Une recension historique d'un petit grand livre

Marcel Brisebois

En 1960, un petit livre paraissait qui devait devenir un grand livre sous la signature insolite… d’un inconnu : FRÈRE UNTEL.

La parution d’un livre amène lecteurs, journalistes et libraires à réagir, pour divers motifs, en publiant leurs recensions ou leurs réactions personnelles après leur lecture. Si, plus de cinquante ans après sa parution, on établissait le décompte des nombreuses recensions que le premier ouvrage de Jean-Paul Desbiens, Les insolences du Frère Untel, a connues depuis son lancement du 6 septembre 1960 jusqu’à nos jours, leur nombre et leur variété susciteraient l'étonnement! Si on les classait ensuite selon trois catégories : virulentes à l’excès, louangeuses à l’excès, bien équilibrées, on serait bien surpris devant ce classement. Il resterait à nous poser une question : comment est-il possible qu’un même livre soit jugé par ses lecteurs selon une gamme d’appréciations aussi disparates? Car nous sommes ici, en effet, devant trois clans bien campés : les sympa, les contra et les juxta modum!

Cinquante ans après sa publication, nous venons de prendre connaissance récemment d’une recension des Insolences, une recension d’un équilibre remarquable. Nous vous présentons ce document où vous trouverez une première réponse à la question qu’on vient de soulever. J’estime que ce texte pondéré est un choix excellent et pertinent comme présentation équilibré de ce petit livre.

Je remercie cet ami de Jean-Paul Desbiens de m’avoir communiqué le texte nuancé que je vous invite à parcourir. Il s’agit d’un éditorial de l’émission télévisée TERRE NOUVELLE, de Radio-Canada, émission diffusée le dimanche 4 décembre 1960, donc trois mois après la publication des Insolences.

Le texte qui suit a été lu à la télévision par l’auteur lui-même, Marcel Brisebois, prêtre du diocèse de Valleyfield, journaliste.

« Le Père Régis affirmait récemment à la télévision que les "Insolences du Frère Untel" sont un diagnostic de la mentalité canadienne-française. C’est avec un enthousiasme souvent quasi délirant que beaucoup ont accueilli ce volume. D’autres, au contraire, se sont durcis de crainte, de mépris ou de colère. N’est-il pas étonnant qu’un livre au fond si simple, si détaché et honnête, suscite des réactions aussi vives? L’accueil réservé à ce volume n’est-il pas lui-même un diagnostic de notre communauté ? De ce besoin qu’ont certains de respirer un air plus frais, d’entendre un autre son de cloche, de voir transformer les cadres qui marquent notre vie. De la crainte aussi éprouvée par d’autres que des transformations trop hâtives et trop radicales ne respectent pas suffisamment nos caractéristiques propres. Mais plus profondément peut-être, diagnostic de notre gêne à aborder certains problèmes.

Le Frère Untel stigmatisait notre langue "désossée", notre enseignement philosophique "déraciné", notre religion "écrasante". Mais tout son livre m’apparaît bien plus encore comme un cri aux multiples dimensions. Certaines ont frappé davantage le grand public et ont été perçues. Ce sont probablement les plus accidentelles, celles qui n’atteignent que les manifestations, les phénomènes du drame spirituel du Frère Untel. Drame qui dépasse la souffrance de quelqu’un qui a "étiré les six plus belles années" de sa vie dans un sanatorium, drame qui dépasse aussi l’humiliation d’un homme qui ne peut servir l’Église à la mesure de sa vocation. On pourra demain prendre des mesures d’urgence et remédier à la pauvreté de notre langue. On pourra créer un ministère de l’Éducation qui assurera la réforme de l’enseignement tant sur le plan des structures que des exigences académiques. Mais tout restera à faire tant que chacun dans son secteur, à l’échelon où il œuvre, n’aura pas pris sa responsabilité pour y assurer la sainte liberté des enfants de Dieu.

À ce mot de liberté, il y en a sûrement qui ont sursauté, et qui murmurent en leur cœur, tels les pharisiens, les mots de "révolutionnaire", de "frondeur", et que sais-je encore? Aux uns comme aux autres, il faut rappeler que la première liberté qu’il nous faut assurer, c’est celle de la vérité. Nous traînons tous, à l’heure actuelle, notre part de mensonge, bien plus nous cultivons en nous le mensonge et l’hypocrisie. Mensonge des solutions toutes faites, des remèdes tout trouvés, de la réponse que nous possédons à tous les problèmes. Mensonge au fond de notre aveuglement, de notre volonté décidée de ne pas voir la réalité telle qu’elle est dans toute son ampleur et toute sa complexité. Mensonge de nos craintes stériles et des détours que l’on invente pour échapper à nos responsabilités que nous nous efforçons de faire partager. Voilà ce que le Frère Untel nous a jeté à la face. Devant ce problème, on a ri, on a accusé les autres, on s’est énervé. Autant de façons d’échapper à notre propre drame. N’aurait-il pas mieux valu, ainsi qu’on nous y invitait, vivre toutes les réalités humaines "au niveau conscient"?

