L'agriculture à l'heure de la complexité

Jacques Dufresne
L’agriculture est entrée dans l’ère de la complexité: politique, économie, écologie, éthique, démographie, biologie, technologie, médecine, philosophie, religion s’y mêlent d’une façon telle que toute tentative pour dégager une ligne directrice paraît à l’avance condamnée à l’échec. À cette complexité, il faut faire correspondre un style particulier. Si l’on prétend pouvoir dégager une ligne directrice par un exposé linéaire reposant et rassurant pour l’esprit, on risque fort d’être déçu. Dans la complexité, comme dans la forêt vierge, la plus sûre façon de tourner en rond c’est d’aller droit devant soi.
C’est seulement après des mois de recherche, de discussion et de réflexion que, pour ma part, j’ai découvert le point de vue qui m’apparaît aujourd’hui à la fois le plus englobant et le plus déterminant. J’ai d’abord établi une liste, brièvement commentée, des principaux sujets d’actualité ayant un rapport direct ou indirect avec l’agriculture. Je présente ici cette liste dans l’ordre où elle s’est imposée à moi et j’invite le lecteur à la parcourir avec l’intention d’en dégager une ligne directrice.

La maladie de la vache folle
Depuis quelques années en Europe, le mal qui répand la terreur a pour nom maladie de la vache folle, aussi appelée ESB (Encéphalopathie spongiforme bovine). Elle a fait environ 100 victimes en Europe depuis 1995, la majorité en Angleterre. Le temps d’incubation de l’agent infectieux, le prion, étant de 10 à 15 ans (mais peut être beaucoup plus long), le nombre de victimes pourrait être beaucoup plus considérable. Selon la durée du temps d’incubation, le nombre de victimes pourrait osciller entre quelques centaines et 136,000. (Source: Scientific American, mai 2000).

En raison des maladresses des autorités dans leurs communications avec la population, l’ESB, combinée à d’autres événements comme le débat sur les OGM, a fortement contribué à déclencher une crise de confiance des consommateurs européens à l’endroit des agriculteurs du secteur agro-alimentaire dans son ensemble. Cette crise de confiance s’est étendue ensuite au monde entier. Aura-t-elle pour effet de favoriser la consommation des produits locaux? On sait pour le moment qu’elle a provoqué une forte hausse de la demande de produits biologiques.

L’agent pathogène, le prion, est transmis par les farines animales que l’on donne à manger aux bovins, sans prendre toutes les précautions requises, en ce qui a trait notamment au degré de température auquel il faut porter le produit. Farines animales! Le mot semble avoir été choisi pour faire oublier qu’il s’agit de viande, plus précisément de déchets d’abattoir.

Et que savons-nous du prion? Il s’agit, semble-t-il, d’une protéine qui deviendrait nocive en changeant de forme. «L’anomalie, écrit Jacques Robin, semble bien liée à un changement dans la structure tridimensionnelle de la protéine. […] Des interrogations plus impressionnantes s’élèvent. Le concept de prion pathogène n’est-il pas extensible comme agent d’autres pathologies que celles de ces encéphalopathies dégénératives mortelles? D’autres pathologies ne sont-elles pas liées, elles aussi, à la dégradation autocatalytique d’autres protéines?» (Transversales, février 2001 http: globenet. org/transversales/)

Jacques Robin cite ces lignes de Rudolf Steiner, le fondateur de l’agriculture biologique, écrites en 1923: «Que se produirait-il donc si au lieu de végétaux, le bœuf se mettait à manger de la viande? Il se remplirait notamment d’acide urique et d’urate. Or les habitudes particulières de l’urate sont d’avoir un faible pour le système nerveux et le cerveau. Si la vache mangeait directement de la viande, il en résulterait une sécrétion d’urate en énorme quantité. L’urate irait dans le cerveau et la vache deviendrait folle. »
Le texte complet de Steiner se trouve à l’adresse suivante: http://www.chez.com/demagogo/vachefol.html

On comprend que bien des pays, dont l’Allemagne et la France, aient interdit les farines animales. Mais, ô complexité, ces pays devront remplacer leurs sources animales de protéine par des protéagineux, tirés principalement du soja. Or l’Europe ne produit pas assez de soja. Il faudra donc en importer des États-Unis, où 60% du soja est transgénique.
Pour en savoir davantage:
http://www.inra.fr/internet/directions/dic/actualites/agribio/agribiosom.html

