Les églises de Joliette

Alphonse-Charles Dugas
En 1842, le fondateur de l'Industrie, fait construire une première église pour la future paroisse de Saint-Charles Borromée (1843). Un demi-siècle plus tard, une seconde église, qui deviendra cathédrale suite à la création du diocèse de Joliette en 1904, était inaugurée.
Joliette pourrait adopter cette devise qui redirait en trois mots son histoire; c'est le motto d'Arcachon (Gironde) petite ville française: Heri solitudo; hodie vicus; cras civitas! Hier je n'étais qu'une solitude (1823); aujourd'hui je suis un village (1843), et demain, je serai ville (1864). Elle peut en dire autant de ses églises: Le moulin de 1841-1843; l'église paroissiale de 1843-1904 et la cathédrale 1904.

L'origine de l'Industrie, village de l'hon. B. Joliette, ressemble à celle des autres paroisses de la province de Québec. Trois choses y apparaissent successivement: le moulin, le manoir et l'église, car toutes les paroisses naissent ainsi. Il faut un moulin pour moudre le blé et préparer le bois, c'est-à-dire il faut donner à manger aux colons et leur préparer un logis. Le manoir, lui, abrite le seigneur, le protecteur né des colons, celui qui concède des terres et à qui incombe le devoir de défendre ses censitaires envers et contre tous.

L'église doit suivre de près, comme le couronnement de l’œuvre et pour satisfaire aux besoins spirituels des défricheurs. Dès l'année 1841, M. Joliette demande la permission de la bâtir et, en attendant, il sollicite la faveur d'avoir la messe au moulin qui s'élevait à droite du manoir seigneurial et qui fut brûlé en 1863.

Vite il se met à l’œuvre et avec la bonne volonté de ses concitoyens il tire la pierre des carrières qui bordent la rivière l'Assomption et, dès le mois de juin 1842, Mgr l'évêque de Montréal vint à l'Industrie y bénir la première pierre de l'église qui fut achevée en 1843. La Biographie de M. Joliette par M. Jos. Bonin, prêtre, dit que la bénédiction eut lieu le 13 juin 1842, et le Diocèse de Montréal à la fin du XIXe siècle, après lui affirme aussi la même date et ajoute de plus que Mgr Bourget fit le sermon de circonstance. Sa Grandeur dut parler, mais elle ne fit pas le sermon principal de la fête.

Ce fut M. Ls Boué, prêtre, arrivé de France le 31 mai 1842, avec les RR. PP. Jésuites, lequel venait précisément d'aider aux travaux de la retraite que les RR. PP. Oblats prêchaient à Sainte-Elisabeth et à la clôture de laquelle (19 juin) Monseigneur venait de présider.

Je crois que ni l'un ni l'autre des ouvrages cités n'est dans le vrai et ce sont les Mélanges religieux de l'époque qui vont nous donner des renseignements précis. Et à moins d'être ubiquiste, Mgr Bourget ne pouvait être à l'Industrie, le 13 juin 1842, car l'itinéraire de la visite pastorale pour cette année-là, indique ce qui suit: «Saint-Hyacinthe, 11-12-13 juin; Saint-Charles, 13-14-15-16; Sainte-Elisabeth, 17-18-1.9 juin 1842».

Voici comment un correspondant, témoin oculaire de la fête et qui signe J.-M. B. (ce témoin n'est autre que M. Joseph-Marie Bélanger, curé du Saint-Esprit (1836-1846), et qui fut auparavant curé de Saint-Paul (1819-1829); ce détail donne beaucoup de valeur à son récit concernant l'ermite de Saint-Paul surnommé le Vieux Jean-Baptiste. Il nous raconte la cérémonie: «Au village d'Industrie, paroisse de Saint-Paul de Lavaltrie, il y eut dimanche, 19 juin, une cérémonie imposante. Mgr l'évêque de Montréal, bénit la première pierre d'une nouvelle église; ce lieu qui n'était encore, il y a quelques années (quand il était curé de Saint-Paul), qu'une vaste forêt, est aujourd'hui un village vivant et populeux ; on pourrait même dire une petite ville florissante. (Grâce à M. L.-A. Derome, Joliette illustré publiait en 1893 des statistiques qui prouvent bien l'état florissant de Joliette à cette époque. J'y relève qu'il se fit à Joliette en 1843, 91 baptêmes, 6 mariages et 40 sépultures. Mgr Bourget, dans sa Biographie de M. A. Manseau, dit qu'il y avait à l'Industrie en 1843, 1,400 âmes et 800 communiants.). Ce village, composé d'artisans industrieux dans tous les genres, doit sa naissance à deux hommes de tact et de génie: M. Joliette et son beau-frère, le docteur Léodel. Nous nous dispenserons de répéter ce qui a été dit en son temps, à ce sujet, nous nous contenterons seulement d'ajouter que ces deux messieurs ont la plus grande part dans la bâtisse de la nouvelle église maintenant en chantier.

