contemporaine. L'autonomie est au centre de ce que certains appellent le nouveau paradigme (1) (2), mot que l'on peut considérer comme synonyme de vision du monde ou de façon de penser propre à une époque, à condition de rappeler que l'on pense aussi avec ses mains. L'autonomie s'oppose à l'hétéronomie ou détermination par l'extérieur. Celui qui se guérit en adoptant spontanément un comportement alimentaire approprié à son état se comporte de façon autonome. Celui qui est guéri en se conformant passivement aux prescriptions médicales se comporte de façon hétéronome.

Nous vivrions aujourd'hui un changement de paradigme consistant à passer de l'hétéronomie à l'autonomie. Vu sous un autre angle, le même changement consisterait à passer de la modernité a ce que, a défaut d'un mot plus précis, on appelle parfois la post-modernité. Nulle part ce changement ne serait plus visible que dans le domaine de la santé.

Sans prétendre ici porter un jugement de valeur sur cette théorie complexe, j'en donnerai les grandes lignes tout en rappelant que, dans le cas des idées nouvelles de ce genre, on a tendance à surestimer la nouveauté et à sous-estimer les illusions qu'elle suscite.

La modernité, dont nous nous éloignerions, est caractérisée par une vision mécaniste du monde, à laquelle le nom de Descartes est à jamais associé. Descartes subit aujourd'hui le sort qu'il a lui-même fait subir à Aristote, lequel par l'intermédiaire de saint Thomas, était la figure dominante du paradigme antérieur. Qu'a-t-il fait, qu'a-t-il dit pour mériter d'être ainsi mis au ban ? Il a développé jusqu'à ses ultimes implications l'idée-force de son époque selon laquelle le inonde, dans sa totalité et dans ses parties, est analogue à un mécanisme d'horlogerie. Au nombre de ces parties, il y avait par exemple le corps, et l'État, dont on mettait justement les rouages en place au XVIle siècle. L'expression corps-machine vient de là.

Au XVIIIe siècle, La Mettrie explicitera cette conception du corps dans un ouvrage intitulé L'homme machine. À l'occasion d'un hommage au célèbre physiologiste Haller il dira « que l'anatomiste a autant de plaisir à examiner l'homme-mort, qu'on en a eu à lui donner la vie » (3).

Il y a évidemment un lien très étroit entre cette vision du corps et la médecine occidentale moderne, dont le premier effort a consisté à disséquer un cadavre et dont le dernier exploit consiste à recombiner certains éléments du patrimoine génétique. Mais on ne rendrait justice ni à Descartes lui-même, ni à ceux qui voudraient encore s'en inspirer, en le présentant comme un monstre schizophrène, en qui la raison, maîtresse et souveraine de la nature, aurait régné sans la complicité des sens et de cette faculté oubliée qu'un autre artisan de la modernité, Pascal, appelait le coeur.

On a toutes les raisons de penser que Descartes avait beaucoup plus d'imagination, de sensibilité et de coeur que sa vision mécaniste nous incite à le croire. Rappelons d'abord que l'intuition centrale de sa philosophie lui a été révélée dans un songe, à la suite duquel, effrayé par ce qu'il avait entrevu, il s'en remit à la Sainte Vierge.

La distance qu'il mit entre l'âme et le corps ne l'empêcha pas de voir l'influence qu'ils exercent l'un sur l'autre. Il écrivit un jour à la princesse Élisabeth ces lignes très peu cartésiennes : « D'ailleurs je suis arrivé à croire que l'aspect le plus important de la santé, en tout cas pour la mienne est : suis-je heureux ou pas heureux ? Si je ne suis pas heureux je tombe malade ». La princesse, alors en exil en Hollande, le consultait sur sa santé. Elle eut un jour une fièvre lente que Descartes attribua à la tristesse associée à la mauvaise fortune qui frappait sa famille. Pour la ramener vers la santé, il lui tint ce discours que l'on pourrait à bon droit considérer comme le discours de la méthode holistique :
    Les remèdes que votre Altesse a choisis, à savoir la diète et l'exercice, sont, à mon avis, les meilleurs de tous, après toutefois ceux de l'âme... car la construction de notre corps est telle, que certains mouvements suivent en lui naturellement de certaines pensées ; comme on voit que la rougeur du visage suit de la honte, les larmes de la compassion et le ris de la joie. Et je ne sache point de pensée plus propre pour la conservation de la santé, que celle qui consiste en une forte persuasion et ferme créance, que l'architecture de nos corps est si bonne que, lorsqu'on est une fois sain on ne peut pas aisément tomber malade, si ce n'est qu'on fasse quelque excès notable ou bien que l'air ou les autres causes extérieures nous nuisent ; et qu'ayant une maladie, on peut aisément se remettre par la seule force de la nature, principalement lorsqu'on est encore jeune. Cette persuasion est sans doute beaucoup plus vraie et plus raisonnable, que celle de certaines gens, qui, sur le rapport d'un astrologue ou d'un médecin, se font accroire qu'ils doivent mourir en certain temps, et par cela seul deviennent malades, et même en meurent assez souvent, ainsi que j'ai vu arriver à diverses personnes (4).
Ce grand psychosomaticien a aussi évoque, comme allant de soi, une intimité avec la nature qui est pour nous objet de nostalgie : « Or, cette nature m'apprend bien à fuir les choses qui causent en moi le sentiment de la douleur et à me porter vers celles qui me communiquent quelque sentiment de plaisir » (5).

Cette concession à la nature enferme une définition de la santé dont l'explicitation se poursuit aujourd'hui. « L'homme dégénéré, dira Nietzsche, est celui qui ne sait plus distinguer ce qui lui fait du mal. » L'homme en santé, par conséquent, est celui qui sait distinguer ce qui lui fait du bien. Il est autonome.

Le paradigme qui émerge aujourd'hui n'est sûrement pas aussi nouveau qu'il plaît à certains de le croire.


DÉFINITIONS

Autos, soi-même, nomos, loi. À soi-même sa propre loi. Tel est le sens littéral du mot autonomie. Telle est aussi la première caractéristique du vivant. Aristote dira que le vivant est ce qui se meut par soi-même. Au XXe siècle, Georges Canguilhem dira, dans Le normal et le pathologique (6), que le vivant est normatif, entendant par là qu'il institue ses propres normes plutôt que de se conformer à un modèle extérieur, qu'il s'agisse d'une moyenne ou d'un idéal. Canguilhem fait aussi sienne cette définition de la santé datant du début du siècle et annonçant le courant holistique : « De plus en plus l'idée de santé et de normalité cesse de nous apparaître comme celle de la conformité à un idéal extérieur (athlète pour le corps, bachelier pour l'intelligence). Elle prend place dans la relation entre le moi conscient et les organismes psycho-physiologiques, elle est relativiste et individualiste ».

L'idée d'autonomie est omniprésente aujourd'hui. Elle est depuis plus d'un siècle la trame des philosophies les plus diverses. On l'appelle parfois liberté et parfois autogestion. Ici on la revendique pour l'individu, là pour un groupe. La nouvelle gauche s'en inspire, ce qui n'empêche pas la nouvelle droite d'en faire autant. Les nouveaux historiens s'entendent à son sujet avec les nouveaux économistes et avec les nouveaux philosophes. Marcuse, Illich, Foucault, Baudrillard et combien d'autres l'ont placée au coeur de leurs préoccupations. Pour qu'un idéal ait un tel attrait il faut qu'il corresponde à une lacune profonde. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que la sécurité a un envers, la dépendance, et que l'homme incubé par l'État, les médias et les supermarchés n'est pas celui dont on rêvait.

Voici quelques définitions contemporaines de la santé qui se rejoignent en ce qu'elles sont toutes centrées sur l'idée d'autonomie.
René Leriche :

La santé c'est la vie dans le silence des organes.

René Dubos :

La santé, c'est la situation dans laquelle l'organisme réagit par une adaptation tout en préservant son intégrité individuelle. La santé est un état physique et mental relativement exempt de gêne et de souffrance qui permet à l'individu considéré de fonctionner aussi efficacement que possible dans son milieu. La santé, c'est un état qui permet à celui qui en jouit de se consacrer pleinement à son ou à ses projets et qui met donc toujours enjeu des forces socio-culturelles, non inscrites dans le code génétique.

Katherine Mansfield :

Par santé, j'entends le pouvoir de mener une vie pleine, une vie d'adulte, de respirer la vie au contact étroit de ce que j'aime...

J. L. Sasseville :

La santé d'un individu peut être perçue comme l'aptitude à occuper et maintenir harmonieusement une fraction de son environnement, de façon à y puiser l'énergie biotique et mentale nécessaire à sa réalisation personnelle, c'est-à-dire au maintien d'un état naturel de satisfaction intégrale (poursuite d'un idéal)...

La santé d'un individu se caractérise... par l'aptitude à atteindre lucidement un état naturel de satisfaction par ses activités physiques et intellectuelles.

Ivan Illich :

La santé est la capacité que possède tout homme de s'affirmer face au milieu ou de prendre la responsabilité de sa transformation.

Roger Bastide :

L'homme sain, c'est celui qui est capable de riposter à un monde complexe et mouvant, qui peut inventer à chaque instant de nouvelles normes de conduite, qui s'ajuste moins au monde qu'il n'est capable de le modifier.

