L'Histoire naturelle

Ferdinand Hoefer
Georges-Louis Leclerc, compte de Buffon, naquit à Montbard, le 7 septembre 1707, dans la même année que Linné. Il fut destiné par son père, conseiller au parlement de Dijon, à la carrière de la robe; mais les sciences naturelles s'emparèrent de bonne heure de son esprit, et toute son ambition fut depuis de les cultiver exclusivement. Au collège de Dijon, où il commença ses études, il fit connaissance avec un jeune lord anglais, le duc de Kingston, qui voyageait sous la direction d'un précepteur instruit. Il obtint de son père la permission d'accompagner les deux amis dans leurs voyages. Ils visitèrent ainsi ensemble une partie de la France, la Suisse et l'Italie. «Dans ces dix-huit mois de courses, le jeune Buffon ne vit, dit son biographe (Condorcet), que la nature à la fois riante, majestueuse et terrible; offrant des asiles voluptueux et de paisibles retraites entre les torrents de laves et sur les débris des volcans: prodiguant ses richesses à des campagnes qu'elle menace d'engloutir sous des monceaux de cendres et de fleuves enflammés, et montrant à chaque pas des vestiges et les preuves des antiques révolutions du globes. La perfection des ouvrages des hommes, tout ce que leur faiblesse a pu y imprimer de grandeur, tout ce que le temps a pu y donner d'intérêt ou de majesté, disparaît à ses yeux devant les ombres de cette main créatrice dont la puissance s'étend sur tous les mondes, et pour qui, dans son éternelle activité, les générations humaines sont à peine un instant. Dès lors il apprit à voir la nature avec transport comme avec réflexion; il réunit le goût de l'observation à celui des sciences contemplatives, et, les embrassant toutes dans l'universalité de son savoir, il forma la résolution de leur dévouer exclusivement sa vie.»

Voilà comment Buffon apprit aux jeunes touristes à aimer l'étude de la nature. Il suivit ses deux compagnons à Londres pour se perfectionner dans la langue anglaise. Pendant son séjour en Angleterre, il traduisit Hales, Statique des végétaux, et Newton, Méthode des fluxions. De retour en France, il soumit à l'approbation de l'Académie des sciences le manuscrit de ces deux traductions, qui parurent in-4°, la première en 1735, et la seconde en 1740. Ce furent là ses premiers essais dans la carrière qu'il devait illustrer.

Nous ne suivrons pas Buffon dans ses expériences physiologiques et physiques sur les qualités et la production du bois sur les miroirs ardents d'Archimède et de Proclus, expériences qui le firent, en 1739, entrer comme associé à l'Académie; mais nous nous arrêterons un moment sur les travaux auxquels il attacha plus particulièrement son nom.

Buffon s'était proposé de reprendre le plan d'Aristote et de Pline, de lui donner plus de développement, de profiter des investigations de tant de siècles écoulés, de faire entrer dans ce plan les richesses du second hémisphère, découvert par Christophe Colomb, ainsi que celles que fournissaient journellement les voyageurs maritimes et la connaissance plus exacte de la surface terrestre. Dans cette œuvre il s'associa un de ses camarades d'enfance, Daubenton, le chargeant de la description des formes et de la partie anatomique, tandis qu'il gardait pour lui tout ce qui a rapport aux grands phénomènes naturels, aux mœurs, aux qualités et habitudes des animaux, aux vues générales, aux lieux d'ensemble; il voulait rendre à la science cette vie, cet intérêt, cette poésie que les arides nomenclatures des compilateurs avaient bannis du tableau de la nature. Les deux amis travaillèrent de concert, sans relâche, pendant dix ans.

Ce fut en 1749 que parurent les trois premiers volumes du grand ouvrage qui avait d'abord pour titre: Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du cabinet du Roi (Imprimerie royale, 3 vol. in-4°). Cet ouvrage est une magnifique introduction où se trouvent posés les trois problèmes qu Buffon s'appliquait à résoudre: la formation de la terre, l'origine des planètes et celle de la vie.