«Monseigneur l'évêque arriva pour la bénédiction de la première pierre, vers sept heures du soir, ayant été occupé tout le jour à sa visite épiscopale de Sainte-Elisabeth. (Clôture de la retraite de cette paroisse ouverte le 29 mai et terminée le 19 juin 1842.).

«Le temps était affreux, il tombait une pluie d'orage, incessante, accompagnée de coups de tonnerre; les chemins étaient des plus mauvais; mais le pieux évêque, voyant l'œuvre du Seigneur et le moyen de faire du bien, ne diffère pas un instant; son zèle le transporte au milieu d'un peuple qui l'attend; aussi leur dit-il, en arrivant, ces paroles gracieuses qui partaient du fond de son cœur: "Il faut vous aimer, il faut bien vous aimer!"»

La cérémonie commença immédiatement. Sa Grandeur était accompagnée de MM. Turcot, curé du lieu, Gagnon, archiprêtre, curé de Berthier, Boué nouvellement arrivé de France et Bellanger, curé du Saint-Esprit.

Mais où se trouvait cette pierre bénite dans la première église de Joliette? Je l'ai vue cent fois. Elle se trouvait à hauteur d'homme, à l'angle sud-ouest ou du côté du collège et marquée des lettres M. et A. combinées, comme au séminaire de Saint-Sulpice, et gravées sur une des pierres en saillie de la façade.

«M. Boué préluda par un discours onctueux d'une force étonnante. Le frisson courut dans l'auditoire quand il s'adressa à Monseigneur l'évêque en ces termes
"Pontife saint, étendez vos mains sur cette pierre destinée à être le fondement de ce temple; faites descendre les bénédictions du ciel sur cette pierre qui doit être la pierre élue, la pierre sainte de cette maison de prières, où les fidèles qui m'entendent viendront se prosterner au pied du Très-Haut pour lui rendre leurs plus profonds hommages."»

«Quoique la bénédiction eût lieu pendant une pluie d'averse, la foule resta constamment à sa place sans se disperser; mais la bénédiction finie, tout n'est pas terminé pour le zélé prélat; il a à remplir un acte de charité qui est encore hors du cadre de sa visite pastorale; et cette fois c'est pour consoler une famille qui est dans la douleur, chanter lui-même le service d'une dame qui a été un modèle de religion. (C'est la mère de l'abbé Olivier Deligny, décédée à Berthier.).

«Je saisirai cette occasion, continue M. Bélanger, pour rapporter une chose qui paraîtra assez étonnante. Sur la terre même où l'on bâtit cette nouvelle église, autrefois a habité un certain ermite, car quel autre nom lui donner? Cet homme doit intéresser par sa famille et, surtout par sa vie pénitente; il n'était pas moins qu'ailleurs aux nobles familles de Longueuil et de Lavaltrie; ayant dit un éternel adieu au monde, il fixa d'abord sa demeure dans un lieu qui est maintenant le bas de la rivière de Saint-Paul, mais, par la suite, cet endroit devenant fréquenté, il s'éloigna à différentes reprises, plantant une croix à chacune de ses stations.

Les anciens qui ont établi cette paroisse n'en ont pas trouvé moins de cinq; enfin la dernière station et la dernière croix qu'il planta est près de la nouvelle église. Il existe une ancienne tradition qui rapporte qu'il avait annoncé que ce lieu deviendrait célèbre. La dernière croix qu'il planta se voyait encore il y a quelques années; la souche, était plantée en terre, mais les bras étaient tombés; on les distinguait quoique réduits en pourriture; même sur une partie de ces bras il était déjà poussé un arbre assez gros. Les différentes demeures de cet homme singulier n'étaient connues que de M. de Lavaltrie et du curé voisin qui lui donnait de temps en temps les consolations de la religion.