La croissance démographique: 1,1 milliard d’obèses

Moins rapide qu’on ne le prévoyait il y a quelques décennies, cette croissance se poursuivra tout de même à un rythme tel que la population mondiale devrait atteindre dix milliards en 2050. La grande majorité de ces humains vivront dans des villes vers lesquelles il faudra détourner une partie plus importante de l’eau utilisée en agriculture. Remplir son verre ou son assiette! C’est déjà une question qui paraît insoluble. Notons cependant qu’il y dans le monde de plus en plus d’assiettes pleines, débordantes même. La malnutrition se présente sous deux formes: l’insuffisance de l’essentiel et la surabondance du quelconque. Selon une étude récente de l’OMS, il y a désormais autant d’humains (1,1 milliard) qui souffrent de la seconde forme, accompagnée d’obésité, que de la première. L’obésité, syndrome universel, est aussi le symbole de la mondialisation. Exemple typique: les Micronésiens, vivant sous protectorat américain, sont devenus macronésiens à 85% à force de se gaver de croupions de dinde, interdits aux États-Unis!

Pour en savoir plus sur l’obésité dans le monde: Atlantic Monthly, juin 2001.

Démographie, géographie

La fièvre aphteuse

Si elle a d’abord frappé l’Angleterre, ce n’est peut-être pas par hasard, mais parce que pour survivre à l’intérieur du marché commun, les agriculteurs anglais, abandonnés par leur État thatchérien, ont dû prendre des risques… qui se sont avérés néfastes. L’abattage de masse qui se poursuit soulève des problèmes éthiques. Tuer ces bêtes alors que leur maladie n’est pas mortelle, n’est-ce pas les réduire à leur valeur économique? Que vaut l’argument de ceux qui prétendent que ce sont des meurtres par compassion? Et comment expliquer que les pires massacres surviennent dans cette Angleterre où, dès l’époque de la reine Victoria, le sort des animaux suscitait des débats passionnés?

Voir l’article de Josette Lanteigne le même sujet dans ce numéro.
Médecine vétérinaire, économie, politique, éthique.

La biodiversité

Selon Niles Eldredge, nous en serions sur la planète à la sixième grande vague d’extinction d’espèces, la précédente, qui a lieu il y a 65, 000,000 années et qui aurait été provoquée par un ou plusieurs météores, a causé l’extinction des dinosaures. 27,000 mille espèces disparaissent chaque année en ce moment… et cette vague d’extinction est la première dont les hommes sont responsables. La plupart des espèces menacées disparaîtront avant que nous n’ayons pu les étudier. Une multitude de remèdes, telle l’aspirine, tirée du saule, auront disparu avant même qu’on ait eu la chance de les découvrir.

De quoi nous priverons-nous encore? Dans leur récent ouvrage (La sixième extinction. Évolution et catastrophes, Éditions Champs Flammarion), Richard Leakey et Roger Lewin pointent notamment l´indigence des variétés des cultures agricoles: plus de la moitié des récoltes sont issues de trois plantes (maïs, riz, blé) alors qu’il existe 35 000 variétés de plantes comestibles, dont 7 000 ont été cultivées au cours de l´histoire.

Pour en savoir davantage: Niles Eldredge, Life in the balance, Humanity and the biodiversity Crisis, Princeton Paperbacks, 2000.

Génétique

Le changement climatique

Les sols représentent un réservoir de carbone trois fois supérieur à celui de l’ensemble de la végétation. Ce réservoir se matérialise essentiellement par la matière organique qui s’y trouve et qui d’ailleurs en constitue la fertilité. Certaines pratiques agricoles intensives, en particulier les labours profonds et le maintien d’un sol nu, accélèrent les processus de minéralisation de la matière organique du sol et entraînent l’émission de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Le passage à une agriculture plus respectueuse du sol est donc une façon efficace de ralentir le processus de changement climatique.

Pour en savoir plus, lire l’article de Carole Mégevand et François Falloux dans ce numéro et consulter /dossiers/climat

Physique, chimie, biologie,

L’agriculture biologique

Tout en protégeant le sol, l’agriculture biologique produit des aliments qui, de l’avis général, ont meilleur goût que les aliments de l’agriculture productiviste et sont plus sains. Ils coûtent aussi plus cher et mettent l’humanité devant ce choix difficile: protéger le sol et l’environnement et accroître le coût de la nourriture, ou continuer de les mettre en péril pour nourrir les plus pauvres parmi les humains.

