La fin de l'Empire

Alexandre Debidour
Sa complaisance pour l'église se manifestait à la même époque par une entreprise lointaine sur laquelle il comptait, non seulement pour regagner les bonnes grâces du Saint-Siège, mais pour détourner la France, par quelque gloire nouvelle, des préoccupations de la politique intérieure. Nous voulons parler de l'expédition du Mexique, commencée à la fin de 1861, de concert avec l'Angleterre et avec l'Espagne, sous le prétexte de réparations matérielles à obtenir en faveur de commerçants ou de propriétaires français lésés par le gouvernement du président Juarez. En réalité, et sans l'avoir dit à ses alliés, Napoléon III se proposait de conquérir ce pays et, à la place de la République libérale et anticléricale dont la cause venait d'y triompher, d'y établir une monarchie autoritaire et catholique vassale de la France. C'était à l'archiduc Maximilien d'Autriche, frère de l'empereur François-Joseph, qu'il destinait la couronne du Mexique. Le projet lui paraissait facile à exécuter, cet État ne semblant pas capable d'opposer une longue résistance, et la guerre civile qui désolait alors les États-Unis mettant pour longtemps (à ce qu'il croyait) cette République dans l'impossibilité de s'y opposer. Au fond, le rêveur couronné, en tentant cette nouvelle aventure, était simplement le jouet du parti ultramontain, qui dominait l'impératrice, et de quelques hommes d'argent, comme Morny, qui spéculaient pour leur propre compte sur la rentrée d'une créance véreuse. Quoi qu'il en soit, les gouvernements britannique et espagnol, ayant obtenu pour leurs nationaux, après la prise de la Vera-Cruz, des réparations convenables par la convention de la Soledad (19 févr. 1862), le gouvernement français refusa de les imiter et, commençant à démasquer ses secrètes intentions, fit marcher sur Puebla le général Lorencez, qui éprouva devant cette place un sanglant échec (5 mai). Pour venger cet insuccès, il lui fallut ensuite envoyer au Mexique jusqu’à 40.000 hommes avec un matériel énorme. Au printemps de 1863, les Français reprirent l'offensive. Cette fois, Puebla fut vaillamment emportée (17 mai 1863); peu après, le maréchal Forey, à la tête du corps expéditionnaire, prit possession de Mexico (1er juin) et y établit nu gouvernement provisoire pendant que Juarez et ses partisans se retiraient dans le Nord. Alors eurent lieu de longues négociations entre Napoléon III et Maximilien qui, moyennant le concours qui lui fut promis, finit par accepter le titre d'empereur du Mexique (traité de Miramar, 10 avr. 1864) et alla s'établir dans ce pays (juin) sous la protection des troupes françaises, commandées maintenant par le maréchal Bazaine. L'affaire paraissait donc avoir parfaitement réussi, et le ministre Rouher, dans son enthousiasme de commande, ne craignit pas de proclamer que cette entreprise (qui, comme la guerre, d'Espagne sous Napoléon 1er, n'était en somme qu'un colossal brigandage) était la plus grande pensée du règne.

A l'intérieur cependant, tout le monde n'était point satisfait. Loin de là, le mécontentement ne faisait que s'étendre. Les élections générales de 1863 avaient permis à Napoléon III d'en mesurer les progrès. Malgré les candidatures officielles, la pression administrative et les efforts violents du ministre de l'intérieur Persigny, les chefs des partis républicain, légitimiste et orléaniste, qui, grâce à l'Union libérale, faisaient campagne ensemble contre l'Empire, étaient entrés au Palais-Bourbon au nombre de trente-cinq, et la plupart d'entre eux étaient des hommes de grand talent (citons notamment, à côté dec Jules Favre, d'Emile Ollivier, d'Ernest Picard, Thiers, Berryer, Jules Simon, Marie, Pelletan, etc.). La population des villes, plus instruite, plus remuante que celle des campagnes, plus redoutable parce que c'est elle qui, d'ordinaire, fait les révolutions, avait en général donné ses suffrages aux candidats de l'opposition qui, battus dans la plupart des circonscriptions, n'en avaient pas moins obtenu dans l'ensemble du pays un total de 2 millions de voix.

