Les pays en développement: les oubliés du marché mondial

Bureau international du travail
Communiqué du Bureau international du travail (Organisation mondiale du travail) rendu public le 6 novembre 2001
GENÈVE (Nouvelles du BIT)

De nombreux pays en développement restent des marginaux de l'économie mondiale car ils ne retirent aucun avantage significatif de la mondialisation des échanges commerciaux. Voilà ce qu'indique en substance un document (1) préparé à l'occasion de la 282e session du Conseil d'administration du Bureau international du Travail (BIT) qui se réunit cette semaine à Genève.
Ce document sera examiné la semaine prochaine par le «Groupe de travail sur la dimension sociale de la mondialisation», organe issu et nommé par le Conseil d'administration. Ce rapport concentre son attention sur les effets pour l'emploi de la libéralisation du commerce. Selon cette étude, le niveau et la qualité de l'emploi sont fortement affectés par le lien étroit qui existe entre la performance commerciale et le taux de croissance de l'économie. Par ce biais, la libéralisation du commerce, explique ce document, exerce une influence majeure sur la création d'emplois, tant dans la nature même de ces emplois que dans leur quantité, et ce, par l'influence induite qu'elle a sur la croissance et les structures de production.

Pour maximiser l'impact de la libéralisation du commerce sur l'emploi, la protection sociale, le dialogue social et sur le marché même de l'emploi d'un pays donné, il faut une structure d'accueil adéquate, estime le rapport, en d'autres termes des institutions et des politiques socio-économiques nationales adaptées.

Selon les hypothèses des théories classiques de l'économie, la libéralisation du commerce ne peut qu'être bénéfique aux pays en développement, car elle augmente l'efficacité, la croissance et favorise la création d'emplois, offrant même des salaires plus intéressants pour ses travailleurs qualifiés, sa ressource la plus abondante.

Toutefois, indique le rapport, les hypothèses qui sous-tendent cette théorie «se retrouvent rarement dans le monde réel». Et de poursuivre: «contrairement aux prévisions angéliques d'ajustement en douceur et sans frais, si chères à la théorie classique, la libéralisation du commerce, dans de nombreuses circonstances, s'avère imposer des coûts d'ajustement élevés, sous la forme de baisse de la production, de chômage élevé et de larges déficits commerciaux», poursuit le rapport.

Une série d'études menées par le BIT en Chine, en Inde, en Malaisie, au Mexique et au Brésil donnent des résultats contrastés. Pour les trois pays asiatiques, «la croissance du commerce a eu un effet favorable sur l'emploi et les salaires» dans les industries de manufacture. Par contre, ces effets n'étaient pas évidents dans les pays d'Amérique latine.

Ce document fait également référence à une recherche du BIT selon laquelle «le commerce international engendre une plus grande volatilité du marché de l'emploi, touchant en premier lieu la main-d'œuvre peu qualifiée». Des études de cas au Bangladesh, au Chili, en Corée du Sud, à l'île Maurice, en Pologne, en Afrique du Sud et en Suisse ne montrent pas de résultats uniformes sur l'impact de la libéralisation du commerce sur les inégalités de salaire.

La marginalisation de nombreux pays en développement se reflète dans le simple fait que les exportations des biens manufacturés sont concentrées dans seulement 13 pays et deux sous-continents: l'Argentine, le Brésil, la Chine, Hong-kong (Chine), l'Inde, l'Indonésie, la République de Corée, la Malaisie, le Mexique, les Philippines, Taiwan (Chine) et la Thaïlande. Ces pays ont vu leurs parts, dans les exportations mondiales de biens manufacturés, passer de 9% dans les années 80 à 22% vers la moitié des années 90.

Dix autres pays en développement - le Bangladesh, l'Egypte, Malte, l'île Maurice, le Maroc, le Pakistan, l'Afrique du Sud, le Sri Lanka, la Tunisie et la Turquie - ont également connu une augmentation de leurs exportations de biens manufacturés, mais dans une moindre mesure que les pays cités plus haut.

Par contre - et à l'exception des pays exportateurs de pétrole du Proche-Orient - tous les autres pays en développement «ont vu leurs parts dans le commerce mondial tomber de 4% en 1980-1982 à 3% en 1996-1998».

Au même moment, la part des matières premières de base dans le commerce mondial s'est fortement réduite, passant de 43% en 1980 à moins de 20% en l'an 2000. Or, ces matières premières de base constituent l'essentiel des exportations des pays en développement. Cette diminution de la consommation est la résultante de progrès technologiques et du développement constant de substituts de synthèse aux matières premières.

Avec une telle conjonction de facteurs, de nombreux pays en développement et particulièrement les moins développés d'entre eux se sont avérés «incapables de profiter du commerce mondial, faute d'avoir pu s'adapter à la demande grandissante pour les produits manufacturés, en restant fidèles à une structure d'exportation axée sur les matières premières». De plus, «nombreux sont les pays qui ne se sont pas dotés d'infrastructures et de ressources humaines qualifiées, indispensables au développement d'une véritable industrie de transformation».