« Malgré leur cherté, la demande de produits issus de l’agriculture biologique (dits produits «Bio ») présente actuellement une croissance annuelle de l’ordre de 20% (Sylvander, 1999). Les grands groupes alimentaires diversifient leur gamme vers l’Agriculture biologique et les grandes et moyennes surfaces (G M S) en référencent de plus en plus les produits. La production nationale étant incapable de répondre à cette explosion de la demande, les pouvoirs publics français ont décidé la mise en œuvre d’un plan de développement de l’agriculture biologique.

Cet engouement s’observe dans la plupart des pays développés. En 1998 (Foster & Lampkin, 1999), le marché des produits Bio atteignait environ 4 milliards de dollars aux États-Unis, avec une croissance annuelle de son chiffre d’affaires de l’ordre de 20%. Il était compris entre 5 et 7 milliards d’euros dans l’Union européenne, où l’Agriculture biologique concernait 113 000 exploitations et 2,8 millions d’hectares, soit 2,1% de la S A U (superficie multipliée par 30 en 13 ans). »

Source: http://www.inra.fr/internet/directions/dic/actualites/agribio/agribiosom.htm

Agronomie

L’agriculture productiviste

Cette agriculture est celle qui, visant une production maximale au meilleur coût possible, néglige l’environnement, la santé du sol et le sort des animaux, du moins dans le cas des bêtes, comme le porc et le poulet, qui sont elles-mêmes la chose monnayable.

Selon une étude du gouvernement de l’Ontario, l’agriculture productiviste demeure plus rentable que l’agriculture biologique mais la différence diminue au point de devenir presque nulle après quelques années dans certaines cultures. Dans le cas des céréales et des fourrages, les rendements des cultures biologiques sont variables et dépendent des compétences du chef d’exploitation. Pendant la période de transition, les rendements peuvent tomber à 50% de ce qu’ils étaient auparavant, mais au bout de trois ou quatre années de transition, ils remontent habituellement pour atteindre 80 à 100% des niveaux antérieurs.

Dans le cas des cultures légumières et fruitières, l’adoption d’un mode de production biologique est plus compliquée et varie d’une espèce à l’autre. Certains producteurs s’en tirent très bien avec des cultures données, d’autres éprouvent de sérieux problèmes. D’une manière générale, en horticulture, la production biologique donne des rendements inférieurs à ceux de la production classique, allant de légèrement inférieurs à nettement inférieurs. Par ailleurs, de nombreux producteurs biologiques font de bonnes affaires en se chargeant eux-mêmes de transformer leurs denrées pour bénéficier de la valeur ajoutée. La fabrication de confitures, de gelées, de jus ou de tartes aux fruits en est un bon exemple.

Source: http://www.gov.on.ca/omafra/french/crops/facts/98-030.htm#anchor1261825


Économie, technobiologie

L’agriculture raisonnée

Cette expression a d’abord été utilisée en France pour désigner une agriculture de transition entre l’agriculture biologique et l’agriculture productiviste.

Pour en savoir davantage: http://www.farre.org/

Politique, agronomie

Le protocole de Kyoto

Conclu en 1997 sous l’égide de l’ONU, le protocole de Kyoto est censé imposer à 38 pays développés une réduction moyenne de 5,2% des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre, en 2010 par rapport à 1990. Les États-Unis se sont retirés de cet accord au début de l’année 2001. Tout comme leurs alliés sur ce plan, le Canada et le Japon, ils préconisent une solution consistant à compenser leurs excès d’émissions de gaz à effet de serre en payant pour accroître ailleurs dans le monde la séquestration du carbone. En octobre 1999, les dix plus importantes compagnies du secteur canadien de l’énergie proposaient de verser des compensations à des agriculteurs américains, pour les inciter à pratiquer le semis direct, une agriculture sans labourage qui permet d’accroître la quantité de carbone fixée par le sol. Les compagnies prévoyaient acheter ainsi le droit de rejeter 2,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Le texte du protocole de Kyoto: http://www.environment.fgov.be/root/tasks/atmosphere/klim/pub/int/unfccc/kyoto/protocol_fr. htm