Napoléon III, un peu alarmé, se débarrassa du compromettant Persigny juin 1863), confia le portefeuille de l'instruction publique au libéral et populaire Duruy, qui allait s'efforcer d'élargir, de démocratiser l'enseignement, et chargea de la défense de sa politique devant les Chambres le ministre d'Éat Billault et, après sa mort (oct.), Rouher, qui devint bientôt une sorte de vice-empereur. Mais il ne crut devoir faire encore à l'opposition aucune concession de principes, et la France continua d'attendre ce couronnement de l'édifice qu'il lui faisait espérer depuis le début de son règne. Une loi — fort insuffisante — sur les coalitions ouvrières (en 1864) fut à peu près la seule concession qu'il parut à ce moment disposé à faire à la liberté. La défection d'Emile Ollivier qui, séduit par Morny, passa bientôt dans le camp de l'Empire (1864-65), lui fit sans doute espérer que beaucoup de ses adversaires pourraient être également gagnés et l'entretint dans ses idées de résistance aux voeux de l'opposition. Par contre, les républicains, se sentant de plus en plus soutenus par la population des villes, devinrent bientôt de plus en plus hardis au Palais-Bourbon. Les partisans du gouvernement parlementaire se groupèrent autour de Thiers qui réclamait avec insistance les libertés nécessaires, et le régime autoritaire de 1852 tomba rapidement dans un discrédit dont Napoléon III et son entourage ne devaient s'apercevoir que trop tard.

Au dehors l'horizon s'assombrissait aussi singulièrement. L'insurrection de Pologne (janv. 1863) avait fourni à Napoléon III une nouvelle occasion de servir, mais seulement en paroles et de façon à se compromettre inutilement, le principe des nationalités. L'Angleterre et l'Autriche l'avaient secondé dans ses démarches en faveur des Polonais tout juste assez pour mettre fin à la bonne intelligence qui depuis plusieurs années régnait entre lui et l'empereur de Russie, et l'avaient ensuite abandonné. Sa déclaration emphatique que les traités de .1815 avaient cessé d'exister et sa proposition de réunir un congrès pour refaire la carte de l'Europe (5 nov.1863) n'avaient abouti qu'à un pitoyable avortement. Depuis, il avait laissé les cours de Vienne et de Berlin démembrer le Danemark et refusé à son tour d'aider l'Angleterre à maintenir l'intégrité de ce royaume, parce que le cabinet de Londres ne voulait pas se prêter à ses vues d'agrandissement du côté du Rhin (1863-64). Il s'était aliéné successivement la Grande-Bretagne, l'Autriche, la Prusse et la Russie. Craignant de voir ces trois dernières puissances, un moment rapprochées, reconstituer contre lui la Sainte-Alliance, il ne vit plus pour lui, vers le milieu de 1864, qu'une alliance possible, celle de l'Italie. C'est alors que, par une nouvelle volte-face, il renoua avec Victor-Emmanuel les négociations interrompues en 1862 et conclut la convention du 15 sept. 1864, en vertu de laquelle les troupes françaises devaient évacuer Rome dans un délai de deux ans.

Mais alors tout le parti ultramontain jeta les hauts cris. Pie IX lança, principalement pour faire pièce à l'empereur, l'encyclique Quanta cura et le Syllabus, c.-à-d. le défi le plus audacieux et le plus radical que l'Église eût, depuis le moyen âge, jeté à la société civile (8 déc. 1864). L'épiscopat français, en immense majorité, se prononça pour le pape, et Napoléon III fut impuissant à réprimer ses excès (1864-65). Au milieu de tant d'embarras, l'entreprenant souverain trouvait encore du temps pour aller visiter l'Algérie, à peine remise d'une récente insurrection (avr.-juin 1865) et dont l'administration si défectueuse ne fut guère améliorée par le sénatus-consulte qu'il fit voter peu après en faveur des Arabes. Fidèle à ses prétentions littéraires, il publiait en 1865 et 1866 deux volumes d'une Histoire de César dont les éléments lui avaient été fournis par de nombreux collaborateurs et sur laquelle il comptait peut-être pour se faire admettre à l'Académie française, jusque-là si réfractaire à son influence. Mais les événements politiques allaient bientôt, en s'aggravant, lui faire reléguer au second plan ses études historiques et ses ambitions d'auteur.