«Quant à sa mort, on n'en sait pas l'époque, mais il paraît qu'il y a au-delà de soixante et dix ans; on ne connaît non plus le lieu de sa sépulture. Les anciens de Saint-Paul, qui en ont entendu parler, le connaissent sous le nom du Vieux Jean-Baptiste. Enfin pour compléter tout ce que la tradition dit de lui, il était garçon. Un sauvage affidé, payé par M. de Lavaltrie, le visitait de temps en temps pour lui porter des provisions quand il ne pouvait s'en procurer par lui-même.» (Il serait donc mort en 1773.)

M. Bélanger prouve bien qu'il connaît cette tradition sur «le bout de ses doigts». Comme il était curé de Saint-Paul, une quarantaine d'années seulement après la mort du mystérieux personnage, il dut bien souvent en causer avec ses paroissiens; voilà pourquoi il les appelle en témoignage.

M. Jos. Laporte, dans la Voix de l'Écolier de 1878, nous parle, dans un conte délicieux calqué sur la légende de M. Bélanger, du vieil ermite de Saint-Paul.

Le vieil ermite, paraît-il, s'agenouillait sur les bords de la rivière l'Assomption, en face d'une image de saint Joseph; plus loin devant l'image de la Vierge immaculée et enfin à la hutte où il mourut, en jetant un dernier regard sur son crucifix. Il avait, pour ainsi dire, marqué, par ses stations et ses croix le site des chapelles de Saint-Joseph et de Bon-Secours, de l'église paroissiale et de l'ancien cimetière.

Ces récits, quoique légendaires, sont assez jolis pour être rapportés dans L'Étoile du Nord qui reçoit et porte à ses lecteurs tous les souvenirs de l'ancien temps.

Mais revenons-en à l'église paroissiale qu'à vrai dire, nous n'avons pas quittée.

La bénédiction de l'évêque et les prières des fidèles lui donnèrent une telle poussée, que dès le mois d'octobre de la même année, on put faire en quelque sorte, la bénédiction du temple lui-même. Mgr l'évêque de Montréal vint encore à l'Industrie en cette circonstance; c'est que dans ces entreprises on voit toujours, côte à côte, l'évêque de Montréal et le seigneur de la paroisse naissante, l'Église et l'État qui se donnent la main pour opérer des merveilles. Comme c'était beau de voir ces deux illustres citoyens à qui Joliette est redevable de sa prospérité religieuse et civile, assister ensemble à toutes les solennités paroissiales

Les Mélanges religieux de l'époque, cités par M. Bonin, nous fourniront encore des notes précieuses sur cette nouvelle cérémonie à laquelle on voit apparaître pour la première fois, un homme déjà ancien, vénérable par la double couronne de ses mérites et de son âge, et dont le nom v a se mêler à ceux des Bourget et des Joliette, et compléter la célèbre trinité qu'on désignera maintenant par ces grands noms: Bourget, Joliette et Manseau.

Mais laissons parler les Mélanges religieux: «Mercredi le douze courant (octobre 1842), Monseigneur l'évêque de Montréal, avait consacré l'autel de l'église de Saint-Paul avec toute la solennité d'usage; le soir du même jour, le seigneur de l'Industrie envoya son carrosse traîné par deux chevaux pour transporter l'évêque au village de l'Industrie. Il y arriva vers le couchant du soleil par un très beau temps... Ce fut le lendemain qu'eut lieu la bénédiction de l'église.

«L'église de Saint-Charles disent les Mélanges religieux est bâtie d'après un très beau plan et des proportions telles qu'elles rendent cet édifice un des plus élégants du pays. Elle a cent dix pieds de long, trente-deux de haut, et cinquante de large. Elle a deux rangs de fenêtres; le deuxième rang de moindre dimension sert à éclairer les galeries latérales. Le portail de l'édifice est en pierres de taille exploitées et taillées sur le lieu même.

«À la suite de l'église, et aux murs mitoyens, sont la sacristie et un presbytère à deux étages de 40 pieds sur 30, ce qui forme cent cinquante pieds de maçonnerie.

«Les ouvrages doivent se continuer immédiatement, et, au mois de mars, l'église sera complète: voûte en plâtre, murs imités en marbre, galeries décorées, bancs du meilleur goût (mais si étroits) sanctuaire orné, etc. On couvre maintenant le clocher en fer-blanc; il y a place pour trois cloches qui ne se feront pas attendre longtemps.