Jean-Yves Roy :

La santé est un état tel que toute la vie devient occasion de croissance (7).
Pour mieux comprendre les rapports entre la santé et l'autonomie, il convient de distinguer deux niveaux à l'intérieur de cette dernière : le niveau biologique et le niveau rationnel. Cette distinction, on le verra, a quelque chose d'artificiel puisque, de toute évidence, l'autonomie rationnelle dépend dans une large mesure de l'autonomie biologique, mais elle permet de jeter une lumière indispensable sur une notion qui est au coeur des grands débats actuels.


L'AUTONOMIE BIOLOGIQUE

L'improbable vie

Chez les hommes notamment, les crises cardiaques se produisent fréquemment à l'occasion d'un effort imprévu, comme par exemple, pelleter de la neige à la suite d'une tempête. Que se passe-t-il alors ? Comment se fait-il qu'on dépasse la mesure ? On ne sent plus son corps, dira-t-on. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Comment se fait-il qu'on en soit venu là ? Comment s'opère la dégénérescence qui fait qu'on ne sait plus distinguer ce qui fait du mal ? On peut sans crainte étendre la question à l'ensemble des phénomènes impliqués dans les rapports de l'homme avec lui-même et avec son milieu. Qu'est-ce qui fait qu'on choisit mal ses aliments ? Qu'on mange trop ? Qu'on ne fait pas assez d'exercice ? Qu'on ne s'aperçoit pas qu'on fait de l'hypertension ou qu'on est dans un état de fatigue tel que le moindre refroidissement provoquera une grippe ? En un mot qu'on n'est plus autonome ?

La question ainsi posée est sans doute trop vague pour susciter de l'intérêt chez les savants. Il existe bien des études sur la proprioception mais ces études, dont l'initiateur a été le grand neurologue anglais Sherrington, portent très précisément sur la perception des muscles et sont confinées à des spécialités comme la neurologie. On parle beaucoup du body awareness, mais on le fait plus sur le mode poétique que sur le mode scientifique.

La biologie moléculaire ouvre fort heureusement des pistes plus sûres. En nous révélant que les organismes les plus élémentaires sont doués de ce qu'il nous faut bien appeler une faculté de choix, elle nous apprend du même coup que l'autonomie est présente aux origines mêmes de la vie. Il nous faut faire ce détour par les lointaines origines pour saisir les fondements du dynamisme dont dépend la qualité de notre vie.

« C'est, écrit Edgar Morin, en voulant réduire les processus vivants aux processus physico-chimiques que la biologie moléculaire nous fait découvrir l'étonnante autonomie organisationnelle de la vie cellulaire et nous fait accéder à l'idée d'une organisation qui s'organise elle-même ou auto-organisation. C'est la démarche qui anéantit toute idée d'autonomie de la matière vivante qui nous fait découvrir l'autonomie de la machine vivante. » (8)

C'est un problème tout à fait fondamental, celui de la finalité, que nous soulevons quand nous évoquons l'autonomie de la matière vivante élémentaire. Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler ici quelques données de base. L'idée de finalité a longtemps été associée à la théorie vitaliste, laquelle répugne aux esprits modernes. Depuis Galilée, la meilleure façon de faire l'unanimité contre soi dans le monde scientifique c'est de soutenir qu'il y a une cause finale, un moteur spirituel à l'intérieur des substances matérielles, vivantes ou non. C'est Galilée qui, en formulant le principe d'inertie, a rompu le dernier lien avec l'animisme. Le mouvement cessait d'être une propriété intrinsèque pour devenir une propriété extrinsèque. C'est l'analogie avec le billard plutôt qu'avec l'animal qui s'imposait désormais en physique.

On allait inévitablement être amené à vouloir chasser l'animisme de l'animal lui-même, l'intériorité de la vie. C'est, si l'on peut dire dans ce cas, la tendance vers la simplicité mathématique, constitutive de la science moderne, qui l'exigeait. Cet idéal, tel que formulé par Laplace, prit le nom de déterminisme :
Nous devons envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur et comme la cause de ce qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre toutes ces données à l'analyse embrasserait dans la même formule le mouvement des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle et l'avenir comme le passé seraient présents à ses yeux (9).
En d'autres termes, pour reprendre l'exemple du billard, si on connaissait précisément les conditions dans lesquelles la boule blanche frappe l'une des boules rouges on pourrait prévoir l'état du système délimité par la table ; mais on pourrait, encore plus sûrement, prévoir que les boules finiraient par s'immobiliser. Des obstacles, en effet, empêchent toujours la réalisation du principe d'inertie par le mouvement perpétuel. Pour des raisons analogues, les machines n'ont jamais un rendement parfait et leurs rouages finissent pas s'user. C'est pour rendre compte de cette universelle dégradation que Clausius et Carnot ont été amenés à formuler, à l'aide du concept d'énergie, le second principe de la thermodynamique : dans un système fermé les différences de température tendent à disparaître. Ce processus de nivellement se poursuit jusqu'à ce qu'une température totalement uniforme soit atteinte. Cette uniformité est appelée entropie.

Aujourd'hui, sous l'influence de l'informatique et de la biologie moléculaire, on emploie volontiers l'expression déperdition d'information comme synonyme de dégradation de l'énergie. L'énergie qui se dégrade apparaît comme de l'information qui se perd. On comprend qu'il en soit ainsi si l'on songe que, dans une machine usée, où l'énergie se dégrade en chaleur, l'information contenue dans le dessin de la machine n'est pas transmise intégralement par les rouages. Les ratés sont, littéralement, des lapsus.

L'entropie évoque la paix et l'ordre. Elle est plutôt le désordre ultime, désordre que le second principe fait apparaître comme l'état le plus probable de la matière. Comme dans le cas du mouvement du soleil, il faut ici inverser le message des apparences pour saisir la réalité : c'est quand elles bougent dans un désordre apparent que les boules de billard réalisent le mieux l'ordre déterminé par le choc initial, que l'information se transmet le mieux. Cet état est improbable. La vie est un tel état.

Une statue de neige illustre bien l'idée d'état improbable. Les phénomènes extérieurs, appelons-les accidents ou hasards, auront tôt fait de lui imposer leur désordre en la faisant fondre. Cette statue est une parfaite image de la vie. S'il y a une idée qui fait l'unanimité parmi les savants et les philosophes des sciences, c'est celle qui présente la vie comme un arrangement, un ordre hautement improbable, si improbable aux yeux de Jacques Monod par exemple, que ce dernier a préféré croire qu'il n'est apparu initialement qu'une fois (10). C'est de cette unique fois que dépendraient tous les êtres vivants, depuis la cellule jusqu'à nous.

La biologie moléculaire nous donne une idée de ce qui s'est passé alors ou plutôt de ce qui a résulté de l'événement initial dont nous ignorons à peu près tout. Ce résultat, c'est la molécule d'ADN qui contient toute l'information nécessaire à la vie. C'est la double hélice découverte par Crick et Watson : elle est formée de quatre bases qui se superposent de façon tout à fait prévisible dans le sens transversal et tout à fait imprévisible dans le sens longitudinal.

Le dogme central de la biologie moléculaire, c'est le fait que, contre toute probabilité, le message initial de la vie s'est reproduit depuis les origines avec une parfaite fidélité. Essayons de nous représenter un texte dactylographié qui aurait conservé sa qualité originale même après avoir été photocopié des milliards de fois. La transmission de l'information vitale sans dégradation est un phénomène encore plus improbable.

Toujours la même, cette information est pourtant toujours autre. C'est le second fait qui explique le caractère unique de chaque être vivant. L'unité dans la variété. L'unité est assurée par les liens parfaitement prévisibles dans le sens transversal : la thymine s'associe toujours à l'adénine, la cytosine s'associe toujours à la guanine. La variété est assurée par la succession imprévisible des quatre bases dans le sens longitudinal. TACG... On ne sait jamais dans quel ordre ces bases se succéderont.


Le déterminisme informateur

Mais comment concilier l'existence de la vie, cette organisation improbable d'information avec le second principe de la thermodynamique, avec l'entropie. Cette réconciliation paraît bien difficile, si difficile qu'on ne peut comprendre la vie qu'à l'aide de la notion antithétique de néguentropie qui a été proposée par le physicien Schrodinger (11) pour rendre compte du phénomène d'auto-organisation dans la matière et particulièrement dans la matière vivante. Tout se dégrade, mais sur un autre plan, tout s'ordonne, tout s'organise, tout se complexifie, tout s'enrichit. On est tenté de voir là le principe de vie face au principe de mort.

Albert Szent Györgyi, prix Nobel de biologie, a proposé de remplacer le mot néguentropie, qui a une connotation négative, par le terme positif de synthropie, qu'il définit comme la « tendance innée de la matière vivante à s'élever d'elle-même vers la perfection » (12) (innate drive in living matter to perfect itself). Il a aussi attiré notre attention sur l'équivalent psychologique de la synthropie qu'il présente comme une tendance vers la synthèse, vers la croissance, vers l'intégrité et la perfection.

Est-ce le vieux vitalisme qui ressurgit ainsi à travers la notion de néguentropie ? Oui et non. Dans la métaphysique traditionnelle, sous sa forme dégradée du moins, on imaginait au sommet et au coeur de toutes choses un principe actif, analogue au monarque absolu, qui, en tenant le réel sous sa volonté arbitraire, invalidait à l'avance toute tentative d'expliquer le monde conformément à l'hypothèse déterministe. En réaction contre ces doctrines, les savants ont toujours accueilli avec une extrême méfiance toute explication qui faisait place à l'intériorité et à la finalité. Il semble que la thèse défendue par Monod dans Le hasard et la nécessité soit en grande partie une réaction de ce type. Mais, comme plusieurs commentateurs l'ont remarqué, Monod lui-même a été obligé d'introduire la notion de téléonomie pour expliquer les phénomènes vivants. Ce mot, qui signifie littéralement anticipation des lois à venir, a un sens très voisin de celui du mot finalité.