Politique, économie, écologie

La mondialisation

En agriculture, comme dans les autres domaines, la mondialisation va de pair avec la libéralisation des marchés. Si le Québec ne parvient pas, selon cette logique, à produire des tomates à un coût comparable à celui du Mexique, par exemple, il ne lui reste plus qu’à se retirer de ce secteur, y compris pour ce qui est de sa consommation interne. De même, si les petites fermes ne parviennent pas à faire face à la concurrence des grosses, elles doivent disparaître. Ce processus suit son cours, qui paraît inéluctable, dans la plupart des pays du monde, aux États-Unis d’abord. Se pose toutefois la question de savoir si l’agriculture à grande échelle apparaîtrait toujours comme la plus rentable si l’on tenait compte des coûts cachés, des atteintes à l’environnement et des privilèges dans la répartition des subventions gouvernementales.

Voir dans ce numéro l’article d’Andrée Mathieu
/dossiers/mondialisation

Économie, politique, écologie

Le respect des animaux

Représenté dans le monde francophone par des personnalités aussi différentes que Brigitte Bardot et Marguerite Yourcenar, qui a accordé son appui à une déclaration des droits des animaux, le mouvement de protection des animaux, né dans les pays anglo-saxons, et très étendu aussi dans les pays germaniques, continue de prendre de l’ampleur dans le monde. En Asie, il s’inscrit dans une vieille tradition. Son impact dans le cas des animaux de laboratoire a été considérable. On peut présumer qu’il le sera aussi dans le cas des animaux d’élevage. L’Université Laval de Québec a été obligée récemment de fermer sa ferme expérimentale. L’une des raisons qu’elle a invoquées a été le coût trop élevé de l’application des normes relatives au bien-être des animaux qui, dans ce cas, sont à la fois des animaux d’élevage et des animaux de laboratoire.

Voir notre article sur ce sujet dans le présent numéro.
Pour en savoir plus: http://perso.wanadoo.fr/solis/droits.htm.

Éthique, philosophie

L’érosion des sols

Chaque année, l’eau de pluie entraîne vers les rivières, les fleuves et les océans une partie importance de cet humus qui constitue la partie vivante et nourricière des sols. Un sol déstructuré par une agriculture industrielle qui ne l’utilise que comme support physique – remplaçant ses éléments nutritifs par des intrants chimiques – est beaucoup plus sujet à l’érosion.

Agronomie, économie

La question de l’eau

Le problème de l’eau se pose en terme de qualité aussi bien qu’en terme de quantité. L’agriculture semble bien être la première cause de la pollution des eaux de surface comme de celle des eaux souterraines. Dans les pays du Sud surtout, elle nécessite une très grande quantité d’eau. L’avenir de l’agriculture et l’avenir de l’eau sur la planète sont de plus en plus étroitement liés. L’agriculture de pays riches en eau comme le Québec a-t-elle pour cela un meilleur avenir que celle d’un pays pauvre en eau comme le Mexique?

Pour en savoir davantage: /dossiers/eau

Écologie, économie, éthique

Les OGM

Depuis les débuts de l’agriculture, on s’est constamment efforcé d’en accroître le rendement, tantôt en améliorant les techniques de labourage, tantôt en complétant la sélection naturelle par des procédés artificiels. Vers le milieu du présent siècle, en raison notamment de l’utilisation de produits chimiques comme herbicides, les procédés artificiels ont pris le pas sur les phénomènes naturels à un point tel qu’on a négligé ces derniers. Les organismes génétiquement modifiés s’inscrivent dans ce grand pari en faveur de l’artificiel. Ils soulèvent deux questions bien distinctes: le droit pour les consommateurs de savoir ce qu’ils mangent, quel que soit l’état des connaissances sur les OGM, et l’impact de ces nouveaux produits sur les humains. Les OGM sont interdits en agriculture biologique. Cet impact sera-t-il pire que celui des pesticides? La question est pertinente, car comme nous l’apprend un récent numéro de la revue française Préventique, c’est notamment pour éviter les coûts, jugés prohibitifs, des tests de toxicité sur les pesticides que les grandes entreprises de ce secteur se sont lancées dans la production d’OGM. «Un nouveau concept appelé substantiel équivalent, note Jean-François Narbonne, a été développé, basé sur la comparaison entre la composition de l’organisme d’origine et l’organisme transgénique. S’il n’y a pas de différences significatives entre les deux, il n’y a pas besoin de constituer de dossiers nutritionnels ou toxicologiques. On voit donc les limites de ce système qui repose uniquement sur les performances des analyses mises en œuvre pour des recherches d’éventuelles différences. Ce système d’équivalent substantiel peut permettre de s’affranchir du coût et de la lourdeur d’un dossier pesticide. »