«Quelques minutes après huit heures, le 13, commença la cérémonie qui se fit avec toute la solennité possible, il était près de onze heures, lorsque la consécration de l'autel fut terminée. M. Quiblier (supérieur du séminaire de Saint-Sulpice de Montréal), avait été invité pour faire le discours dans cette circonstance... Une indisposition l'empêcha de s'y rendre. Il fallut qu'un des prêtres présents, M. le grand vicaire Manseau montât en chaire et improvisât un discours de circonstance... Le seigneur Joliette, le seul auteur de ce bel établissement, méritait la reconnaissance publique; les habitants du village, n'ont fourni que quelques matériaux bruts: bois rond, pierre, chaux, sable, point ou presque point d'argent. (Ça formait tout ensemble, paraît-il, un montant de 4 400 francs.); le prédicateur le remercia.

«Jeudi, le 13, le tout s'est terminé par un banquet où une cinquantaine d'amis prirent place».

Cette correspondance nous montre plusieurs choses. Comme pour la bénédiction de la première pierre, quatre mois auparavant, Monseigneur arrive le soir, après une laborieuse journée, mais cette fois-ci, par un temps superbe. Déjà on mentionne la paroisse de Saint-Charles de l'Industrie, quoique le décret canonique l'instituant et la nommant, ne soit sorti qu'une année plus tard, le 23 décembre 1843.

Qui l'avait ainsi nommée? Est-ce Mgr l'évêque de Montréal, dans ses entretiens avec M. Joliette et en l'honneur de Mme Joliette (Charlotte de Lanaudière)? ou bien est-ce le curé de Saint-Paul, ou M. Joliette lui-même ou la population reconnaissante? Je n'en sais rien, bien que la première hypothèse me paraisse la plus plausible. Ce qui pourtant est certain, c'est que Mgr l'évêque de Montréal, dans son décret n'eut qu'à approuver le choix déjà fait, en mettant la paroisse nouvelle sous le vocable du grand saint Charles Borromée. M. Antoine Manseau se trouvait en ce moment-là en repos, soit à Longueuil, chez son neveu M. Moïse Brassard, soit à Varennes, chez son ami M. Pruneau, ou peut-être à Sainte-Elisabeth, chez son autre neveu M. Léandre Brassard. En tout cas la Providence le conduisit à l'Industrie pour la bénédiction de l'église et c'est peut-être là que Mgr l'évêque de Montréal jeta les yeux sur lui pour cette cure nouvelle aussitôt que sa santé le permettrait.

«Mais cette église, comme le disait Mgr Bourget, dans sa biographie de M. Manseau, était la propriété privée de l'Hon. B. Joliette qui l'avait construite à ses propres dépens.» Pourtant il l'avait élevée pour Dieu et pour son peuple; il voulut la rendre à qui elle appartenait, par l'entremise du vénérable Mgr Bourget, qui vint encore à l'Industrie pour cette circonstance solennelle. M. Joliette fit ce don sans aucune redevance, «sans même se réserver le droit d'intervenir dans son administration» nous dit Mgr l'évêque de Montréal.

C'était le dimanche, 3 février 1850, que fut fait solennellement ce don à Monseigneur qui l'annonça avec joie aux fidèles et qui le ratifia.

C'est en reconnaissance de ce don princier que l'église fait chanter, chaque année, à la Saint-Charles, le 4 novembre, une messe et que le collège en fait célébrer une autre, le jour de la Saint-Barthélemy, le 24 août, patrons de M. et de Mme Joliette. Toute la famille de Lanaudière, associée à l'œuvre de M. Joliette, concourait aussi dans le don généreux qu'il faisait.

À ce temple bénit, à ce troupeau déjà nombreux, il fallait un prêtre et un pasteur. Mais comme la paroisse n'était pas érigée canoniquement, ce ne pouvait être qu'un desservant. Dès le 1er janvier 1843, M. Raphaël Neyron, prêtre français, arrivé au Canada en même temps que les RR. PP. Jésuites, le 31 mai 1842, fut appelé par Mgr Bourget à la desserte de l'Industrie. Il n'y résida que dix mois après lesquels Messire Antoine Manseau, chanoine honoraire et vicaire général de Montréal fut nommé pour lui succéder, à la Saint-Michel, en 1843.

