Réinventons le feu

Andrée Mathieu

Reinventing Fire est un programme énergétique que le physicien Amory Lovins a proposé au peuple américain il y a moins d’un an. Qui est Amory Lovins? C’est le co-fondateur du Rocky Mountain Institute, un centre de recherche privé où travaillent 88 des meilleurs spécialistes américains dans les secteurs de l’énergie et du génie industriel. Il est aussi co-auteur du livre Natural Capitalism, sorte de bible du développement durable qui a été réédité cinq fois en Chine. C’est également la personne à qui la plus puissante armée du monde a demandé de présenter une stratégie pour affranchir les États-Unis de leur dépendance aux combustibles fossiles, stratégie qui a été publiée sous le titre Winning the Oil Endgame. Reinventing Fire est le type de projet qu'on devrait présenter aux Québécois au lieu des mêmes vieilles recettes qui ont accouché des problèmes actuels. Car lorsqu’on est rendu à vouloir exploiter du pétrole ou du gaz non conventionnels, c’est que ça ne va pas très bien.

Reinventing Fire propose de remplacer la rareté causée par les systèmes d’une époque révolue par une abondance énergétique basée sur l’innovation. La stratégie de Lovins repose sur trois principaux filons : l’efficacité énergétique, le soleil et les technologies de l’information. Il a calculé que l’efficacité énergétique pourrait faire économiser aux Américains la moitié du pétrole et du gaz qu’ils consomment pour environ le cinquième du coût de ces combustibles, et réduire de près des trois quarts l’électricité utilisée pour environ le huitième de son prix. Le soleil est la source de toutes les formes d’énergie, renouvelables ou pas, sauf les marées qui sont produites par la lune et la géothermie qui provient de la radioactivité du noyau terrestre. Selon Lovins, en théorie on pourrait produire 20 fois plus d’électricité qu’il en est consommée dans le monde en recouvrant les toits des édifices des villes densément peuplées, qui occupent 1% de la surface terrestre, par les panneaux solaires les plus efficaces disponibles actuellement.

On répliquera, comme le président de l’Institut économique de Montréal, que «le jour où ces énergies (renouvelables) remplaceront le pétrole est loin. Très loin». C’est vrai si on continue à les utiliser dans le modèle de production et de distribution actuel. Mais si on se décide enfin à profiter des moyens que les technologies de l’information mettent à notre disposition, on pourra intégrer ces énergies renouvelables variables dans le réseau de distribution d’électricité en optimisant leur utilisation. Il y a trente ans, il était impensable pour les producteurs d’électricité d’agir sur la consommation dans les maisons, les édifices et les industries. Mais aujourd’hui avec l’équipement électronique existant il serait possible de tirer le meilleur parti de nos sources d’énergie «propres» et de diminuer les coûts tout en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre. Mais il n’y a pas que les sources d’énergies renouvelables traditionnelles qu’on peut intégrer dans le réseau. Nos automobiles nous transportent 4% du temps, autrement elles sont stationnées. Si notre flotte de véhicules était composée essentiellement d’automobiles hybrides branchables, comme mon collègue et ami Pierre Langlois se tue à l’expliquer, la «capacité de production d’énergie sur roues» pourrait se comparer à celle de nos centrales électriques. Chez nos voisins du sud, la Federal Energy Regulatory Commission a évalué ce potentiel à 188 milliards de watts pour les États-Unis! Amory Lovins pense que ce pourrait être encore plus. Un réseau intelligent utilisant le potentiel de production des autos, des édifices, des énergies renouvelables et des centrales existantes en contrôlant les échanges d’énergie et d’information, voilà une solution d’avenir! Comme dit Lovins, «nous n’avons plus besoin de grosses centrales pour faire tourner une grosse économie».

Une telle décentralisation nécessite cependant une volonté politique et la participation des citoyens. Elle ne nécessite pas de nouvelles technologies, mais un changement d’attitude et de façons de faire. Cette transition est en train d’émerger en Chine. Selon le Rocky Mountain Institute, «70% de la croissance économique chinoise entre 1980 et 2001 est due à l’efficacité énergétique», ce qui en a fait la première stratégie de développement du pays. La Chine est maintenant le leader mondial dans quatre technologies d’énergie renouvelable et elle ambitionne de les dominer toutes. Elle se propose d’électrifier 80% de toutes ses nouvelles automobiles et camions légers d’ici 2020. L’Amérique peut donc choisir d’en fabriquer ici ou de les acheter des Chinois dans quelques années… En conclusion, comme dit Amory Lovins, le monde ne manque pas de pétrole mais d’imagination, pas de gaz mais d’audace, pas de charbon mais de courage. Les «peureux» ne sont peut-être pas du côté que l’on croit… Proposez aux Québécois un programme comme Reinventing Fire, et ils ne seront plus des «empêcheurs de développement». Et même s'ils doivent faire quelques efforts pendant la transition, ces efforts auront un sens. Celui de léguer à nos descendants les moyens de poursuivre le développement de ce Québec que nous chérissons.

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