Dès 1865, la guerre prenait au Mexique une tournure fâcheuse pour la politique française. Juarez et ses partisans regagnaient du terrain, secondés par les États-Unis, qui, une fois la guerre de Sécession terminée, se retrouvèrent assez forts, non seulement pour lui fournir des volontaires et de l'argent, mais pour sommer Napoléon III de rappeler ses troupes d'un pays où ils n'entendaient pas qu'une puissance européenne fit la loi (déc. 1865). L'empereur céda et, tout en continuant d'affirmer bien haut le succès de la plus grande pensée du règne, commença dès les premiers mois de 1866 à prendre des mesures pour le rapatriement de ses soldats. Par malheur, ce rapatriement n'était pas encore effectué quand Napoléon III se trouva aux prises avec de nouvelles difficultés auxquelles il ne put faire face, faute d'avoir sous la main les ressources nécessaires suffisantes. Par une inconcevable aberration, ce souverain, pour qui la révolution d'Italie n'avait été qu'une leçon inutile, venait de préparer de ses mains la révolution d'Allemagne en facilitant l'alliance de l'Italie et de la Prusse contre l'Autriche (9 mars 1866). M. de Bismarck était venu le trouver à Biarritz en oct. 1865 et l’avait séduit en lui faisant vaguement espérer pour prix de sa complaisance, soit les provinces du Rhin, soit la Belgique. Au fond, l'empereur des Français, qui oscillait sans cesse et ne jouait jamais franc jeu envers personne, espérait faire 1a loi à la cour de Berlin, car il négociait aussi secrètement avec celle de Vienne, et, tout en encourageant la première dans ses prétentions (discours d'Auxerre, 7 mai; lettre à Drouyn de Lhuys, 11 juin), il concluait avec la seconde une convention par laquelle il s'engageait à faire en sorte que ses sacrifices fussent réduits à la Vénétie. Sa conviction était que la guerre durerait assez pour lui permettre d'intervenir utilement avec des forces .imposantes et dicter la paix comme arbitre souverain aux conditions les plus avantageuses pour la France.

Le coup de foudre de Sadowa dissipa en un jour ces illusions (3 juil.1866). A ce moment, il eût fallu qu'il fût prêt à occuper les provinces du Rhin. Il ne l'était pas. Ajoutons que la maladie de vessie dont il souffrait depuis quelques années et qui devait plus tard l'emporter prit juste à ce moment un caractère menaçant et le réduisit personnellement pendant plusieurs semaines à une impuissance absolue. Cette impuissance, ainsi que le désarroi et l'effarement de son entourage, expliquèrent le décousu et la mollesse de la politique française pendant cette crise décisive, qui permit non seulement à l'Italie d'acquérir Venise, mais à la Prusse de s'approprier 4 millions de sujets et d'effectuer aux trois quarts, à son profit, l'unification de l'Allemagne, d'où l'Autriche se trouva exclue. Quand Napoléon III, un peu mieux portant, voulut réclamer les compensations territoriales qu'on lui avait fait naguère entrevoir (août-sept.), la Prusse, qui n'avait plus besoin de le ménager, éluda, puis repoussa toutes demandes, qu'elle exploita, du reste, de son mieux, soit à ce moment, soit plus tard, pour surexciter contre lui le patriotisme irritable des Allemands ou les susceptibilités ombrageuses de l'Angleterre. Il n'eut ni les provinces rhénanes, ni la Belgique, et il se trouva avoir contribué gratuitement à l'éclosion de l'unité allemande, beaucoup plus dangereuse pour la France que l'unité italienne. Il n'eut même pas le médiocre avantage d'acquérir le grand-duché de Luxembourg, que son souverain consentait à lui céder, mais que la Prusse lui interdit d'annexer sous menace de guerre et dont il dut se contenter d'obtenir la neutralisation (mars-mai 1867). A peu près dans le même temps, l'expédition du Mexique se terminait, non seulement par le rapatriement forcé de nos soldats, mais par l'exécution de notre protégé Maximilien, que Juarez, vainqueur, faisait fusiller à Queretaro (19 juin). Les splendeurs de l'Exposition universelle, que tant de souverains vinrent visiter, ne furent pas troublées seulement par cette catastrophe. Elles le furent aussi par l'attentat du Polonais Bereszowski contre le tsar Alexandre II, qui ne rapporta de Paris à Saint-Pétersbourg que des dispositions peu favorables à un rapprochement avec la France et qui le prouva bien en 1870.