M. Manseau fut curé de Saint-Charles de l'Industrie pendant vingt et un ans jusqu'au 2 février 1864.

Le spirituel grand vicaire fut l'ami fidèle des seigneurs du manoir de Joliette; il les visitait et les recevait souvent à sa table. Qui nous racontera tous les bons mots de M. Manseau ? Pourtant comme dans La Fontaine
    Tel est pris qui croyait prendre,

il lui arriva de recevoir largement en échange plus qu'il ne donnait. M. Louis Bonin racontait l'autre jour une plaisante et aimable répartie attribuée à Mme Joliette. M. Manseau, rencontrant un jour Mme Joliette, déjà fort avancée en âge, lui dit: «Vous êtes à la veille de jouer du violon, madame.». – «Non, M. le grand vicaire, car c'est un instrument pour les messieurs.»

On raconte aussi comment un vieux prêtre sans cure, nommé M. Mercure, lui fit poliment un bon biscuit. «L'écho, lui disait M. Manseau, est toujours fidèle, quand je nomme M. Mercure, l'écho répète: cure! cure!» «C'est la même chose pour moi, riposte M. Mercure, quand je dis M. Manseau, l'écho me répond: sot! sot!»

Dès l'arrivée du desservant le chœur de la nouvelle église fut envahi par une foule d'enfants en attendant que le collège pût fournir son contingent d'élèves, ce qui eut lieu en 1816. Dès l'ouverture du collège, il y eut quarante-quatre écoliers et quatre professeurs pour remplir les stalles du chœur, s'occuper du chant et des cérémonies, ce qui dura jusqu'en 1876 où le trop grand nombre d'élèves (162 et une vingtaine de professeurs) ne le permit plus. Mais 1876 fut une année de deuil pour les paroissiens habitués au beau chant et aux grandes cérémonies.

Plus tard on brisa les belles lignes de l'église paroissiale telles que décrites dans la correspondance des Mélanges religieux, en y ajoutant une seconde galerie au-dessous de la première, que les écoliers occupèrent en partie.

La voûte assez élancée n'avait pourtant aucun ornement; le R. P. Lajoie la fit légèrement décorer plus tard, en l'ornant de panneaux en peinture.

Une chose nous intriguait: voir à différents endroits de la voûte des ouvertures comme des goulots de bouteille. Eh bien! Ç'en était! Toutes les bouteilles étaient figées et plantées dans le plâtre, la tête en bas, pour donner plus de sonorité à l'édifice.

Dans ce temps-là, nous allions partout, voire même dans le clocher de l'église; en passant à la voûte, un coup d'œil suffisait pour nous rendre compte des bouteilles et des goulots.

À proprement parler, il n'y avait dans cette église, qu'un autel surmonté d'un très beau tableau, représentant saint Charles Borromée portant la Sainte Eucharistie aux pestiférés de Milan, œuvre de M. Antoine Plamondon.

M. Antoine Plamondon, auteur de ce tableau, est le premier canadien qui ait étudié sous les grands maîtres européens, aussi nous a-t-il laissé des tableaux qui l'honorent, ainsi que les maîtres qui l'ont formé. Plusieurs églises, entre autres Sainte-Anne de Beaupré, ont l'avantage de posséder de bonnes toiles dues à son pinceau. Ce célèbre artiste canadien mourut à la Pointe-aux-Trembles de Québec en 1895, à l'âge patriarcal de 93 ans. Il est inhumé dans la crypte de l'église de cette paroisse à laquelle il a légué tous ses biens. Après avoir consacré son travail et son talent à l'ornementation de nos églises, durant sa vie, il veut qu'après sa mort, sa fortune serve encore à décorer la maison de Dieu.

Je reproduis ici une page des Noces de Diamant du Collège Joliette: «Je demande la permission de rappeler un souvenir de mon voyage d'Europe en 1908, concernant ce tableau. En visitant un jour le musée du Louvre, je m'arrêtai avec émotion devant l'original de ce tableau de saint Charles Borromée, signé Jacques Van-Oost (1600-1671), peintre flamand dit le Vieux et dont le peintre canadien, M. Antoine Plamondon, nous a donné une si remarquable copie, à Joliette en 1846. C'est saint Charles Borromée qui donne le saint Viatique aux pestiférés de sa ville archiépiscopale; il est accompagné d'un clerc en surplis, portant une torche allumée. Sur son passage, gisent morts et mourants, dont le teint cadavérique excite la compassion; plusieurs femmes portent de jeunes enfants dans leurs bras. On raconte qu'un jour, le saint cardinal aperçut un enfant en vie sur le sein de sa mère qui se mourait de la peste, il se jeta lui-même entre les morts pour sauver la vie à cet innocent. C'est donc bien à raison qu'on a dit qu'il «accourut du fond de son diocèse, comme pour lutter corps à corps avec le fléau».