Ce document souligne l'importance de prendre en considération la situation critique de ces pays et de corriger le cap pris par l'économie mondiale actuelle. Autrement, nous allons tout droit vers un élargissement des inégalités entre les pays avancés et les pays en développement. Si nous ne parvenons pas à comprendre cet enjeu, nous risquerions alors de compromettre le soutien politique et institutionnel dont le libre-échange a besoin pour se développer. Le BIT rejette fermement l'idée du protectionnisme comme solution aux problèmes de la pauvreté et du sous-développement, mais au contraire estime «qu'un système commercial ouvert, multilatéral est clairement préférable pour l'économie mondiale».

«Les effets bénéfiques du commerce sont tout aussi indéniables que ne le sont les coûts du protectionnisme. Dès lors, la question n'est pas tant de savoir si les pays doivent essayer de profiter d'une libéralisation plus grande du commerce, mais comment ils peuvent y parvenir», indique ce document. «Les progrès enregistrés dans la libéralisation de l'agriculture seront particulièrement importants. De même, il importe d'aller plus loin dans la levée des barrières tarifaires pour les produits manufacturés à haute intensité de travail», ajoute-t-il.

Pour libérer le commerce, le BIT insiste sur le fait «qu'un remède universel n'existe pas et qu'il ne faut pas s'attendre à un big-bang». Se basant sur un large éventail de littérature économique, le document conclut que «l'impact de la libéralisation du commerce n'est pas uniforme, mais au contraire, il est fortement influencé par des facteurs comme la nature de cette libéralisation, l'existence préalable ou non de distorsions dans le régime d'échanges et, en dernier lieu, de la flexibilité des marchés».

La libéralisation du commerce dans les pays en développement a engendré des résultats variables:

«Au Zimbawe, les mesures drastiques de libéralisation du commerce mises en œuvre au début des années 90 ont engendré une baisse de la production et une diminution de l'emploi, accompagnées d'une croissance aiguë des importations et du déficit commercial. Les salaires en termes réels ont également chuté suite à cette libéralisation».

L'île Maurice, au contraire, a engendré des résultats plus favorables: la réduction de l'aide aux firmes locales mise en œuvre au cours des années 1985-1987 a conduit à l'augmentation escomptée de l'emploi dans les industries d'exportation, mais n'a pas engendré de contraction de l'emploi dans les industries qui devaient faire face à la concurrence extérieure.

Les pays de l'Asie de l'Est ont une industrie tournée vers l'exportation. Cette expérience est décrite comme étant «l'incarnation des vertus de la libéralisation du commerce... Pourtant ces pays n'ont pas connu de big-bang, mais au contraire ont évolué vers un régime d'échanges plus neutre par le biais de stratégies sélectives de promotion des exportations», poursuit ce document.

Une étude menée au Mexique a montré que, entre 1984 et 1990, «une réduction de 10% des barrières douanières a entraîné une diminution de l'emploi de 3%», et que l'écart de rémunérations entre les travailleurs qualifiés et non qualifiés s'est agrandi.

La libéralisation du commerce au Brésil au début des années 90 «a eu un léger effet négatif de courte durée sur l'emploi". Entre 1990 et 1997, au Brésil toujours, l'emploi a chuté de 32% dans les industries fortement capitalisées et de 13% dans les industries à haute intensité de main-d'œuvre». «Il ne faudrait cependant pas attribuer ce déclin de l'emploi à la seule libéralisation du commerce. Dans ce cas, d'autres facteurs macro-économiques sont entrés en jeu: une inflation élevée et une économie en récession».

Le BIT insiste sur le fait que, lorsque l'on envisage la libéralisation des échanges et la mise en place de réformes économiques, «il ne faut ménager aucun effort pour minimiser les coûts sociaux, en étudiant au préalable leurs impacts probables, comme l'effet des changements de prix pour les pauvres et la disparition possible de débouchés importants pour des producteurs pauvres. De même, il faut étudier comment le marché de l'emploi va évoluer au niveau de la demande».

Afin d'augmenter les bénéfices de la libéralisation du commerce pour les pauvres, il faudrait prévoir, de manière spécifique, des clauses pour le crédit et des aides pour les petits exploitants agricoles, en leur offrant une assistance commerciale pour qu'ils puissent exploiter à fond les nouvelles possibilités d'exportation. Il serait également important de traiter les petites entreprises avec le même respect que les grandes, en leur confiant plus de sous-traitance, en les informant mieux et en leur fournissant une assistance commerciale. Au moment de la conception d'une politique donnée, il importe que tous ces facteurs, indique le BIT, soient traités avec la plus grande attention.

Cependant, même si des progrès ont été enregistrés dans ce domaine, les pays en développement font toujours face à de sérieux problèmes d'approvisionnement, ce qui handicape leurs exportations. Une main-d'œuvre peu qualifiée et peu éduquée «constitue le premier obstacle au développement industriel», met en garde ce rapport. Les politiques en faveur de l'éducation et de la formation constituent une évidente priorité, mais tout aussi important, selon ce document, «est l'existence d'un marché de l'emploi souple qui s'adapte aux évolutions des structures de production». Cela peut se traduire par des cours de recyclage pour les travailleurs mis à pied ou par de l'assistance dans la recherche d'un nouvel emploi.
«Pour que la libéralisation des échanges et d'autres réformes économiques obtiennent un large soutien populaire, il est essentiel de veiller d'abord au renforcement de la sécurité sociale», indique le rapport.

Note
(1) Libéralisation du commerce et emploi, Groupe de travail sur la dimension sociale de la mondialisation, GB.282/WP/SDG/2, Genève, novembre 2001

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