Pour en savoir davantage: /dossiers/biotechnologie.
http://www.preventique.org

Technobiologie, éthique, écologie

L’environnement

Qu’une certaine agriculture, l’élevage intensif du porc par exemple, soit très polluante, c’est là un fait qui n’est plus contesté. Il reste à faire en sorte que les coûts de la dépollution soient intégrés aux coûts de production, de façon à ce que lorsque vient le moment de choisir des types d’élevage et d’agriculture, l’on compare des choses comparables. La question de l’environnement soulève aussi celle des rapports entre les ministères du même nom et les ministères de l’agriculture. Dans la plupart des pays, le ministère de l’environnement ne pèse pas lourd face à celui de l’agriculture.

Pour en savoir davantage: lire dans ce numéro l’article de Simon Charbonneau et celui d’Andrée Mathieu.

Écologie, économie, politique

Le cycle du carbone

Il n’y a pas de vie sans carbone. Cet élément est le plus animé de tous les éléments constituant la matière inanimée. Or il se trouve qu’il est aussi l’un des facteurs déterminants du climat, le principal gaz à effet de serre étant le dioxyde de carbone (C02). D’où l’importance du cycle du carbone dans le changement climatique. La photosynthèse illustre ce cycle à merveille. La plante en croissance s’empare du C02 en suspension dans l’atmosphère, grâce à l’énergie fournie par le soleil, elle brise ensuite la molécule de gaz carbonique, retient le carbone pour fabriquer du sucre – dont se nourriront les animaux et les humains – et renvoie de l’oxygène dans l’atmosphère. La plante, il peut s’agir d’un arbre, conserve toutefois une partie du carbone pour assurer sa propre survie. Cette plante meurt un jour, se décompose. C’est ainsi que se sont constituées les réserves de pétrole et de charbon. La biosphère avait trouvé d’elle-même un équilibre sur ce plan: un taux d’oxygène fixe de 21% dans l’atmosphère. La surexploitation du carbone accumulé au cours des millénaires, combinée avec la réduction des moyens naturels de fixer ledit carbone, provoque d’une part l’effet de serre et accroît d’autre part les risques de déséquilibre à l’intérieur de la biosphère.

http://www.cnrs.fr/dossiers/dosclim/rechfran/4theme/pagsuiv6.htm

Chimie, biologie

Gaia

On ne peut plus évoquer des phénomènes comme la photosynthèse ou le cycle du carbone sans les rattacher à Gaia, nom que James Lovelock donna à l’hypothèse selon laquelle la terre et l’atmosphère qui l’entoure forment un grand ensemble ayant les principales caractéristiques d’un être vivant, des faits comme la fixité du taux d’oxygène dans l’air et du taux de sel dans la mer ne pouvant s’expliquer que par des interactions complexes, analogues à celle qui explique l’équilibre du milieu interne chez les être vivants. Cet équilibre, appelé homéostasie, se manifeste par la fixité du taux de sucre, de fer ou de tout autre métal dans l’organisme. Lovelock a choisi le mot Gaia parce qu’il attachait autant d’importance à l’aspect poétique, intuitif de son hypothèse, qu’à sa dimension scientifique. Gaia c’est la terre mère et sacrée. Il se trouve que le retour au sacré, associé généralement à l’aspect scientifique de l’hypothèse Gaia, est cœur de l’idéal écologique de plusieurs de ceux qui s’opposent à l’agriculture productiviste dominante.

/dossiers/gaia

Le transport

Les écologistes et les partisans de l’économie solidaire appellent de leurs vœux les circuits économiques courts, c’est-à-dire la plus petite distance entre le lieu de production et le lieu de consommation. Ce vœu entre en contraction avec la mondialisation des échanges de même qu’avec la recherche par le consommateur des produits de la plus haute qualité, lesquels doivent souvent être importés de très loin.