« Cet acte héroïque avait frappé. Van-Oost qui voulut l'immortaliser sur la toile. Voilà pourquoi, sur son tableau, on voit un enfant qui cherche le sein de sa mère mourante de la contagion; il cherche la vie, mais hélas! ce n'est plus une source de vie, mais de mort. Et le père de l'enfant, qui connaît le danger et qui veut la vie de son fils, l'en éloigne doucement, de sa main droite.

«Impossible de contempler cette scène d'un cœur insensible et d'un œil sec!»

Par une heureuse inspiration, M. P. Beaudry, fit replacer ce tableau de saint Charles, dans la nouvelle église appelée maintenant la cathédrale de Joliette, au même endroit que dans l'ancienne, après l'avoir enrichie. d'un encadrement splendide, tandis que le reste de l'autel, avec quelques reliques de l'église de M. Joliette, est conservé dans la chapelle inférieure.

La paroisse de Joliette ne doit pas manquer de montrer sa reconnaissance à son ancien curé pour lui avoir conservé et si bien utilisé ces ornements du temps passé; comme aussi la balustrade et le vieux chemin de croix, devant les stations duquel, le R. P. Lajoie nous faisait méditer parfois si longtemps.

La Sainte Vierge et Saint Joseph avaient aussi, chacun, une moitié d'autel à leur disposition et surmontée d'une statue,

La statue de la Sainte Vierge très jolie, il me semble, doit se trouver quelque part à, l'évêché de Joliette.

À cause de cet autel unique, les messes solennelles des Quarante-Heures se célébraient, tous les jours, au maître-autel puis, à cause de l'encombrement des allées et du grand nombre d'écoliers, il n'y avait jamais procession dans l'église durant les Quarante-Heures, figées à la fête patronale de saint Charles, selon que Mgr Bourget, en les établissant en 1858, l'avait réglé. Pour ce concours toutes les paroisses rayonnaient vers Joliette; tout le nord descendait: Sainte-Julienne, Rawdon, Saint-Alphonse, Saint-Côme, Sainte-Béatrice, Saint-Jean de Matha. Le presbytère de Joliette était très aimé et son curé très hospitalier. Mais pour loger tout ce monde-là, il fallait plus de chambres que n'en fournissait le petit presbytère «imité en ocre jaune», au dire du R. P. Lajoie. Le haut de la sacristie en avait deux grandes, capables de contenir plusieurs lits et on l'utilisait. (C'était le premier presbytère.)

Le collège au grand complet, se rendait à tous les exercices des Quarante-Heures. Nous avions hôte, il faut le dire, de voir officier les prêtres et de les entendre chanter et, parmi eux, ceux qui chantaient mal ou très bien. Je crois que, dans le temps, deux prêtres méritaient une palme: l'un M. Saint-Jacques, curé de Saint-Côme pour sa mauvaise voix fausse, et l'autre, M. Arthur Derome pour sa magnifique voix. C'était la merveille et l'idole du temps, pendant au moins vingt-cinq ans (1862-1887). Quand M. Derome arrivait à Joliette, c'était une fête et un bon dessert. De notre temps, on ne jurait au collège que par M. Derome. Un jour il fit l'office du samedi saint et nous ravit par le chant de l'Exultet. Il chantait souvent aussi le grand Justus, David devant Saül; l'Oiseau qui vient de France, sans compter le répertoire de tous nos cantiques. Pour moi, M. Derome n'eut jamais son maître.

Je profite de l'occasion pour rappeler ce qu'un jour la Voix de l'Écolier disait à son sujet: «Au nom de tous, nous offrirons nos plus sincères remerciements à M. Derome, curé de Lachute, qui a bien voulu rehausser par son chant la dernière cérémonie religieuse de notre fête. (Fête du R. P. Beaudry, le 18 mars 1879.). En se voyant de nouveau dans les lieux où, tant de fois, il a fait retentir ces mêmes mélodies sacrées, il sut retrouver toute la verve d'autrefois; comme nos devanciers, nous nous sommes plu à écouter sa voix qui n'a rien perdu de son charme et de sa pureté.».

Le Frère Vadeboncoeur, le Père Peemans, le docteur Victor Côté, M. A. Lesieur le secondaient à merveille dans l'exécution du grand Justus.

