Bossuet et ses combats

Paul Hazard
À côté du Bossuet dans sa majesté souveraine, Paul Hazard nous montre un autre Bossuet: humilié, douloureux.
On ne voit Bossuet que dans sa majesté souveraine, et tel qu'il apparaît sur la toile de Rigaud. Si c'est une banalité que de rappeler ce portrait somptueux, elle s'excuse parce qu'elle est pour ainsi dire nécessaire: son style, sa pompe, son éclat, ont pour toujours rempli nos yeux. Ou bien nous imaginons l'orateur en train de prononcer quelque discours funèbre: dès les premiers accords, nous nous sentons emportés dans les régions du sublime; le crescendo, tout chargé de sanglots et de plaintes, éveille dans notre âme des résonances si profondes qu'elles en deviennent douloureuse; et quand cette musique sacrée s'achève dans un hymne à l'au-delà, nous croyons avoir entendu quelque prophète de Dieu, qui n'a jamais vécu que dans le surhumain.

    Ce Bossuet-là n'est pas faux; mais il suppose un éclairage spécial; le temps a filtré ce qui n'était pas noblesse, majesté, triomphe. Il y a eu un autre Bossuet: humilié, douloureux.

    Non pas que nous voulions changer quoi que ce soit à la forte, à l'admirable simplicité de sa conviction profonde. Une fois pour toutes, il a parié sur l'éternel, sur l'universel: quod ubique, quod semper... «La vérité venue de Dieu a d'abord sa perfection»: dans cette maxime tient son inflexible croyance; il existe une vérité, que Dieu a révélée aux hommes, qui est inscrite dans l'Évangile, qui est garantie par les miracles, et qui, étant parfaite puisqu'elle est divine, est immuable. Si elle variait, c'est qu'elle ne serait pas la vérité. Le rôle de l'Église est d'être sa gardienne: «l'Église de Jésus-Christ, soigneuse gardienne des dogmes qui lui ont été donnés en dépôt, n'y change jamais rien; elle ne diminue point; elle n'ajoute rien; elle ne retranche point les choses nécessaires; elle n'ajoute point les superflues. Tout son travail est de polir les choses qui lui ont été anciennement données, de confirmer celles qui ont été suffisamment expliquées, de garder celles qui ont été confirmées et définies1...» À cette vérité unique et immuable, l'individu doit se conformer: car si chacun s'avisait d'avoir sa vérité particulière, on aboutirait au chaos, à l'illogisme, étant évident que sur un même sujet, il ne peut y avoir des millions de vérités, ou mille, ou cent, ou dix, ou deux vérités, mais une seule. Par là s'entend clairement la vraie origine de catholique et d'hérétique. L'hérétique est celui qui a une opinion: et c'est ce que le mot même signifie.

    Note

    1. Premier avertissement aux Protestants, 1689. Éditions Lachat, t. XV, p. 184. (Citation de Vincent de Lérins.)

Autres articles associés à ce dossier

Notes sur Bossuet

André Suarès


À lire également du même auteur




Articles récents