La biologie moléculaire, dont nous avons déjà évoqué les aspects paradoxaux par une citation d'Edgar Morin, permet de dépasser cette opposition. On n'est pas tenu d'opposer l'arbitraire de Dieu ou de l'âme à la loi scientifique. On peut, on doit opposer le déterminisme informateur de la vie au déterminisme réducteur de la matière. La notion de déterminisme informateur appelé aussi édificateur ou intégrateur a été proposée par Hubert Saget (13).

Cette notion peut sembler contradictoire, puisqu'elle suppose une marge de choix, d'initiative spontanée, de subjectivité, qui paraît incompatible avec la prévisibilité promise par la notion de déterminisme. N'avons-nous pas rappelé nous-même que la succession des bases de l'ADN est imprévisible dans le sens longitudinal ? Cette objection n'aurait sa pleine portée que si la succession des bases pouvait être déterminée par une puissance extérieure à la vie. Or ce n'est pas le cas. La vie est l'auteur de sa propre imprévisibilité. Cette dernière est d'ailleurs circonscrite, limitée, comme celle du musicien qui développe un thème à l'intérieur d'un code, la gamme, et d'un instrument, le piano, par exemple.

La mélodie, imprévisible et non improvisée, c'est d'abord l'être vivant lui-même, dans son caractère unique, irréductible. Un thème de cette mélodie touchant cette fois le faire plutôt que l'être, si l'on peut dire, détermine le comportement adaptatif, qui permet de rétablir l'équilibre du milieu intérieur suite à une perturbation provoquée par le milieu extérieur, lequel, soumis au second principe, menace l'ordre de la vie, et lui permet du même coup de s'affirmer.

Mais dans ce cas, encore plus que dans celui de la musique, la création se fait à l'intérieur d'un cadre préétabli. On pourrait même être tenté de dire que l'autonomie du vivant n'est qu'apparente, qu'elle n'est rien d'autre que l'effet sur notre ignorance de son extrême complexité.

Pour celui qui l'a fabriqué ou qui en connaît les principes, l'ordinateur ne paraîtra jamais autonome même si, en raison de sa complexité, il peut sembler tel à l'ignorant qui l'utilise.

Mais cette analogie est trompeuse. Nous ne pouvons pas nous identifier à celui qui a fabriqué la vie. Certains pensent même qu'il n'est pas raisonnable de la rattacher à une intelligence créatrice. Tout ce que nous pouvons noter c'est que l'autonomie s'impose même au terme de l'analyse la plus réductrice, un peu comme si, à la fin d'une partie d'échec, le roi et la reine se mettaient à sourire et à parler. Partout où est la vie, l'autonomie est là : irréductible, insolente, joyeuse !


Le normal et le pathologique

Cette incursion dans la philosophie de la vie n'aura pas apporté de réponse précise à la question initiale concernant la façon de protéger et développer la faculté par laquelle nous pouvons distinguer ce qui nous fait du bien. Elle nous aura au moins permis de réaffirmer avec force une idée chère à tant de philosophes de la vie, depuis Hippocrate jusqu'à Bergson et Dubos, selon laquelle il existe un pouvoir régénérateur chez les êtres vivants, un élan, une spontanéité adaptatrice, créatrice, une autonomie.

Nous constations du même coup la fausseté de la thèse des behavioristes et de certains darwiniens (14), selon laquelle le vivant, et donc l'homme serait le produit de l'action mécanique du milieu. Si ces vues s'accordent avec une conception superficielle de l'individualisme, avec l'idée que l'homme est une force qui va et qui peut triompher, elles sont tout à fait incompatibles avec l'idée d'autonomie.

Et, sans nous en rendre compte peut-être, nous nous sommes rapproché d'une définition de la santé. Pour Hubert Saget, médecin et philosophe, qui fut notre guide principal dans cette incursion vers les racines de la vie, la santé, c'est la victoire sur l'entropie. C'est la résistance aux forces de dispersion, aux accidents, aux hasards et aux nécessités du milieu extérieur. Souvenons-nous de la statue de neigé. Elle est l'oeuvre d'un vivant, moyennant quoi elle participe de l'improbabilité de la vie mais elle n'est pas elle-même vivante. L'être vivant a l'autonomie requise pour faire concourir le désordre extérieur, en l'occurrence les variations de température, au maintien et à l'édification de son ordre propre.

Mais le vivant finit aussi par disparaître, comme la statue de neige, car même dans ce cas l'adaptation ne peut pas se faire sans une certaine usure, sans une certaine perte sinon dans l'information de base, du moins dans les relais qui la transmettent. La maladie est cette usure, sous sa forme aiguë, bruyante. Elle est toujours accidentelle, en ce sens qu'elle résulte toujours d'une agression du milieu.

Il n'existerait pas de maladies essentielles, d'erreurs innées du métabolisme, de pertes endogènes d'information. Les maladies dites essentielles résulteraient de mutations qui sont elles-mêmes des accidents génétiques provoqués par le milieu et retransmis ensuite.
    Le milieu extérieur, écrit Saget, est l'agent dégradateur de toute organisation et de toute forme, à l'égard de laquelle il prend figure de puissance d'agression. Toute structure exposée à l'action conjuguée de l'espace et du temps en subit l'érosion. L'équilibre physiologique et le maintien dynamique des normes prennent figure d'une victoire sans cesse menacée et remise en question remportée sur un monde d'instabilité et de mouvance auquel le déterminisme biologique a pour mission de soustraire l'organisme : consistance et précarité de la vie ! Le message initial demeure, mais une seule mutation comme la perte d'un acide aminé sur 150 provoquera une hémo-globino-pathie (15).
Il faut souligner le mot norme dans cette citation. L'information initiale est une norme, une valeur, d'ailleurs indissociablement liée à un dynamisme, le code génétique étant à la fois une loi et un pouvoir exécutif. La preuve qu'elle est une norme, c'est, nous dit Saget, que l'erreur (la mutation) a des conséquences qui sont le plus souvent, sinon toujours, pathologiques.

Poursuivant cette réflexion, il nous donne ensuite une définition de la normalité :
    La pathologie révèle la parfaite cohésion des mécanismes intégrateurs, nécessaires à la production du phénotype normal. Tandis que la normalité est synthétique, la pathologie est analytique. Elle isole, elle dissocie, elle se présente d'abord comme un facteur de rupture d'intégration. La perfection pour un organe est de se faire oublier en tant qu'élément distinct, et de contribuer de façon si « intégrée », si « transparente », à la cohésion du tout, que seul ce tout semble exister. La notion de « vie dans le silence des organes » exprime cette idée de parfaite synthèse en quoi consiste la normalité (16).


L'invariant

Le dualisme lié à cette vision claire, peut-être trop claire des choses, appelle des précisions. En quoi consiste-t-il ? D'une part, il y a l'absolue fidélité avec laquelle le message de la vie est transmis. Il s'ensuit que des mots comme invariant, immuable, que l'on croyait morts avec l'ancienne métaphysique, sont redevenus d'usage courant en biologie moléculaire et dans les disciplines qui s'en inspirent.

D'autre part, il y a les mutations et les autres agressions du milieu extérieur. Mutation signifie changement. Nous apercevons ici une convergence qui donnera le vertige à l'esprit le plus solide. Les notions d'invariant et de mutation rappellent en effet la vénérable opposition faite par les Grecs entre la forme, incorruptible, et la matière corruptible. Le sens du mot forme ne se limite pas à celui qu'on lui donne dans des expressions comme « avoir de belles formes ». Il signifie aussi ordre. Une structure, comme celle de l'ADN, est déjà une forme, une mise en ordre. La matière de son côté n'est pas le concret, comme dans la conception naïve, mais le désordonné, l'indéterminé, le dispersé, en d'autres termes ce qui est soumis à la seconde loi de la thermodynamique, à l'entropie. Invariance, mutation ; forme, matière ; entropie, néguentropie. Il y a convergence entre ces trois couples de contraires.

Les mutations, disions-nous, sont causées par le milieu extérieur désordonné. On pourrait être tenté d'identifier cet extérieur au milieu, à l'environnement tel qu'on le voit. Ce serait une grave erreur. Le milieu est rempli d'êtres vivants et peut lui-même être considéré comme une totalité vivante. Saget ne l'ignore évidemment pas. L'extériorité dont il parle est une extériorité logique. Elle désigne l'entropie en tant que destructrice de la néguentropie, le déterminisme réducteur dans son incompatibilité avec le déterminisme informateur, la force de dispersion de la matière dans son opposition au pouvoir intégrateur de la vie. On aurait évidemment tort d'associer naïvement cette force de dispersion au milieu extérieur. Elle peut se manifester aussi bien dans une pensée confuse que dans un environnement dont les éléments nourriciers ont été sacrifiés aux éléments agresseurs. Pour aller plus avant dans l'élucidation de cette question, il faudrait revenir aux grands textes philosophiques sur le mal.