Quel est, parmi les anciens, celui qui peut, sans rire, se rappeler aussi le fameux Placare des vêpres de la Toussaint, entonné par un vénérable prêtre des environs de Joliette. On l'attendait là, tous les yeux braqués sur lui; il ne trompait pas notre attente; il se défigurait! Il y allait, avec tant de cœur!

Depuis l'établissement du diocèse de Joliette, les Quarante-Heures sont déplacées et fixées au commencement de l'année ecclésiastique, c'est-à-dire au premier dimanche de l'Avent, car il convient que la cathédrale soit à la tête des autres églises, pour les Quarante-Heures, comme pour le reste.

La population de Joliette augmentait toujours et l'église ne rapetissait pas, mais en restant la même, elle devenait trop petite; il fallait bâtir.

Par là même, le sort de la vieille église fut scellé; on la démolirait après la construction de l'église actuelle la cathédrale; elle occupait précisément le centre du parc qui s'étend en face de l'évêché. Qu'on en juge par les pins qui indiquent la largeur de l'ancienne place dont l'église marquait le centre.

Mais avant sa démolition en 1892 elle servit encore de lieu de réunion pour la célèbre séance musicale donnée par les élèves du collège, le 1er juin, à l'occasion de la réunion générale des élèves de Joliette qui eut lieu en 1892. Une dernière fois encore, elle reçut ses enfants, et les élèves de Joliette ne jetèrent pas sans émotion un dernier regard sur cette vieille relique que le pic du démolisseur allait abattre sans délai. Une sœur plus jeune et plus majestueuse s'élevait à côté d'elle; bon gré mal gré, elle dut se soumettre et dire: Oportet illam crescere me autem minui. «Il me faut céder la place à ma sœur à laquelle de grandes destinées sont réservées! Pour moi, j'ai rempli ma mission, je disparais contente.».

Sous l'un des beaux pins verts qui bordent la rue Saint-Charles-Borromée, en face de la vieille église, une modeste bonne femme, la mère Dumais avait établi son comptoir et le tenait ouvert tous les dimanches de l'été depuis mai jusqu'à novembre. Souvent le souvenir de cette bonne vieille hante mon imagination et je m'attendris sur le bon vieux jadis et sur les amis disparus. Que Lamartine avait donc raison d'écrire! : «Ces frères, ces amis nous abandonnent en chemin.». Mais citons les deux strophes suivantes
    À ce chœur joyeux de la route
    Qui commençait à tant de voix,
    Chaque fois que l'oreille écoute
    Une voix manque chaque fois.

    Chaque jour l'hymne recommence
    Plus faible et plus triste à noter
    Hélas ! C'est qu'à chaque distance
    Un cœur cesse de palpiter.
La vieille était donc assise adossée à l'un des gros arbres; sa table de quatre pieds carrés se dresse devant elle; une demi-douzaine de verres bien nets repose sur un cabaret de fer-blanc; une autre demi-douzaine de boîtes en carton est à côté, dans lesquelles s'étalent aux regards ébahis des passants, des «surettes», des bâtons de sucre d'orge, de cannelle, des pepper mints et du pain d'épices. Mais les verres ne sont pas là pour rien; il faut d'autre chose que de l'eau; car de l'eau nous en avions en abondance dans la tonne de la salle de récréation.

Il fallait donc quelque chose de fort au moins comme de la bonne petite bière d'épinette, de la bonne petite small beer, comme disait notre ami M. L. Pinault. Elle en avait et de la fraîche, puisque ses bouteilles reposaient dans une cuvette pleine d'eau, mise là dès le matin.

Elle devait faire des sous; sans cela, elle n'aurait pas tenu si longtemps, car la pauvrette gelait elle-même parfois, tout en peinant pour réchauffer les autres. Il me souvient qu'au retour des repas, le dimanche, la table de la mère était achalandée; on se payait la traite aux bonbons ou à la petite bière et les gros sous roulaient sur la table pour tomber dans la boîte à argent. Tel qui n'aurait pas osé dépenser un sou inutilement ailleurs, en sacrifiait plusieurs à ces douceurs où la charité se mêlait à une légère gourmandise.

Il faut bien dire qu'en ces temps reculés, il n'y avait pas de candy à vendre au collège et le dimanche, la pharmacie du docteur Laurier, lieu ordinaire d'approvisionnement, était fermée, de sorte que tout le réconfort était chez la mère Dumais.

Quand la pauvre vieille, au visage déjà sillonné de rides, a-t-elle abandonné son commerce? Je ne saurais le dire; elle était encore au poste des affaires, à mon départ du collège en 1881.