L'Empire était manifestement en décadence. Il n'avait plus ni force ni prestige. Pouvait-il être régénéré par le rétablissement de la liberté? On n'ose l'affirmer. En tout cas; Napoléon III accéléra sa ruine parce qu'il ne sut même pas employer ce remède. Retenu par ses habitudes césariennes et par l'égoïsme aveugle de son entourage, il acheva bientôt de se discréditer par les incohérences et les contradictions de sa politique intérieure. Un tiers parti parlementaire s'était formé au Corps législatif sous la direction d'Emile Ollivier et avait formulé son programme pendant la session de 1866 par l'amendement des quarante-cinq, auquel le gouvernement n'avait tout d'abord répondu qu'en provoquant le sénatus-consulte du 14 juil., qui réservait au Sénat seul toute discussion sur la constitution. Au commencement de 1867, on voit tout à coup Napoléon III changer d'attitude. Par son décret et sa lettre du 19 janv., il supprime le droit d'adresse, mais rétablit dans les Chambres le droit d'interpellation (en le soumettant, il est vrai, à des conditions très rigoureuses), fait un pas vers le régime de la responsabilité ministérielle en autorisant les ministres à prendre part aux débats parlementaires et annonce deux projets de loi destinés à faire renaître, dans une certaine mesure, la liberté de la presse et la liberté de réunion.

Bientôt, il est vrai, l'empereur semble regretter d'avoir pris ces engagements. Comme s'il trouvait le corps législatif trop puissant, il fait voter le sénatus-consulte du 12 mars 1867, qui partage le droit de faire les lois entre le Sénat et la Chambre élue. Puis il parait vouloir retarder indéfiniment la nouvelle législation sur la presse et les réunions. Émile Ollivier, qui s'était cru sur le point d'être appelé aux affaires, prend de l'humeur, attaque aigrement Rouher, le vice-empereur, et ne réussit qu'à lui faire donner publiquement par le souverain de nouvelles marques de faveur (juil. 1867). Les mameluks (c'est ainsi qu'on désignait alors les partisans obstinés de la constitution de 1852 et de l'empire autoritaire) dominent encore quelque temps aux Tuileries. Cependant, après une année d'hésitations et d'atermoiements, le parti de la liberté regagne à son tour un peu de terrain. Les lois annoncées sont enfin votées (mai-juin 1868), mais trop tard et avec trop de restrictions pour que l'opposition en sache le moindre gré au gouvernement. Le parti républicain, qui a fait des progrès immenses depuis quelques années, n'use des armes qu'il vient de recouvrer que pour combattre l'Empire, qu'il voit aux abois, avec un acharnement et une violence dont l'exemple, donné par la Lanterne, de Rochefort, sera bientôt suivi par une foule d'autres publications périodiques. La politique, les institutions, les hommes de l'Empire sont publiquement vilipendés, bafoués, sans que les tribunaux y puissent mettre ordre. La personne de l'empereur, celle de l'impératrice, celles de leurs proches ne sont pas plus respectées que celles des ministres. La classe bourgeoise se déclare en immense majorité contre le régime impérial. La classe ouvrière, travaillée par l'Internationale et gagnée par le socialisme révolutionnaire, montre à son égard des dispositions plus menaçantes encore. Ténot retrace dans deux livres vengeurs l'histoire de la terreur de décembre. La mémoire de Baudin est célébrée publiquement à Paris (2 nov. 1868) et le procès qui résulte de cette manifestation a pour principal effet de révéler au parti républicain quel tribun puissant il possède en la personne de Gambetta.