On remarquera seulement que, pour Platon, l'origine du mal moral se trouve dans cette matière, ce désordre extérieur où la biologie moléculaire nous invite aujourd'hui à voir la cause du mal physique et que, dans un cas comme dans l'autre, le principe positif, intégrateur se trouve dans un invariant : le code génétique, d'une part, et, d'autre part, la forme, la structure vivifiante, en d'autres termes l'âme, l'immortelle pensée qui saisit l'idée de Bien. Loin de nous effrayer, cette convergence doit nous réjouir car, sans nous autoriser à rattacher la maladie concrète à tel ou tel acte mauvais, elle fonde l'approche psychosomatique et holistique de la façon la plus inattendue et la plus heureuse. Cette invariance que la pensée avait découverte au fond d'elle-même, voilà que la biologie la retrouve aux origines de la vie. Cette dispersion, ce désordre, cause du mal moral, voilà qu'on nous invite, pour recouvrer la santé, à les combattre dans l'environnement.

Il n'y a là, dira-t-on, qu'une merveilleuse analogie. Peut-être, mais rien ne nous empêche de croire que la pensée, qui est elle-même le fruit le plus improbable de la vie, ait pu anticiper dans l'étude de sa propre genèse la découverte de cette invariance qu'elle mettra bientôt à nu dans l'étude de la genèse de la vie. Pour Gregory Bateson, ce que nous appelons ici, avec prudence, une analogie, est de l'ordre de l'évidence (17).

Cette vision des choses va tout à fait dans le sens des courants actuels les plus dynamiques et les plus prometteurs. Elle fonde notamment l'idée d'un milieu qui est, hélas ! et qui sera toujours l'agresseur, mais qui peut, grâce à l'action conjuguée de la vie et d'une pensée elle-même vivante, devenir de plus en plus nourricier. Bien entendu, dans un tel contexte, le milieu est à la fois physique, biologique, social et culturel.


LA SPHÈRE BIO-CULTURELLE

Nous disposons d'un cadre général pour répondre à la question initiale : comment développer la faculté qui nous permet de distinguer ce qui nous fait du bien ? Nous savons qu'il nous faut rendre l'environnement nourricier. Il nous reste à nous demander selon quels critères précis nous pourrons le faire.

La perspective évolutionniste nous permet de repérer quelques-uns de ces critères. Notre patrimoine génétique s'est constitué dans un environnement qui a très peu en commun avec la civilisation actuelle. L'aptitude à la survie y reposait d'abord sur la capacité qu'a le corps d'anticiper le danger et de se préparer à l'affronter avant qu'il ne devienne imminent. Le processus ainsi déclenché pouvait se dérouler normalement jusqu'à son terme. Quand le corps se préparait à la fuite, il avait l'espace suffisant pour courir. Il en va tout autrement dans le monde civilisé aujourd'hui. Les mêmes processus élémentaires sont fréquemment déclenchés, en voiture par exemple, ou lors d'un match de hockey à la télévision, mais l'exutoire normal est presque toujours interdit. Les déclencheurs peuvent même être des stimuli liés à des expériences émotives sans rapport avec le danger physique. Le constant décalage entre le stimulus et la réponse ne peut que dérégler le fonctionnement de l'organisme. « L'avortement de l'acte, écrit Dubos, après que l'organisme a accompli sa préparation physiologique et métabolique, constitue une expérience biologique perturbatrice souvent frustrante et vraisemblablement nocive. » (18)

Inversement, l'environnement artificiel, un certain milieu de travail par exemple, peut comporter des dangers réels pour l'organisme, dangers que ce dernier n'anticipera pas parce qu'il n'aura pas été préparé à le faire au cours de l'évolution.

Pour être encore imprécises, les données que nous possédons sur ces questions n'en sont pas moins éclairantes. Elles devraient toutefois attirer notre attention non seulement sur tel ou tel élément perturbateur ou polluant mais aussi sur les conditions générales qui pourraient faciliter une plus grande adéquation entre la mise en état d'alerte de l'organisme et le danger réel. C'est surtout en agissant sur ces conditions générales que nous pourrions protéger l'autonomie biologique menacée par une certaine civilisation. Si pour assainir un quartier, on le prive de sa couleur et de sa chaleur, on aggrave probablement la situation d'ensemble, comme l'ont montré certaines études empiriques.

L'autonomie biologique se trouve dès lors associée à la culture. L'homme est par nature un être de culture, disait Gehlen, un ami de Konrad Lorenz (19). Ce dernier appelait instincts les comportements animaux innés, pré-programmés. Il soutenait que les instincts ne se survivent dans l'homme qu'à l'état d'ébauche, le reste des comportements étant acquis par l'apprentissage. Les développements récents de la génétique n'ont fait que confirmer cette double appartenance inextricable.

Il y avait un vide à combler entre l'environnement et cet animal libre, donc inadapté, qu'on appelle l'homme. Ce vide, ce sont les cultures qui le remplissent. C'est leur aptitude à le remplir en prolongeant les instincts qui constitue leur valeur biologique ; c'est leur aptitude à prolonger les instincts sans nuire à la liberté qui constitue leur valeur proprement humaine.

Mais comment savoir si une culture prolonge des instincts, que l'on connaît bien mal, ne serait-ce que parce qu'ils n'existent dans l'homme qu'à l'état d'ébauche ? On peut s'en remettre au bon sens, à la réflexion, à l'analogie, à la science et, pourquoi pas, à la poésie.

Le bon sens

Ne sous-estimons pas le bon sens. Voici un individu qui n'a pas bougé depuis vingt ans et qui, tout à coup, sans prendre la peine de s'entraîner sérieusement, se lance dans un marathon de cinquante kilomètres ! En voici un autre qui passe sans transition a un régime oriental auquel sa culture ne l'a pas du tout préparé. Dans ces deux cas un peu de bon sens aurait permis d'éviter de poser un geste dangereux.

Il est tout aussi manifeste que certaines modes sont une conspiration contre la santé : « Si, écrit Sigerist, quelque chose a fait du beau sexe un sexe faible, ce n'est peut être que le corset. Et il fut probablement responsable des vapeurs, des faiblesses et des évanouissements qui accablèrent les femmes pendant tout le XVIlle siècle » (20).

La réflexion

La réflexion apporte elle aussi un éclairage indispensable. « Ce n'est pas, écrit Klages, dans l'objectivité de la perception externe et interne, avec ses concepts fondamentaux de choses, de forces, de causes, d'effets et de mouvements, mais seulement dans le retour réfléchi sur le vécu que la science de la vie peut avoir son point d'ancrage. » (21)

À un certain sentiment d'authenticité qu'il nous inspire, nous pouvons reconnaître la valeur biologique, la valeur de survie d'un phénomène culturel. Écoutons cette chanson :
    Les chairs m'y tremblent
    Elles peuvent bien m'y trembler
    La misère est grande
    J'ai tout bu mon été !
Je ne peux malheureusement pas reproduire ici la mélodie qu'un vieillard m'a révélée, en la tirant lui-même du fond des âges, mais on devine, à travers les paroles, qu'il s'agit là de l'une des nombreuses chansons que les peuples inventent pour s'adapter aux rigueurs du temps sans abuser des drogues comme l'alcool.

Et à travers ces vers de Verlaine, dans Birds in the night :
    Hélas ! on se prend toujours au désir
    Qu'on a d'être heureux, malgré la saison...
c'est le besoin de consommer que l'on comprend, que l'on excuse chez les autres, que l'on tempère en soi-même. Vouloir être heureux malgré la saison, n'est-ce pas la première chose qui distingue l'homme de l'animal et en fait un inadapté ? Les vers de Verlaine ont une valeur de survie parce qu'ils compensent cette inadaptation.

Celui qui est dépourvu de ces anticorps culturels ne peut, s'il veut survivre, que tomber sous la dépendance des professionnels de l'État et de l'appareil médical, des chefs religieux ou des vedettes des médias.

L'analogie

Les analogies peuvent aussi être de quelque utilité dans le repérage des phénomènes culturels ayant valeur de survie. Dans le rite de politesse consistant à enlever son couvre-chef et à déposer les armes en entrant dans une maison, Lorenz se plaisait à reconnaître le prolongement de l'attitude de soumission par lequel le comportement agressif est inhibé à l'intérieur d'une même espèce.

À l'origine, les Jeux Olympiques ne comportaient que quelques disciplines dont la course et la lutte. Il est tentant de voir là une ritualisation des comportements instinctifs les plus élémentaires : la fuite et l'attaque. Et quand on observe qu'une perdrix se débarrasse de ses parasites intestinaux à l'automne en mangeant des aiguilles de pin, on peut penser que les peuples ont pu aussi inventer des systèmes d'alimentation ayant une fonction préventive. Le danger de ces analogies c'est qu'on peut les utiliser comme prétexte pour justifier n'importe quelle barbarie. Dans le large éventail des comportements animaux, on peut trouver de quoi justifier tous les crimes et toutes les perversions. Il faut faire preuve de discernement. Cette réserve faite, on ne voit pas pourquoi on se priverait par exemple de comprendre à travers un équivalent chez les animaux la nécessité chez les hommes des cérémonies, des jeux et des sports. Mais ce n'est pas tant sur les cérémonies, les jeux et les sports que les analogies doivent attirer notre attention, que sur leur caractère spontané, sur le fait que, dans les cultures enracinées, ces activités sont intégrées aux grands rythmes de la vie. On est encore en état de dépendance quand on pratique la marche ou la course en obéissant par volonté aux ordres du médecin ou de l'État éducateur. Pour atteindre à l'autonomie en cette matière, il faut se placer dans un environnement tel que le mouvement va de soi.
    L'effort, écrit Schlemmer, qui n'est pas porté par la spontanéité expressive et efficace n'est pas seulement lassant, il réussit mal à être formateur, bienfaisant. Les exercices analytiques et scientifiques, qu'il s'agisse de gymnastique, d'entraînement aux sports ou de piano, sont antinaturels et, de ce fait, leur résultat est médiocre, malgré le temps et l'effort demandés.