Faisons maintenant l'histoire rapide et succincte de la nouvelle église. La question de bâtir cette église s'imposait depuis longtemps; après de longs pourparlers, on s'adressa à la législature de Québec et deux bills autorisant le prélèvement de 51, 000.00 dollars sur les propriétés foncières furent présentés et adoptés par la Chambre.

À M. Prosper Beaudry, curé, revient la gloire d'avoir bâti la cathédrale qui fut commencée en 1889 et finie en 1892, où elle reçut la bénédiction des mains du R.P.C. Ducharme, c. s. v., le 7 février 1892. Elle mesure 180 pieds sur 80, est en pierre bosselée et taillée et porte un grand air de noblesse et de distinction parmi les églises de la meilleure société d'architecture et d'esthétique.

Mais il se fit bientôt un travail sourd et lent d'enfoncement du portail qui, en définitive, fut démoli et refait sur des bases nouvelles, plus solides en béton armé. Elle fut aussitôt terminée à l'intérieur comme à l'extérieur. M. le curé avait raison d'en être fier; c'était une belle cathédrale avec son chœur majestueux, ses douze rangées de stalles, ses riches et gracieux autels, brillants d'or et de sculpture, sa voûte ornée des quinze mystères du rosaire en peinture sur toile, ses beaux ornements que la piété des fidèles voulut offrir elle-même.

L'église était donc entièrement finie, lorsque le 16 septembre 1901, un ouragan terrible vint saisir le colossal clocher dans une effroyable étreinte, l'arracher de sa base et l'étendre tout son long sur le pinacle du temple, au toit duquel il demeura suspendu.

Quelle épreuve pour le bon curé! quel coup mortel à son cœur! quelle agonie! Cependant nul ne connut ses angoisses, si ce n'est son frère, son meilleur ami, le R. P. Cyrille.

On procéda d'urgence aux travaux les plus nécessaires commandés par les architectes; l'église à l'intérieur fut mise en sûreté par une double fausse voûte, de manière à éviter tout danger de panique.

Les choses en étaient là, à la consécration de Mgr Archambault, en 1904.

Aussitôt installé, Mgr l'évêque de Joliette, se préoccupa de sa cathédrale; il consulta partout et on lui répondit que la bâtisse pouvait rester debout, moyennant de nombreux travaux. Cette décision rencontrait les vues de Monseigneur, du clergé et de tous les citoyens, et en particulier, du brave et entreprenant M. Beaudry, dont l'œuvre pouvait ainsi se conserver. On fit des tranchées; on éleva des contreforts en redressant les murs et ainsi l'édifice fut tout à fait consolidé.

Puis l'intérieur détérioré par l'accident du clocher, fut remis à neuf; une voûte de bois remplaça celle de plâtre; M. T.-X. Renaud, artiste décorateur, entreprit tous les travaux de peinture et de décoration; Mgr l'évêque acquit un nouvel orgue des Frères Casavant; fit confectionner des bancs en rapport avec le style de l'église. Bref tous ces travaux se sont terminés à la grande joie de Monseigneur, de son vicaire général, de tout le clergé diocésain et de tous les paroissiens.

Et ainsi la cathédrale est très belle et très riche et digne en tout point de son évêque, du diocèse et de la ville épiscopale. Elle fut consacrée le 29 juin 1907, par Mgr Archambault, au vingt-cinquième anniversaire de sa prêtrise.

Outre cela elle possède un carillon de cinq belles cloches dont trois ont reçu la bénédiction de Son Excellence Mgr D. Sbarretti, délégué apostolique au Canada, le 19 mars 1908, dans une cérémonie remarquable à laquelle le diocèse entier fut convié. Son Honneur le juge Baby voulut encore cette fois rester dans la tradition de la famille de Lanaudière en donnant la plus grosse cloche.

Tel est en raccourci et autant que mes souvenirs sont fidèles, l'historique des églises de Joliette. Les épreuves n'ont pas manqué à M. Beaudry pour parfaire l'œuvre de son église; mais il semble que la Providence ait permis ces accidents pour laisser au premier évêque de Joliette le souci et la joie de prêter la main à la bâtisse de sa cathédrale.

A.-C. Dugas, prêtre, curé de St-Clet, Gerbes et souvenirs, t.II, Arbour & Dupont, imprimeurs-éditeurs, Montréal, 1914, p. 177-198

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