Alimentation et médecine naturelles

Dans ce courant qui demeure important, on ne fait de guère de différence entre manger et se soigner. On recherche des aliments, dont il importe qu’ils soient naturels, combinant les avantages de la nourriture et ceux des médicaments. C’est l’une des nombreuses manifestations de ce souci de la santé, si important chez nos contemporains, qui est l’un des facteurs les plus déterminants de la turbulence que traverse en ce moment le secteur agro-alimentaire.

Gastronomie, médecine

Le végétarisme

En Amérique du Nord, les viandes rouges cèdent progressivement la place aux viandes blanches, lesquelles en plus d’être blanches, ce qui constitue aujourd’hui un avantage, supposent un taux de conversion alimentaire plus élevé, avantage apprécié de tous ceux qui se soucient de l’avenir de la planète et du présent de l’humanité. Cette préférence pour la viande blanche est aussi une étape sur la route conduisant au végétarisme, lequel profite aussi de la séduction croissante exercée par les religions orientales.

Écologie, religion, philosophie

L’évolution du goût vers les produits de qualité

En Colombie britannique, comme en Australie, on se réjouit de la qualité atteinte par les vins du terroir, cependant que le Québec, la Nouvelle France, est fière d’avoir dépassé la mère patrie pour ce qui est du nombre de fromages par habitant. L’engouement pour les produits du terroir de qualité se généralise sur la planète. Le raffinement de la table promettant celui des arts et des lettres, la chose est bonne en soi. Hélas! on ne sait pas encore si à la longue cet engouement favorisera les circuits économiques courts, ou si les nouveaux produits suivront la route du caviar et du champagne, qui est celle de la richesse.

Gastronomie, philosophie

Qu’est ce que l’humus?
De la science de laboratoire à la science de la nature dans la nature.

Dans son énoncé récent de politique de recherche, l’INRA reconnaît que la science contemporaine ne s’est guère intéressée à l’étude du sol comme tel, étude qui est la condition de l’amélioration de l’agriculture biologique. On avait pris l’habitude de considérer le sol comme un simple support dans le contexte d’une agriculture d’après guerre qui obéissait à des impératifs de productivité à court terme. La science de laboratoire convenait parfaitement à cet objectif. À quoi bon se donner le mal de revenir à l’observation directe des phénomènes, comme l’a fait Wes Jackson au Kansas? À quoi bon tenter d’opérer dans ce domaine la révolution que les éthologistes, Konrad Lorenz en tête, avaient opérée trois-quarts de siècle auparavant dans le cas de l’étude du comportement animal? Il semble bien que ladite révolution soit en cours en ce moment, que l’agronomie s’ouvre à la complexité, comme les autres grandes disciplines, à commencer par la physique, l’avaient fait avant elle.

http://www.u-picardie.fr/~beaucham/mst/humus. htm


Agronomie, écologie, éthologie
L’animal est-il une machine?
Au début de la décennie 1960, paraissait en Angleterre, un livre intitulé The animal machine. signé Ruth Harrison et préfacé par Rachel Carson, auteur de The Silent Spring, qui venait de connaître un immense succès, ce livre marqua le début de la plus récente vague de protestation populaire contre le sort fait aux animaux dans les élevages industriels. Il fut suivi au cours de la décennie suivante des ouvrages du philosophe australien Peter Singer: Animal Liberation et Animal factories. Cette théorie de l’animal machine formulée par Descartes à une époque où les populations d’Europe étaient fascinées par les automates, n’est pas restée confinée aux classes de philosophie. Elle a servi de justification au sort que l’on a fait subir aux animaux au cours des derniers siècles. En raison des confirmations que cette théorie reçoit d’un côté par la biologie moléculaire, et de la critique dont elle est l’objet dans le grand public, elle est au cœur du débat actuel sur l’agriculture.


Philosophie, biologie
L’agriculture paysanne
L’agriculture paysanne est celle qui est enracinée dans un pays, un paysage, une histoire, une communauté. Elle assure à la fois la diversité biologique et la diversité culturelle et le bien-être moral des agriculteurs; mais si elle est bien adaptée aux circuits courts, peut-elle expédier de façon régulière vers les grandes surfaces une grande quantité de produits d’égale qualité?
Pour en savoir davantage:
http://www.confederationpaysanne.fr/anapro/principe.html



Histoire, sociologie
Le spécisme
Ce mot a été popularisé par Peter Singer notamment, qui l’utilise pour désigner une discrimination à l’endroit des espèces vivantes, discrimination comparable à ses yeux au racisme et au sexisme. Il s’ensuit que, pour les adeptes de cette vision, la libération des animaux est analogue à la libération des noirs et des femmes et constitue la nouvelle étape dans le progrès moral de l’humanité. C’est la Bible dans ce cas, et plus précisément la Genèse, qui est prise à partie. Vu sous cet angle, qu’il faut bien se garder de sous-estimer, le problème agricole est un problème théologique.