    Les mouvements les plus efficaces, les plus formateurs, les plus synthétiques, sont en même temps les plus naturels. Un tigre, une gazelle, un milan accomplissent leurs gestes avec une force, une souplesse, une précision, une économie, une grâce même, vraiment admirables (22).
Qui donc a dit que la ville humaine est celle où l'on n'a pas besoin de faire des efforts de volonté pour marcher ? Nous connaissons tous des rues, des quartiers, des villes entières, où on est porté, comme un voilier par la mer, par des vagues de sensations agréables et stimulantes. Odeurs, sons, couleurs ! Lewis Mumford disait de ces lieux, dont Florence est le parfait exemple, qu'ils dispensent de l'éducation esthétique formelle. On peut dire que, pour les mêmes raisons, ils dispensent de l'éducation physique. D'où l'importance, pour la santé, de l'architecture et de l'urbanisme.

La science

Un urbaniste incidemment, Max von Pettenkoffer (23), fut l'un des premiers à faire de grandes études empiriques, pour repérer dans le milieu les éléments nocifs à la santé. Pettenkoffer, qui a vécu à Munich, est à l'hygiène publique ce que Pasteur est à la bactériologie. Nous devons peut-être plus au premier qu'au second, même s'il est beaucoup moins connu.

Il n'est pas nécessaire d'insister ici sur l'importance des études épidémiologiques. Elle est maintenant universellement reconnue. Peut-être conviendrait-il plutôt de souligner le danger qu'il y a de dégager des facteurs de risques, comme la cigarette et le sel, en les isolant des liens qui les unissent dans la réalité concrète aux facteurs psychologiques et sociaux. Comme l'a rappelé récemment Norbert Bensaïd (24), les facteurs de risques servent trop souvent de prétexte à des interventions moralisatrices. Chose plus inquiétante encore, du moins dans la perspective où nous nous situons, les facteurs de risques accréditent indirectement une conception périmée, parce que statique et uniforme, de l'équilibre du milieu intérieur. Georges Canguilhem a jeté sur cette question une lumière qui n'a rien perdu de sa pertinence. À la suite de Goldstein et de Sigerist notamment, il a insisté sur la relativité individuelle du normal biologique. « Si l'on en croit la tradition, dit-il, Napoléon aurait eu un pouls à 40, même en ses jours de santé ! Si donc avec quarante contractions à la minute, un organisme suffit aux exigences qui lui sont posées, c'est qu'il est sain et le nombre de 40 pulsations, quoique vraiment aberrant par rapport au nombre moyen de soixante-dix, est normal pour cet organisme. » Canguilhem formule plus loin un principe dont les conséquences pratiques sont considérables : « La frontière entre le normal et le pathologique est imprécise pour des individus multiples considérés simultanément, mais elle est parfaitement précise pour un seul et même individu considéré successivement » (25).

En rapport avec l'autonomie, ce sont les études empiriques intégrant les variables culturelles qui sont les plus intéressantes. Celle du docteur Louise Demers-Desrosiers, sur l'imaginaire, qui fut présentée lors d'un récent congrès mondial de médecine psychosomatique, est un exemple particulièrement inspirant. Le point de départ de sa recherche est une controverse entre deux Français, le psychanalyste J. P. Valabréga et le psychosomaticien P. Marty et collaborateurs. Le premier soutient que mythes et élaborations des phantasmes sont le fait de tous les humains, normaux ou anormaux ; le second soutient de son côté que l'absence de mythe ou d'élaboration de phantasmes est l'une des lacunes caractéristiques des malades porteurs de « structures psychosomatiques ».

Louise Demers a apporté une confirmation empirique à la thèse de l'école française de psychosomatique en démontrant, à partir d'un test basé sur Les structures anthropologiques de l'imaginaire de Gilbert Durand, qu'il existe un lien étroit entre l'alexithymie et l'atrophie de l'imaginaire. L'alexithymie est, selon le vocabulaire de la spécialité, un construit tel que, chez un sujet donné, il n'y a pas de mots qui correspondent aux sentiments et aux émotions. On avait déjà de bonnes raisons de penser qu'il y a un lien étroit entre l'alexithymie et les maladies psychosomatiques, que l'on considère désormais comme une structure pouvant impliquer tous les organes.

Des études de ce genre ne peuvent que renforcer l'opinion que formulait Dubos, lorsque, réfléchissant sur les comportements adaptatifs proprement humains, il soutenait que l'expression artistique pourrait un jour être considérée comme un besoin biologique secondaire.

La poésie

Mais la question initiale demeure toujours sans réponse précise. Quelle est cette faculté par laquelle je puis coïncider avec moi-même et par là être en mesure de distinguer ce qui me fait du bien ? À défaut de pouvoir en donner une définition satisfaisante ne pourrait-on pas indiquer comment elle se développe ? À ce point de notre démarche, la poésie est permise. Évoquant un jour de fête dans la Florence ancienne, Mumford écrit : « La vie s'épanouit dans cette dilatation des sens : sans elle, le battement du coeur est plus lent, le tonus musculaire plus faible, la prestance disparaît, les nuances de l'oeil et du toucher s'estompent, il se peut même que la volonté de vivre soit atteinte » (26).

L'environnement vivant, qu'il soit public ou privé, urbain ou campagnard, existe réellement. Si nous ne pouvons pas le définir, nous pouvons le ressentir. Si nous ne pouvons pas le planifier, puisque la vie ne peut naître de la raison, nous pouvons veiller sur les conditions de son émergence. Un sentier tracé par les animaux, une rue résultant d'un développement organique peuvent nous en donner une idée. Si nous n'avons pas eu le bonheur de naître dans un tel milieu, nous pouvons nous greffer sur lui. Dès que la greffe a eu lieu, la conspiration des êtres autour de nous - des êtres, car il n'y a plus de choses -réduit la part de nos énergies qui a besoin d'être fouettée par la volonté pour être mobilisée. Nous sommes fécondés par l'environnement, en symbiose avec lui. La nourriture que nous en tirons, au moment même où nous y travaillons, nous dispense de nous brûler en pure perte. La vie nous libère des raisons de vivre, et la profonde sécurité à laquelle nous atteignons alors rend moins impérieuse la présence de l'État dans notre vie quotidienne.

La même familiarité s'établit entre nous-mêmes et nous-mêmes. L'oiseau dont nous apprenons peu à peu à reconnaître le chant nous apprend en retour à distinguer en nous-mêmes des musiques silencieuses qui sont la dimension la plus personnelle et la plus universelle de nos désirs et de nos besoins.
    La mer, la mer, toujours recommencée !

    Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre ! (27)


L'AUTONOMIE RATIONNELLE

La santé de la raison

Mais la voile la mieux gonflée, dans le vent le plus favorable, a encore besoin d'un gouvernail. L'autonomie biologique appelle l'autonomie rationnelle. Certes, la seconde n'existerait pas sans la première, mais la première sans la seconde se détruirait d'elle-même, l'homme étant un animal inadapté. Il y aurait beaucoup de choses importantes à dire sur les rapports entre ces deux niveaux de la personne. Nietzsche et Freud notamment ont fait de cette question leur préoccupation principale. Comment manipuler le gouvernail sans déchirer la voile et sans briser le mât ? Nietzsche disait : « Nous sommes à la fois colombe, serpent et cochon ». Comment le serpent peut-il respecter le dynamisme et l'innocence du cochon tout en tenant compte des hautes exigences de la colombe ? Dans le langage de la psychanalyse : comment le moi peut-il céder aux pressions du surmoi sans créer dans le ça un refoulement perturbateur ?

Cette question est peut-être celle qui a suscité le plus de discussion au XXe siècle et, sous d'autres formes, dans les siècles précédents. La position qui tient le mieux compte des points de vue extrêmes est sans doute la plus juste. De toute évidence, une certaine inhibition des instincts primaires est nécessaire. Il faut seulement faire en sorte qu'elle soit aussi peu violente que possible. La raison doit régner par la persuasion plutôt que par la force.

Il peut en être ainsi dans la mesure où une partie de la responsabilité est déléguée d'une part aux habitudes acquises depuis l'enfance, d'autre part aux éléments esthétiques et sociaux du milieu de vie : paysage, voisinage, rites, architecture, ameublement.

Si, comme il arrive trop fréquemment dans un environnement fonctionnel, la raison est seule aux prises avec des instincts primaires affamés ou surexcités artificiellement, il s'ensuit soit un refoulement, soit un défoulement également perturbateur pour la personne et pour la société. Si autonome soit-elle, la raison n'est pas indépendante de la culture dans laquelle elle est immergée. Il faut éviter de la dissocier des réalités élémentaires qui l'expriment et la soutiennent tout à la fois.

Il faudrait tenir compte de ces considérations dans les discours, de plus en plus nombreux, sur la prise en charge de soi par soi. Mais ce n'est pas d'abord à cette prise en charge de soi par soi que l'on songe quand on aborde la question des rapports entre la raison et la santé, c'est à la médecine.