On a dit que le Frère Untel n’apportait pas de réponse solide aux problèmes qu’il posait. On a dit qu’on ne pouvait pas élaborer une politique concrète à partir de son volume. Mais c’est de toute l’attitude du frère Pierre-Jérôme que se dégage une politique : la politique de la conscience des événements qui se passent autour de nous, la politique de la charité qui consiste à porter l’inquiétude de ceux qui souffrent de ne pas pouvoir être totalement eux-mêmes, mais aussi la politique de l’énergie, de la force et de l’audace pour pouvoir malgré tout se donner. »

C’est une recension que je juge d’un équilibre remarquable. Il nous expose sommairement les aspects qui font la valeur de cet ouvrage qui devait devenir, en quelques années, le premier best-seller d’un ouvrage québécois, en essai, position qui est demeurée la sienne jusqu’à ce jour.

Laurent Potvin
19 février 2011

« Le Père Régis affirmait récemment à la télévision que les « Insolences du Frère Untel » sont un diagnostic de la mentalité canadienne-française. C’est avec un enthousiasme souvent quasi délirant que beaucoup ont accueilli ce volume. D’autres, au contraire, se sont durcis de crainte, de mépris ou de colère. N’est-il pas étonnant qu’un livre au fond si simple, si détaché et honnête, suscite des réactions aussi vives? L’accueil réservé à ce volume n’est-il pas lui-même un diagnostic de notre communauté ? De ce besoin qu’ont certains de respirer un air plus frais, d’entendre un autre son de cloche, de voir transformer les cadres qui marquent notre vie. De la crainte aussi éprouvée par d’autres que des transformations trop hâtives et trop radicales ne respectent pas suffisamment nos caractéristiques propres. Mais plus profondément peut-être, diagnostic de notre gêne à aborder certains problèmes.

Le Frère Untel stigmatisait notre langue « désossée », notre enseignement philosophique « déraciné », notre religion « écrasante ». Mais tout son livre m’apparaît bien plus encore comme un cri aux multiples dimensions. Certaines ont frappé davantage le grand public et ont été perçues. Ce sont probablement les plus accidentelles, celles qui n’atteignent que les manifestations, les phénomènes du drame spirituel du Frère Untel. Drame qui dépasse la souffrance de quelqu’un qui a « étiré les six plus belles années » de sa vie dans un sanatorium, drame qui dépasse aussi l’humiliation d’un homme qui ne peut servir l’Église à la mesure de sa vocation. On pourra demain prendre des mesures d’urgence et remédier à la pauvreté de notre langue. On pourra créer un ministère de l’Éducation qui assurera la réforme de l’enseignement tant sur le plan des structures que des exigences académiques. Mais tout restera à faire tant que chacun dans son secteur, à l’échelon où il œuvre, n’aura pas pris sa responsabilité pour y assurer la sainte liberté des enfants de Dieu.

À ce mot de liberté, il y en a sûrement qui ont sursauté, et qui murmurent en leur cœur, tels les pharisiens, les mots de « révolutionnaire », de « frondeur », et que sais-je encore? Aux uns comme aux autres, il faut rappeler que la première liberté qu’il nous faut assurer, c’est celle de la vérité. Nous traînons tous, à l’heure actuelle, notre part de mensonge, bien plus nous cultivons en nous le mensonge et l’hypocrisie. Mensonge des solutions toutes faites, des remèdes tout trouvés, de la réponse que nous possédons à tous les problèmes. Mensonge au fond de notre aveuglement, de notre volonté décidée de ne pas voir la réalité telle qu’elle est dans toute son ampleur et toute sa complexité. Mensonge de nos craintes stériles et des détours que l’on invente pour échapper à nos responsabilités que nous nous efforçons de faire partager. Voilà ce que le Frère Untel nous a jeté à la face. Devant ce problème, on a ri, on a accusé les autres, on s’est énervé. Autant de façons d’échapper à notre propre drame. N’aurait-il pas mieux valu, ainsi qu’on nous y invitait, vivre toutes les réalités humaines « au niveau conscient?

On a dit que le Frère Untel n’apportait pas de réponse solide aux problèmes qu’il posait. On a dit qu’on ne pouvait pas élaborer une politique concrète à partir de son volume. Mais c’est de toute l’attitude du frère Pierre-Jérôme que se dégage une politique : la politique de la conscience des événements qui se passent autour de nous, la politique de la charité qui consiste à porter l’inquiétude de ceux qui souffrent de ne pas pouvoir être totalement eux-mêmes, mais aussi la politique de l’énergie, de la force et de l’audace pour pouvoir malgré tout se donner.»

C’est une recension que je juge d’un équilibre remarquable. Il nous expose sommairement les aspects qui font la valeur de cet ouvrage qui devait devenir, en quelques années, le premier best-seller d’un ouvrage québécois, en essai, position qui est demeurée la sienne jusqu’à ce jour.

Laurent Potvin
19 février 2011




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