Dès lors, l'Empire fera de vains efforts pour arrêter le courant qui doit l'emporter jusqu'à la révolution. Napoléon III, de plus en plus malade et dont l'âme est aussi affaiblie que le corps, fonde des journaux que le public dédaigne, écrit des brochures qu'on ne lit pas (Titres de la dynastie napoléonienne, fin de 1868; Progrès de la France sous le gouvernement impérial, avr. 1869, etc. ). Les élections générales de mai 1869 lui permettent bientôt de mesurer le terrain qu'il a perdu. L'opposition compte 90 membres dans le nouveau Corps législatif. Elle a obtenu dans l'ensemble du pays 3.500.000 suffrages contre 4.500.000 donnés aux amis de l'Empire, dont beaucoup n'osent plus maintenant s'intituler candidats officiels. Le tiers parti forme un groupe de 116 députés, qui, dès l'ouverture de la session, demande hautement la transformation de l'Empire par la liberté (juin 1869). L'empereur doit leur donner une satisfaction partielle par le sénatus-consulte du 8 sept, et, après de nouvelles tergiversations, appeler enfin au ministère Émile Ollivier et leurs autres chefs (2 janv. 1870). Mais le nouveau cabinet a les débuts les plus pénibles et les moins heureux. Le meurtre de Victor Noir par le prince Pierre Bonaparte (10 janv.) et l'acquittement de ce dernier par la Haute Cour (mars) exaspèrent le parti républicain. Après l'arrestation de Rochefort (7 févr.), l'émeute commence à gronder dans Paris. L'empereur n'imagine alors rien de mieux que de faire élaborer par le Sénat une constitution bâtarde où le parlementarisme s'amalgame étrangement avec le césarisme (20 avr.), puis de la soumettre à un plébiscite dont l'administration assure le succès par des bruits opportuns de complots et par l'alternative où elle met le public d'approuver les dernières réformes ou de se jeter dans l'inconnu des révolutions, de l'anarchie ou de la guerre. Ce nouvel appel au peuple réussit en apparence à souhait; la constitution remaniée est adoptée par 7.358.000 voix contre 1.571.000 (8 mai). L'Empire paraît consolidé; en réalité, il est à la veille de crouler.

La santé de Napoléon III était chancelante. Il pouvait mourir d'un moment à l'autre. Dans ce cas, son entourage ne se dissimulait pas que le succès récent du plébiscite ne suffirait pas pour assurer la couronne à son fils, qui n'était qu'un enfant de quatorze ans. Il fallait, pour retremper la dynastie, la guerre, la guerre contre l'ennemi que tout le monde en France désignait depuis 1866, la guerre contre la Prusse qui, tant de fois, dans les dernières années, avait joué et bafoué l'empire napoléonien. C'était ce que demandait particulièrement l'impératrice, dont l'empereur, malgré bien des fantaisies extra-conjugales (révélées en partie par certains Mémoires et par les Papiers et correspondances trouvés aux Tuileries après le 4 sept.), subissait de plus en plus l'influence à mesure qu'il vieillissait. Mais la France était-elle en état de faire la guerre, étant donnée surtout la formidable organisation militaire de la puissance qu'elle avait à combattre, organisation qui n'était pas ignorée aux Tuileries (les rapports Stoffel et Ducrot en font foi)? A cet égard, le gouvernement impérial ne devait, semble-t-il, se faire aucune illusion. Notre armement était suranné et hors d'usage. Nos places fortes n'étaient pas en état de défense. Grâce à la guerre du Mexique, grâce à des détournements ou à des virements de fonds inavouables, l'armée était tombée à un effectif ridicule. Notre système de mobilisation et de concentration était un chaos. Par suite de considérations d'ordre politique, la garde nationale mobile, instituée par la nouvelle loi militaire de 1868, n'existait encore que sur le papier.