La santé par la raison

La santé par la raison. Rien ne définit mieux la médecine occidentale. On s'accorde à reconnaître en Hippocrate le fondateur de cette médecine. « À l'époque archaïque, écrit Lichtenhaeler, le médecin annonçait seulement au lit du malade que telle ou telle chose allait se produire ; s'il se risquait à une explication, elle restait spéculative ou magique. Hippocrate au contraire élabore une doctrine cohérente de la prognose et, grâce à sa profonde connaissance des processus pathologiques, il sait pourquoi telle ou telle chose va se produire. » (28) Il n'est pas certain qu'Hippocrate ait été moderne au point où, sous l'influence de Littré notamment, on a tenté de nous le faire croire depuis un siècle. Une controverse existe aujourd'hui à ce propos. Il est certain toutefois qu'Hippocrate donne l'exemple d'un usage de la raison préfigurant celui qui fut codifié par Claude Bernard (29) et généralisé au XXe siècle.

Mais en insistant sur la médecine pour définir la santé par la raison, nous ferions toutefois fausse route. Le fait que la rationalité se soit développée à l'intérieur de la médecine ne signifie pas que, simultanément, les hommes soient devenus plus autonomes, qu'ils aient profité des nouvelles connaissances pour devenir maîtres et souverains de leur propre nature. On peut penser au contraire que l'accumulation d'un grand capital de connaissances médicales spécialisées a souvent eu pour effet de faire régresser la raison individuelle en deçà du degré d'activité et de responsabilité dont elle s'était montrée capable dans un contexte culturel où le savoir sur la santé était plus pauvre mais plus accessible.

L'autonomie rationnelle que nous évoquons ici, c'est la liberté telle que Descartes la définit : la capacité d'atteindre en combinant des connaissances claires une fin qu'on s'est assignée à soi-même. On peut considérer l'exercice de cette liberté comme l'un des aspects de la santé puisqu'elle marque l'ultime expression d'un être dont l'inachèvement, sur le plan biologique, le condamne à s'affirmer en faisant des choix, en se donnant des normes. Les nombreuses études sur les états dépressifs consécutifs au manque d'exercice de cette faculté, en milieu de travail notamment, n'illustrent que trop bien notre propos.

L'individu qui se livre au pouvoir médical dans une totale dépendance nous place donc devant le paradoxe d'un être qui renonce à sa santé dans l'acte même de la reconquérir ; la médecine, elle, se trouve dans un paradoxe symétrique, puisqu'elle se propose de guérir un être en le privant au point de départ d'une partie de son dynamisme.

On est heureusement témoin depuis quelques années d'une revalorisation de la responsabilité du malade dans le traitement. L'ouvrage de Norman Cousins, La volonté de guérir(30), a pris dans ce contexte une singulière importance. Norman Cousins est cet Américain, rédacteur en chef de la Saturday Review, qui, se voyant glisser vers la mort, à cause d'une polyarthrite, a décidé de prendre les commandes de sa thérapie avant qu'il ne soit trop tard. Il quitta bientôt sa chambre d'hôpital pour une chambre d'hôtel qui lui coûta moins cher en plus d'être plus agréable et plus silencieuse. Il faut préciser tout de suite que Cousins avait une vaste culture médicale et qu'il était en outre assisté par un ami médecin. Pour guérir, il s'en remit au rire et à la vitamine C et, contre toute attente, il guérit. Le récit de cette guérison rationnelle de soi par soi dans le New England Journal of Medicine lui attira trois mille lettres de médecins américains. L'un d'eux écrivit : « Rien n'est plus démodé que la conception que les médecins n'ont rien à apprendre de leurs patients ».

Le traitement pratiqué par Cousins sur lui-même aura sans doute fait sourire plus d'un expert. Rien ne prouve en effet qu'il n'aurait pas pu remonter la pente spontanément ou par d'autres moyens, et c'est probablement l'effet placebo qui a joué dans ce cas comme dans tant d'autres. Aussi bien, l'intérêt de son livre n'est pas là, mais dans le fait qu'il a voulu souligner l'importance de la volonté de guérir telle qu'elle se manifeste notamment dans la prise en charge de son propre traitement, prise en charge s'accompagnant d'un acte de foi renouvelé dans le pouvoir régénérateur de la nature et dans l'influence de l'âme sur le corps. « Si, écrit Cousins, les émotions négatives produisent des modifications chimiques dans le corps, pourquoi les émotions positives ne produiraient-elles pas des modifications positives ? L'amour, l'espoir, la foi, le rire, la confiance et la volonté de vivre pourraient-ils avoir une valeur thérapeutique ? Les modifications chimiques ne se produisent-elles que dans le mauvais sens ? »

Norman Cousins est maintenant professeur à la Faculté de médecine de Californie à Los Angeles. Son succès marque peut-être l'entrée officielle de la raison individuelle dans la grande aventure rationnelle que constitue la médecine moderne. Il n'est évidemment pas la première personne à insister sur l'importance de la volonté de guérir. Les idées qu'il défend sont banales en un sens. Il a seulement eu le mérite de se guérir lui-même grâce à elles et de les exposer a un moment où la médecine dite rationnelle était sur le point de devenir la magie absolue pour tous ceux qui y ont recours.

La santé par l'information

Sans vouloir mettre un terme aux progrès techniques, on aimerait être assuré qu'ils vont désormais s'accompagner, de la part des chercheurs et des professionnels de la santé, d'un effort sans précédent pour que deviennent accessibles au commun des mortels les connaissances fondamentales nécessaires à l'exercice de la liberté.

C'est dans ce contexte que le livre controversé d'Ivan Illich, la Némésis médicale (31), prend tout son sens. Illich a d'abord voulu démontrer qu'un profane peut partir à l'assaut des bibliothèques médicales sans autre passeport que sa culture générale et sa volonté de connaître. Sa recherche lui aura permis de démythifier un langage exagérément hermétique dont la principale utilité lui a semblé être de tenir le chercheur profane à l'écart.

C'est dans ce contexte également qu'on tente actuellement de libéraliser l'accès du malade à l'information, notamment à celle qui est contenue dans son dossier. Il ne faudrait toutefois pas sous-estimer les difficultés que présente une telle opération. L'information peut aussi être iatrogène, puisque tout est dit à la façon de celui qui parle et que « tout est reçu à la façon de celui qui reçoit ». Que vaut l'information transmise au téléphone, par une voix impersonnelle, rattachée à on ne sait quel laboratoire, et apprenant à une jeune femme déjà angoissée qu'elle a une dysplasie mammaire ou de petites « cellules pas très catholiques (sic) dans l'utérus ».

L'information iatrogène est analogue à celle que les généticiens découvrent à l'origine des maladies en donnant à ce mot, bien entendu, le sens qu'on lui réserve en informatique. Un message mal transmis ou mal décodé par une cellule pourrait être à l'origine de certaines maladies, dont le cancer. Dans l'exemple que nous avons donné, l'information est également mal transmise, mal décodée. En cours de route, le message a été délesté de ses éléments affectifs qui lui auraient permis d'atteindre son but, lequel consiste à renseigner mais aussi à informer, au sens aristotélicien du terme, c'est-à-dire à donner la forme, l'âme, soit sous la couleur de la santé retrouvée, soit sous celle du consentement à la souffrance et à la mort.

Nous entrevoyons par là que l'accès à l'autonomie rationnelle requiert, du moins dans les situations difficiles de la vie, une atmosphère où la qualité de la communication est aussi importante que la précision du message.

Notre familiarité croissante avec les médecines dites primitives nous aura permis à ce propos de faire des découvertes de première importance. Si dans notre système de santé les messages sont à haute teneur scientifique, la communication, par contre, y est très mauvaise, tandis que dans les médecines primitives c'est l'inverse qui est vrai. De nombreux anthropologues ont observé que l'efficacité des guérisseurs tient surtout au fait qu'ils permettent aux malades de s'insérer corps et âme dans un système explicatif global.

À preuve, ce rituel Navaho :
    Les chants, rites et cérémonies de ces neuf jours sont si complexes qu'il faudrait un livre entier pour décrire en détails une seule de ces cérémonies. Douze hommes se retrouvèrent devant la maison de la médecine les sixième, septième, huitième et neuvième jours et sous la direction du guérisseur, ils exécutèrent de belles peintures sur le sol avec du sable coloré. Ces dessins sont aussi remarquables pour leur valeur artistique que pour leur signification mythologique et symbolique. Le guérisseur accompagnait ces rites de gestes et de chants magiques. Chaque jour, quand tous les rites étaient accomplis, on défaisait et on répandait du sable coloré sur le malade. À la fin du neuvième jour, environ deux mille Navahos, hommes, femmes et enfants, se joignirent à la famille pour chanter la dernière partie du chant de la Montagne et la cérémonie se termina par une danse religieuse débordante de joie. Le malade se sentit alors guéri. Une enquête entreprise deux ans après établit que le traitement avait parfaitement réussi. (32)
De toute évidence, des efforts s'imposent dans notre système pour équilibrer les messages scientifiques par une communication digne de ce nom sans quoi on verra se constituer, aux confins d'une science médicale elle-même magique, une magie médicale sans contenu élémentaire. Sans contenu élémentaire parce qu'on en aura exclu la science sans être en mesure de la remplacer par un système symbolique authentique.


LE SENS DE LA SANTÉ ET DE LA MALADIE

Les sources du sens

La distinction entre l'autonomie biologique et l'autonomie rationnelle, dont nous avons déjà indiqué le caractère artificiel, ne rend pas compte de la totalité de l'être humain. Il était tentant d'ajouter un troisième niveau, l'autonomie spirituelle ou surnaturelle. Au risque de porter atteinte à l'unité de mon texte, du moins à son unité apparente, j'ai préféré m'en tenir dans cette troisième partie à une réflexion sur le sens de la santé et de la maladie. Ce n'est pas d'abord à l'autonomie qu'on pense pour caractériser la sphère du sens, mais à l'abandon, même s'il demeure vrai que, sans le sens, l'autonomie biologique ou rationnelle reste inachevée, comme un édifice sans sa clé de voûte.