Au moment où parurent ces trois premiers volumes, où le nom de Buffon se trouve associé à celui de Daubenton, Réaumur tenait le sceptre de l'histoire naturelle. Poursuivant la même carrière, Buffon et Réaumur ne tardèrent pas à se traiter en rivaux. Les reproches qu'ils s'adressaient l'un à l'autre sont curieux à noter. Réaumur reprochait à Buffon de trop raisonner, et Buffon reprochait à Réaumur de trop observer. «On admire toujours d'autant plus, disait Réaumur, qu'on observe davantage et qu'on raisonne moins.»

L'ouvrage de Buffon et de son collaborateur fut diversement apprécié dès son apparition. Voici l'opinion d'un de ses contemporains, Montesquieu: «M. de Buffon vient de publier trois volumes qui seront suivis de onze autres…L'auteur a parmi les savants de ce pays-ci un très grand nombre d'ennemis; et la voix prépondérante des savants emportera, à ce que je crois, la balance pour bien du temps. Pour moi, qui y trouve de belles choses, j'attendrai avec tranquillité et modestie la décision des savants étrangers; je n'ai pourtant vu personne à qui je n'aie entendu dire qu'il y avait beaucoup d'utilité à le lire.»

Nommé, en 1739, intendant du Jardin du Roi, sur la désignation de Dufay mourant, Buffon partagea son temps entre l'administration de ce jardin, qui lui doit tant de lustre, et sa retraite à Montbard. La passion du travail et celle de la gloire remplissaient son existence. «Je passais, a-t-il dit lui-même, douze à quatorze heures à l'étude: c'était tout un plaisir. En vérité, je m'y livrais bien plus que je ne m'occupais de gloire; la gloire vient après, si elle peut, et elle vient presque toujours.» Buffon résidait quatre mois à Paris et huit mois à Montbard. C'est à Montbard qu'il a écrit son Histoire naturelle, comme Montesquieu son Esprit des lois à la Brède. Ces deux grands ouvrages du dix-huitième siècle sont le fruit du génie se plaisant dans la retraite.

Les trois premiers volumes de l'Histoire naturelle furent suivis, en 1753, d'un quatrième volume, puis d'un cinquième en 1655, et d'un sixième en 1756. Ces trois nouveaux volumes comprenaient l'Histoire naturelle des animaux domestiques. Les neuf volumes qui se succédèrent, de 1758 à 1767, comprenaient l'Histoire des animaux carnassiers et autres vivipares. Ces quinze volumes, dans la publication desquels le nom de Buffon est associé à celui de Daubenton, contiennent l'Histoire des quadrupèdes.

Cependant deux collaborateurs, de caractères si opposés, ne pouvaient pas toujours rester unis. Daubenton aimait la modestie et Buffon aimait la gloire. Un esprit aussi engoué de lui-même que Buffon ne devait pas toujours accueillir très patiemment les critiques de son ami Daubenton, observateur scrupuleux, reprochait à Buffon ses expressions métaphoriques. «Le lion n'est pas, lui disait-il, le roi des animaux; il n'y a pas de roi dans la nature.» Il lui reprochait aussi de présenter le chat comme infidèle, faux, pervers, voleur, souple et flatteur comme les fripons.«Voilà, ajoutait-il, une grande opposition à la noblesse et à la magnanimité du lion, et aussi de bons moyens pour faire briller les charmes du style.»

On sait avec quel art Buffon soignait son style. Son discours de réception (Sur le style) à l'Académie française (le 25 août 1753) en témoigne suffisamment.

Daubenton était trop naturaliste et Buffon trop artiste pour que ces deux hommes eussent pu toujours s'entendre. «Les animaux, dit Mme Necker, semblaient être les plus éloignés de nous, et l'art de Buffon a été de les rapprocher sans cesse.»

Quoi qu'il en soit, le nom de Daubenton va disparaître désormais de l'œuvre de Buffon. Celui-ci avait gravement blessé son collaborateur en publiant une édition de l'Histoire naturelle, dont il avait retranché non seulement la partie anatomique, mais encore les descriptions de l'extérieur des animaux, que Daubenton avait rédigées pour la grande édition. Enfin, pour la rédaction des neuf volumes suivants, publiés de 1778 à 1783, et contenant l'Histoire naturelle des oiseaux, Buffon s'adjoignit Gueneau de Montbeillard, l'abbé Bexon et Sonnini de Mononcourt. L'ouvrage a la même magnificence de style, mais la partie anatomique est d'une extrême faiblesse.

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