Pour en savoir davantage: http://www.cahiers-antispecistes.org/


Éthique, philosophie, théologie
La résistance des bactéries aux antibiotiques
On sait depuis un quart de siècle que la résistance aux antibiotiques acquise par une bactérie animale peut être transférée à une bactérie humaine. Depuis ce moment, les méthodes pratiquées en agriculture ont donc un rapport direct avec la santé humaine. L’usage des antibiotiques, à trois niveaux, comme stimulants de croissance, comme remède préventif, et comme remède curatif, dans l’élevage du porc et du poulet notamment, est de plus en plus difficile à justifier. Depuis 1986, la Suède interdit l’usage des antibiotiques comme stimulants de croissance. Depuis lors, la consommation d’antibiotiques dans les fermes suédoises a été réduite de 60%, passant de 50 tonnes à 19.9. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, plus de la moitié des antibiotiques produits dans le monde sont destinés à l’agriculture. La proportion atteint 70% aux États-Unis. Selon un article récent de Scientific American (mai 2001), il ne reste plus qu’un antibiotique qui soit efficace contre la plus dangereuse des bactéries: staphylococcus aureus. Notons au passage que ce sont les antibiotiques qui ont rendu les grands élevages industriels possibles, et que sans eux ils disparaîtraient sans doute.

Pour en savoir davantage: http://agora.qc.ca/liens/antibiotiques.html

http://www.frm.org/scientifique/sujetsfond/antibiotiques/cadantib.html
Microbiologie, génétique, médecine

La féminisation de la nature

Quand de nombreux produits chimiques imitent partout dans la nature le comportement de l’hormone féminine, que se passe-t-il? Tout indique qu’il se passe des choses semblables à celles qui résultent de l’effet de serre. La nature se féminise comme le climat se réchauffe. Une foule de phénomènes aberrants, en apparence sans liens entre eux, depuis la puberté précoce jusqu’à la baisse du nombre de spermatozoïdes, accompagnent cette féminisation de la nature et pourraient avoir une cause commune: les produits chimiques œstrogènes. C’est la conclusion d’un livre de Deborah Cadbury, Altering Eden, the Feminisation of Nature, qui mérite autant d’attention que le printemps silencieux de Rachel Carson.
Pour en savoir davantage, on peut consulter le document suivant: \/" +@GetProfileField("Configuration Projet"; "bdDocsAssociesWeb_1"; "Configuration Projet") +"\/Documents/Pollution--Le_printemps_stérile_par_Jacques_Dufresne
On peut accéder au même document par une recherche sur Le printemps stérile soit dans Google, soit directement dans L’Encyclopédie de L’Agora.

Chimie, écologie


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On constate au premier regard que deux sous-ensembles principaux se dégagent de cette liste de faits et d’opinions, que deux pôles apparaissent, l’agriculture productiviste et l’agriculture biologique, auxquels on peut rattacher les autres éléments. À l’agriculture productiviste, on peut rattacher une productivité permettant de nourrir un plus grand nombre d’êtres humains (et l’obésité qui en découle), les OGM, l’usage des pesticides, des herbicides (et la féminisation de la nature qui s’ensuit), la résistance des bactéries aux antibiotiques, l’érosion des sols, l’élimination progressive de l’agriculture paysanne.

À l’agriculture biologique, on peut associer la protection des sols, le ralentissement de la perte d’efficacité des antibiotiques, le ralentissement de la féminisation de la nature, Même si de nombreux adeptes de l’agriculture productiviste sont convaincus qu’ils traitent leurs animaux aussi bien, mieux même, que les tenants de l’agriculture biologique, il semble bien qu’il faille aussi rattacher le bien-être des animaux, comme le végétarisme, et pour les mêmes raisons, au pôle agriculture biologique. On peut en dire autant de la qualité des aliments et du développement du goût.