Le sens n'est pas une interprétation extérieure mais l'âme elle-même du phénomène. Si, depuis trois mille ans, il y a eu progrès dans le traitement de la maladie, il semble qu'il y ait eu régression quant au sens à lui donner ; et à mesure qu'on redécouvre l'unité du composé humain, il devient de plus en plus manifeste qu'il faut faire en sorte que la thérapie réintègre le sens si l'on veut qu'elle conserve son efficacité et qu'elle prenne un nouvel élan.

Le progrès classique entraînait la régression du sens, il la supposait même. On aurait pu croire à un certain moment que la seule façon de créer les conditions pour guérir les gens c'était de rendre la maladie et la mort inacceptables à leurs yeux. D'où l'acharnement médical et son intériorisation par les consommateurs de soins : l'ennemi, c'est la mort !

Dans les histoires de la médecine faites par des médecins pour des médecins, on ne s'intéresse qu'aux préfigurations des triomphes contemporains. On s'extasie devant le fait que les Égyptiens pratiquaient la trépanation, mais on a que mépris pour ce par quoi ils donnaient un sens à la maladie et à la mort. C'est ainsi que, de mépris en mépris, ou plutôt de méprise en méprise, on s'est peu à peu coupé des sources d'inspiration dont on recherche fiévreusement l'équivalent aujourd'hui, acceptant souvent, faute de mieux, les ersatzs offerts par les sectes et les thérapies qui surgissent de toutes parts.

Une relecture de l'histoire des attitudes devant la maladie et la mort s'imposait de toute évidence. Mais pourquoi, dira-t-on, se tourner vers le passé plutôt que vers l'avenir ? Parce que l'avenir est le lieu des promesses de la science et de la technique et non celui des racines du sens. Comme la mémoire génétique, dont elles sont peut-être le reflet culturel, ces dernières remontent jusqu'à l'aube de l'humanité et sans doute au-delà.

À l'origine de la nôtre, les plus grandes cultures sont celles des Babyloniens, des Égyptiens, des Juifs, des Grecs et des Romains. Nous pourrions réapprendre à vivre et à mourir au contact de ces sources, dont on ne peut plus se passer dès qu'on a consenti à se pencher pour boire l'eau qui en coule.

Les Babyloniens

Les Babyloniens considéraient la maladie comme la conséquence du péché. Quand un homme vertueux était malgré tout frappé, il en concluait qu'il expiait pour un ancêtre dont sa culture le rendait solidaire. « Un seul mot, shêrtû signifiait à la fois péché, colère des dieux, impureté, châtiment : en lui se résumait la causalité pathologique. » (33)

Nous aurions tort de croire que cette mentalité a complètement disparu. Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu ! disaient nos mères quand elles tombaient malades prématurément. Cette plainte, on l'entendra encore quand on aura oublié jusqu'au nom de Dieu. Elle exprime un invariant de l'âme humaine analogue aux invariants du patrimoine génétique. Quand on veut l'occulter, cet invariant ressurgit sous une autre forme. On pourrait expliquer ainsi aujourd'hui une certaine promotion de la santé consistant à expliquer la maladie par des erreurs de conduite individuelle telles que boire de l'alcool et fumer.

Les Babyloniens ont peut-être attaché trop d'importance au péché comme cause de la maladie. Nous aurions tort de les imiter, mais nous nous couperions d'une donnée fondamentale si nous rejetions totalement leur philosophie. Du même coup, nous laisserions passer une excellente occasion de tirer un enseignement utile de certaines de leurs pratiques.

L'explication par le péché entraînait l'idée que la maladie était caractérisée par la présence de l'esprit malin. Pour chasser ce dernier et obtenir ainsi la guérison, les Babyloniens l'incommodaient au moyen de substances répugnantes, telles qu'excréments, urine, sang menstruel. Il serait bien étonnant que certaines de nos huiles et de nos tisanes ne puissent pas être rattachées à cette vieille fonction symbolique. Cette dimension est peut-être présente dans les antibiotiques eux-mêmes, tirés, comme chacun sait, de l'urine de jument. Qui oserait nier que le désagrément est l'une des conditions de l'efficacité d'un grand nombre de traitements et de médicaments ? Mais qu'on se rassure, la grande cuisine remplit les mêmes fonctions que les excréments dans les cultures où la maladie est attribuée au vide créé par le départ de l'âme. On prescrit alors des plats exquis, dans l'espoir qu'attirées par l'arôme, les âmes reviendront, ramenant la santé avec elles. Combien d'enfants de tous les âges tombent encore malades dans l'espoir d'être un jour gâtés. Ils espèrent aussi, souvent, retrouver leur âme, mais ils ne savent plus comment le dire. Les Babyloniens avaient aussi une médecine communautaire. Hérodote raconte qu'ils portaient les malades sur la place pour qu'ils reçoivent les avis et le réconfort des passants ayant souffert des mêmes maux.

Mais le souvenir le plus précieux qu'on peut conserver de Babylone c'est ce cri du juste souffrant, cet ancêtre de Job, malheureux au point de ne même pas avoir de nom : « Je suis malade, j'ai été mis au rang de celui qui, dans sa folie, oublia son Seigneur, de celui qui profane le nom de son Dieu. Et pourtant, je n'ai pensé qu'à prier et supplier. La prière a été ma règle, le sacrifice ma loi ? »

Les Égyptiens

D'abord châtiment, comme chez les Babyloniens, la maladie est devenue pour les Égyptiens un accident lui-même relié à un drame métaphysique expliqué par la mythologie.
    Pour les Égyptiens, écrit Sendrail, la maladie ne prend pas sa source dans la vie intérieure du malade. Elle s'impose à lui du dehors. La mort n'éclôt pas spontanément dans des entrailles coupables. Elle équivaut à un meurtre. Le meurtrier suscité par les forces délétères, c'est tantôt un autre homme, une bête, un objet inanimé, pierres détachées de la montagne, arbres abattus par la tempête, tantôt un ennemi invisible, le ver qui se glisse insidieusement dans les os ou les viscères. (34)
Voilà une vision des choses étonnamment apparentée à celle qui domine aujourd'hui. Qu'ils aient lieu sur les routes ou à l'intérieur des gènes, les accidents sont la première explication que nous donnons de nos maladies. Nous les attribuons au hasard plutôt qu'à un drame métaphysique et nous n'avons pas le culte des morts pour leur donner un sens. C'est la seule chose qui, sur ce plan, distingue notre conception de la maladie de celle des Égyptiens. Si elle est compatible avec l'étude scientifique des phénomènes, notre idée de hasard ne marque toutefois pas un grand progrès spirituel.

Les Juifs

Chez les Juifs, la théorie du châtiment, omniprésente au début, a progressivement disparu devant l'idée d'épreuve, laquelle a trouvé sa parfaite expression dans l'histoire de Job. On n'est plus malade uniquement parce qu'on a péché, mais aussi pour devenir meilleur.

Il y a là un progrès spirituel incontestable se traduisant chez les malades par une plus grande paix et une plus grande autonomie. On notera cependant que, sur le plan scientifique, les Juifs n'ont pas fait faire de progrès important à la médecine. Si dans ce cas les progrès spirituels ne se sont pas prolongés par des progrès scientifiques, l'inverse se produit aujourd'hui à l'échelle du monde ; les progrès spirituels ne sont pas au diapason des progrès scientifiques.

Les Grecs

Mais en attendant, chez les Grecs, il y aura parallélisme entre le progrès spirituel et le progrès scientifique. On admet généralement qu'Empédocle, Hippocrate, Alcméon de Crotone ont été les véritables fondateurs de la médecine en tant que science naturelle. Mais on oublie parfois que le progrès spirituel accompli à la même époque a été tout aussi important. C'est l'équilibre qui en résulte qui constitue la grande originalité de la civilisation grecque. Comme Simone Weil l'a rappelé (35), la notion d'épreuve introduite par Job n'est pas du tout étrangère aux Grecs. À ce propos, on cite souvent ces mots d'Eschyle dans l'Agamemnon : « La Justice accorde le savoir à ceux qui ont souffert ». Telle est d'ailleurs l'origine de la catharsis, qui occupe une place centrale dans la philosophie de Platon et de Pythagore. La maladie peut alors être considérée comme une épreuve morale autant que physique : le corps peut en rejaillir assaini et l'âme purifiée.

Mais dire que la maladie peut être une épreuve morale n'équivaut pas à prétendre qu'elle est une vengeance des dieux. Les Grecs y voient plutôt un phénomène naturel causé par une souillure matérielle, une impureté physique, une atteinte à l'harmonie. La santé est en effet pour eux une harmonie qui n'est pas sans analogie avec celle qui caractérise la structure de l'ADN et assure sa pérennité. Alcméon de Crotone, disciple de Pythagore la définit ainsi : « La santé, expression corporelle de la Dikè, la justice inhérente à la nature des choses, se conserve par l'isonomie, l'équilibre des puissances organiques, l'humide et le sec, le froid et le chaud, l'amer et le doux... »

La santé est alors analogue à l'harmonie silencieuse des sphères et elle trouve sa parfaite expression dans la statuaire. Microcosme, macrocosme ; musique, sculpture, médecine, tout se tient. Mais de même que la démesure dans l'art entraîne la laideur, de même un excès de chaleur ou de froid, une violence exercée par un corps étranger, provoqueront une perturbation morbide. La guérison consistera à restaurer l'équilibre perdu.