Napoléon III avait-il au moins des alliances? Il eût certainement pu s'en procurer de puissantes depuis longtemps. L'Autriche, très désireuse de prendre sa revanche de Sadowa, lui offrait la sienne depuis la fin de1867. Mais cette puissance ne voulait pas être exposée, pendant qu'elle aurait la Prusse à combattre, à être prise à dos par les Italiens, qui auraient bien pu se jeter sur le Tirol et sur Trieste. Elle voulait donc, si elle s'unissait à la France, que l'Italie fût aussi de la partie. Mais ce dernier État faisait de l'acquisition de Rome, qu'il revendiquait depuis si longtemps comme capitale, la condition sine qua non de son entrée dans la coalition. Toute la question était donc de savoir si Napoléon III laisserait dépouiller le pape du dernier débris de son domaine temporel. Or, si ce souverain avait rappelé ses troupes de Rome en 1866, conformément à la convention (du 15 sept., il n'avait pas tardé à les y renvoyer, sur les injonctions du parti ultramontain soutenu par l'impératrice. Au moment ou Garibaldi était sur le point d'y entrer avec ses bandes, les soldats français y avaient reparu. Les fusils Chassepot avaient fait merveille à Mentana (3 nov. 1867) et, peu après (5 déc.), le ministre d'État Rouher avait déclaré solennellement à la tribune du Corps législatif que jamais le gouvernement impérial ne laisserait l'Italie s'emparer de Rome. Depuis ce temps, nos régiments continuaient à garder le pape, comme après 1849. Le souverain pontife ne se montrait, du reste, ni plus reconnaissant qu’autrefois, ni plus disposé à écouter ses conseils. Il avait, en juin 1868, convoqué pour la fin de l'année suivante, au Vatican, un Concile oecuménique, sans y convier, comme il était d'usage, les ambassadeurs des grandes puissances catholiques (parmi lesquels celui de la France eût dû tenir la première place). Il s'y proposait manifestement d'y faire ériger en dogme la doctrine du Syllabus et l'infaillibilité pontificale. Après l'ouverture de cette assemblée (8 déc. 1869), les représentations que le gouvernement français crut devoir adresser sur ce sujet au souverain pontife ne furent pas écoutées. Et Napoléon III, bien que très froissé, très irrité, non seulement n'osa pas retirer au pape l'appui de ses troupes, ce qui eût amené la dissolution du concile, mais ne rappela même pas de Rome son ambassadeur, comme certains de ses ministres l'eussent voulu, si bien que l'infaillibilité fut triomphalement proclamée par Pie IX le 18 juillet 1870. A plus forte raison n'osait-il pas, dans le même temps, céder aux voeux de l'Italie sur la question romaine, qui fut constamment, de 1868 à 1870, la pierre d'achoppement des négociations ouvertes par les cabinets de Paris, de Vienne et de Florence en vue d'une triple alliance contre la Prusse.

Ainsi, quand l'Empire provoqua la grande guerre où il devait si vite sombrer, il n'avait pas de forces militaires suffisantes pour la soutenir et il n'avait non plus aucun allié. On ne peut s'expliquer cette aberration que par l’état d'hébétude morale où était tombé l'empereur, qui n'avait plus alors la force de vouloir et de résister à son entourage, et par l'affolement de l'impératrice qui, le croyant très près de mourir (une consultation médicale lui signalait encore au commencement de juil. 1870 la gravité de son état), ne voulait plus attendre et croyait n'avoir rien à perdre en jouant le tout pour le tout. Napoléon III laissa donc passivement les furieux qui, autour de lui, demandaient la guerre à tout prix, la rendre inévitable par les provocations dont ils puisèrent le prétexte dans la candidature d'un prince de Hohenzollern au trône d'Espagne. Il ne fallut pas beaucoup d'art à M. de Bismarck, qui la désirait aussi passionnément, pour mettre le gouvernement français dans son tort en l'amenant à la déclarer (15juil.).