L’élément le plus important de notre liste est toutefois le changement climatique. Or il se trouve que la protection du sol, qui est le premier but de l’agriculture biologique, est aussi un moyen efficace d’en ralentir le cours. Cet argument supplémentaire en faveur de l’agriculture biologique devrait faire pencher la balance de ce côté… Mais tout n’est pas si simple. En 1997, huit compagnies canadiennes du secteur énergétique offrirent à des agriculteurs du North Dakota d’assumer les pertes qu’ils encourraient en pratiquant le semis direct, un type de culture qui dispense de labourer la terre et permet par là de la conserver intacte en tant que moyen de fixer et de séquestrer le carbone. Dans le contexte mondial d’alors (on négociait à ce moment le protocole de Kyoto), cette initiative avait une signification précise: permettez-nous d’accroître nos émissions de gaz à effet de serre, nous ferons en retour le nécessaire pour que l’équivalent du carbone que nous produirons en trop soit absorbé à nos frais, ailleurs sur la planète. C’est dans le même esprit que des producteurs d’automobiles ont, vers la même époque, accepté de financer des puits de carbone en zone tropicale.

S’il permet d’éviter le labourage, le semis direct, tel du moins qu’on l’a pratiqué au North Dakota, nécessite l’usage massif d’herbicides. Le labourage, surtout lorsqu’il est pratiqué chaque année en profondeur au moyen de tracteurs lourds qui durcissent le sol, est une technique très agressive. En le remplaçant par des herbicides, on reste toutefois à l’intérieur du même modèle productiviste.

Si l’idéal d’harmonie entre l’homme et la nature et le souci du développement durable renforcent la position de l’agriculture biologique, l’agriculture productiviste est forte de l’inertie et de l’élan que lui confèrent les investissements passés et présents visant une amélioration des rendements. Il n’est pas facile de déloger de sa position un agriculteur qui est en mesure de produire 600,000 porcs chaque année. Ces géants forment une oligarchie mondiale qui, à son tour, peut s’appuyer sur les multinationales du secteur agro-alimentaire de même que sur les gouvernements. La conversion récente et timide de l’INRA à la recherche sur l’agriculture biologique est à ce propos un fait révélateur.

Le Canada, de son côté, est fier de se présenter comme le paradis de l’expérimentation en matière de biotechnologies. Le vaste ensemble constitué des oligarques de l’agriculture, des multinationales et des gouvernements dispose, avec ses juristes et ses bioéthiciens de service, de moyens de propagande si puissants qu’il faudrait un concours de circonstances bien improbable pour que se maintienne dans le monde une opinion publique en alerte, comme elle l’est en ce moment après plusieurs années de vache folle et d’OGM, imposés à des populations qui en sont les cobayes.

C’est pourquoi la voie de l’agriculture raisonnée, telle qu’elle se développe en France en ce moment, paraît pour le moment la plus sûre. Mais qui oserait prédire l’avenir en cette période de chaos et de complexité où l’effet papillon pourrait transformer un incident mineur en un événement majeur? Pour ce qui est du monde rural, l’humanité dans son ensemble rappelle la situation en Grèce des VIIIe et VIIe siècles avant Jésus-Christ où une poignée d’oligarques, grands propriétaires terriens, pouvaient réduire à l’esclavage les petits paysans qui, pour rester accrochés à leur lopin de terre, avaient contracté à leur endroit des dettes qu’il leur était par la suite impossible de rembourser. L’œuvre du premier grand législateur en Occident, du créateur de l’état de droit, du fondateur de la démocratie, Solon, a consisté pour l’essentiel à rétablir les petits propriétaires dans leurs privilèges. Comme l’a montré Pierre Savinel, depuis ce temps en Occident, la proportion de petits propriétaires terriens libres et heureux a été l’indicateur par excellence de la santé politique. Même si l’agriculture ne représente aujourd’hui qu’un infime pourcentage de l’activité économique, la prédominance d’une forme d’oligarchie rurale est une chose inquiétante.

Voilà un argument politique qui s’ajoute à tous les autres arguments en faveur de l’agriculture biologique, et d’une manière plus générale en faveur de la diversité sociale, culturelle et biologique, de sorte que même si la guerre est perdue d’avance, le combat aura de plus en plus de sens.

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