« Telle se présentait, écrit Sendrail, la première théorie de l'affliction humaine qui ne devait rien au ressentiment des dieux ni à la conscience du péché. Il est remarquable qu'elle apparaisse plus encore comme une philosophie de la santé et de la guérison que comme une philosophie de la maladie. » (36)

On connaît les grandes thèses d'Hippocrate sur le pronostic, l'influence du climat, le pouvoir régénérateur de la nature. Je n'ai pas ici a présenter l'oeuvre de ce demi-dieu. Il m'apparaît plus important de souligner un autre aspect de l'équilibre atteint par les Grecs. On attribuait deux filles à Esculape, Hygée, la nymphe au teint vermeil, et Panacée, qui présidait à la prescription des simples. On a là, incarnés en ces deux filles, les deux pôles entre lesquels les attitudes face à la santé et à la maladie oscilleront désormais : l'hygiène et la panacée. C'est René Dubos qui a fait le premier cette observation, soulignant que l'équilibre était aujourd'hui rompu au profit de Panacée.

Les Romains

La médecine grecque finira par imprégner la civilisation romaine, mais non sans avoir rencontré une farouche résistance, incarnée notamment par Caton l'Ancien. Grand défenseur des moeurs austères de la Rome antique, Caton avait la plus vive méfiance à l'égard des médecins grecs, qu'il associait aux parfums et aux soieries de la décadence. « Crois-moi sur parole, écrivait-il à son fils, si ce peuple (les Grecs) parvient à nous contaminer avec sa culture, nous sommes perdus. Il a déjà commencé avec ses médecins qui, sous prétexte de nous soigner, sont venus ici détruire les barbares. Je t'interdis d'avoir affaire à eux. » (37)

Pendant les cinq premiers siècles, il n'y eut pas de médecins à Rome et le premier qui vint de Grèce fut renvoyé dans son pays. Les conquérants du monde n'avaient pas été conquis par les docteurs.

Dans son traité de l'Agriculture, Caton a lui-même indiqué comment chacun devait se soigner. Il considérait la maladie comme une épreuve destinée à former le caractère et peut-être aussi, sans le dire expressément, comme une forme de sélection naturelle. Fiez-vous d'abord à votre instinct, disait-il à ses compatriotes. Il indiquait ensuite quelques techniques chirurgicales élémentaires, que tout soldat devait connaître, et quelques herbes. Le remède par excellence, le remède universel, c'était le chou, qui était aussi l'une des plantes les plus répandues.

L'idéal actuel d'autonomie, de prise en charge de soi par soi, d'indépendance face au pouvoir médical serait donc apparenté au stoïcisme romain ! Illich émule de Caton !

Mais les médecins grecs finirent par avoir gain de cause et, grâce à l'un d'entre eux, venu de Pergame, Galien, leur discipline s'assura une hégémonie de près de quinze cents ans en Occident.

Je ne présenterai pas ici l'oeuvre de Galien. Je dirai seulement que chez lui la thèse initiale des Babyloniens se trouve inversée. Le malade, pour les Babyloniens, n'était rien d'autre qu'un pécheur, pour Galien c'est le pécheur qui n'est rien d'autre qu'un malade. Par là, cet homme qui fut voué aux gémonies par les premiers médecins modernes, est en accord avec la pensée actuelle. La mécanique à laquelle se réfère Galien n'est pas la même que celle que l'on démonte aujourd'hui, mais l'intention fondamentale n'a pas changé : réduire tous les maux, y compris le mal moral jadis associé au péché, à un quelconque dérèglement physiologique.

En évoquant ainsi à grands traits les divers sens qu'on a donnés à la santé et à la maladie dans l'Antiquité, j'ai voulu montrer que le progrès en cette matière ne consiste pas, comme en sciences et en technologie, à construire sur des données qu'on oubliera ensuite, mais à réactiver et à assimiler des souvenirs qui sont autant de comportements adaptatifs correspondant à des invariants spirituels. Il y a plus qu'une leçon, il y a une nourriture à tirer de tout ce qu'on a imagine avant nous pour donner un sens à la maladie. Ailleurs dans ce traité, on aura montré que l'apport des autres cultures est aussi instructif.

La meilleure approche holistique serait celle qui accorderait sa juste place au châtiment babylonien, à l'accident égyptien, à l'épreuve juive, à la catharsis grecque, à l'autonomie romaine, au réductionnisme de Galien. Pour nous comme pour les Anciens, chacun de ces sens, chacune de ces hypothèses, enferme une partie de la vérité totale. Il nous faut constamment refaire ce dosage, cette synthèse, en évitant, autant que possible, l'inauthenticité à laquelle une telle opération conduit lorsqu'elle est menée d'une façon précipitée et préméditée.

Si je n'ai pas parlé de la synthèse chrétienne, et de la dimension qu'elle a ajoutée, la compassion, la charité, c'est parce que nous sommes encore tout imprégnés des idées et des pratiques qu'elle a générées. Était-il nécessaire d'insister sur l'influence qu'a exercée la chrétienté dans le processus complexe qui a conduit à l'adoucissement progressif du sort fait aux malades ?

Aujourd'hui, il convient plutôt de se demander si, comme le disait Chesterton, les vertus chrétiennes ne sont pas devenues folles, contre-productives, dirait Illich. Les institutions, les experts, les techniques et les drogues dont nous disposons dans notre système de santé ratent une partie de leur cible, le renforcement de l'autonomie, parce qu'ils atteignent trop bien l'autre : le maintien de la sécurité.

Notre attitude face à cette alternative fondamentale dépendra de la réponse que nous apporterons à la question suivante : est-ce seulement la vie en tant que durée qui est sacrée, ou est-ce aussi la vie en tant que lieu et moyen d'un accomplissement qui la transcende ?


Notes
(1) Fritjof Capra, The Turning Point, New York, Simon and Shuster, 1982.
(2) Marilyn Ferguson, Les enfants du verseau, pour un nouveau paradigme, Paris, Calmann-Lévy, 1981
(3) La Mettrie, L'homme machine, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1966, p. 44.
(4) Descartes, Lettres, Oeuvres et Lettres, Paris, Gallimard, coll. Pléiade, 1953, p. 1280.
(5) Descartes, Méditations, op. cit., p. 267.
(6) Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, Presses universitaires de France, 1966.
(7) Définitions tirées d'un document du Conseil des affaires sociales et de la famille, Gouvernement du Québec, 1981.
(8) Edgar Morin, La méthode, Tome 2, La vie de la vie, Paris, Seuil, 1980, p. 106.
(9) Laplace, Théorie analytique des probabilités, dans : Oeuvres complètes, Paris, Gauthier-Villars, p. 1878-1912.
(10) Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, Paris, Seuil, 1970.
(11) E. Schrodinger, Qu'est-ce que la vie, Paris, Le Club français du livre, 1949
(12) Albert Szent yörgyl dans : Synthesis, New York, 1974.
(13) Hubert Saget, Mécanisme et déterminisme en physiologie contemporaine, Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1976.
(14) A. Koestler, Janus, Paris, Calmann-Lévy, 1980.
(15) Hubert Saget, op. cit., p. 115.
(16) Hubert Saget, op. cit., p. 123.
(17) Gregory Bateson, Mind and Nature, New York, Bantam New York Age Books, 1980.
(18) René Dubos, Man Adapting, New Haven, Yale University Press, 1973, p. 29. L'homme et l'adaptation, Paris, Payot, 1973.
(19) Konrad Lorenz, Essais sur le comportement animal et humain, Paris, Seuil, 1970.
(20) Sigerist, Civilisation and Diseuse, Phoenix Sciences series, Chicago, University of Chicago Press, 1965, p. 25.
(21) L. Klages, Mensch und Erde, Jena, Diederichs, 1930.
(22) André Schlemmer, La méthode naturelle en médecine, Paris, Seuil, 1960, p. 567.
(23) Max von Pettenkoffer, The Value of Health to a City, Baltimore, John Hopkins University Press, 1941.
(24) Norbert Bensaïd, La lumière médicale, Paris, Seuil, 1981.
(25) Georges Canguilhem, op. cit., p. 119.
(26) Lewis Mumford, Culture of City, New York, Harcourt Brace, Jovanovitch Inc., 1970, p. 95.
(27) Paul Valéry, Le cimetière marin, Oeuvres complètes, Éditions de la Pléiade.
(28) Charles Lichtenthaeler, Histoire de la médecine, Paris, Fayard, 1978.
(29) Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Paris, Nouvel Office d'édition, Poche-Club, 1963.
(30) Norman Cousins, La volonté de guérir, Paris, Seuil, 1978.
(31) Ivan Illich, La Némésis médicale, Paris, Seuil, 1975
(32) Henri F. Ellenberger, À la découverte de l'inconscient, Ulleurbaume, France, SIMEP, 1974.
(33) Marcel Sendrail, Histoire culturelle de la maladie, Toulouse, Éditions Privat, 1980, p. 32.
(34) Ibid., p. 80.
(35) Simone Weil, Intuitions pré-chrétiennes, Paris, La Colombe, 1951.
(36) Marcel Sendrail, op. cit., p. 98.
(37) Indro Montanelli, Histoire de Rome, Paris, Hachette, collection Livre de poche, 1959.

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