Peu de jours après (28 juil.), l'empereur, aussi affaissé de corps que d'esprit, partit avec son jeune fils pour aller se mettre à la tête de l'armée, que, bien portant, il n'eût pas su commander et dont, malade comme il était, il ne pouvait que gêner les mouvements. Il la trouva dans le désarroi et le désordre le plus affligeants. A ce moment, du reste, malgré les instances du prince Napoléon, il persistait à ne pas permettre aux Italiens d'occuper Rome et se bornait à rappeler les soldats qu'il avait encore dans l'État pontifical. L'alliance avec l'Autriche et l'Italie n'était donc pas faite avant le désastre de Reichshoffen (6 août). Elle devint impossible après. «On ne s'allie pas avec les vaincus,» lui disait un de ses ministres. A la suite de ce premier malheur et quand Bazaine ont été rejeté dans Metz, Napoléon III eût voulu se replier sur Paris avec ce qui lui restait de forces, pour couvrir au moins la capitale. Mais il avait dû renoncer à tout commandement. L impératrice, laissée dans cette ville comme régente, et le ministère Palikao (qui venait de succéder le 10 août au ministère Ollivier) lui représentèrent que, s'il continuait à battre en retraite, la révolution était inévitable et exigèrent qu'il se reportât en avant avec Mac-Mahon. C'est donc pour des motifs politiques, beaucoup plus que stratégiques (comme Napoléon III l'avoua depuis dans sa lettre de 26 oct. à sir John Burgoyne), que fut entreprise la folle manoeuvre qui aboutit au désastre de Sedan (1er sept.). Après cette dernière bataille, l'empereur, absolument dénué de l'énergie physique et morale qu'il avait autrefois montrée à Strasbourg et à Boulogne, ne voulut pas écouter le général de Wimpfen qui proposait de tenter une trouée à travers les vainqueurs. Le neveu de Napoléon 1er se rendit misérablement au roi de Prusse avec 80.000 soldats et, en présence de ce souverain, eut encore la faiblesse (pour ne rien dire de plus) de rejeter sur la nation française la responsabilité de la guerre qu'il avait déclarée.

Pendant que l'impératrice, chassée de Paris par la révolution du 4 sept., se rendait en Angleterre, où le prince impérial alla bientôt la rejoindre, Napoléon III était conduit comme prisonnier à Wilhelmshoehe, près de Cassel. Il y resta jusqu'à la fin de la guerre. On ne sait pas au juste quelle part il put prendre aux négociations qui eurent lieu pendant quelque temps entre l'ex-régente, M. de Bismarck et le maréchal Bazaine. Ces négociations, du reste, avortèrent, et quand la France fut lasse de la guerre, c'est avec la République, gouvernée par Thiers, que traitèrent les Allemands. Napoléon III était déjà déchu de fait. Mais, à l'occasion du débat auquel donnèrent lieu les préliminaires de la paix (1er mars 1871), sa déchéance et celle de sa famille furent expressément et solennellement proclamées par l'Assemblée nationale réunie à Bordeaux et qui le déclara «responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France».

Il protesta contre cette déclaration (6 mars) et, rendu à la liberté, se retira bientôt près de sa femme et de son fils à Chiselhurst, où il s'efforça, pendant le peu de temps qu'il vécut encore, de rallier ce qui lui restait d'amis fidèles en vue d'une nouvelle propagande bonapartiste à organiser en France. Le parti de l'empire ne fut pas tout a fait étranger au mouvement communaliste et à l'horrible guerre civile qui en résulta en 1871. Après le rétablissement de l'ordre, c'est par des journaux et des brochures que Napoléon III chercha à relever sa cause. Il avait encore à son service des publicistes violents et hardis (les Cassagnac, Jules Amigues, Hugelmann, etc.). Lui-même prenait encore parfois la plume et, dans des écrits qui, pour ne pas porter son nom, n'en étaient pas moins reconnus pour émaner de lui, essayait de démontrer, soit qu'il n'était pas responsable du désastre de Sedan, soit que, s'il avait commencé la guerre sans être prêt à la faire, c'était la faute de ses ministres qui l'avaient trompé (V. notamment Campagne de 1870; causes qui ont amené la capitulation de Sedan. — Forces militaires de la France, 1872, etc.). Mais il ne put longtemps poursuivre personnellement cette campagne. Vers la fin de 1872, son état de santé s'aggrava sensiblement et, le 9 janv. suivant, à la suite d'une opération chirurgicale qu'avait nécessitée sa maladie de vessie, il mourut, laissant la direction de son parti, dont son fils, âgé de moins de dix-sept ans, n'allait être que le chef nominal, à l'ex-impératrice et à l'ancien ministre Rouher.

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